Serge Therrien

« Aujourd’hui, ChatGPT et ses acolytes en intelligence artificielle sont-ils des ennemis ou des alliés ? C’est selon qu’on les maîtrise ou qu’on les ignore », a lancé Serge Therrien, président des Éditions du Journal de l’assurance inc., dans un texte sur les perspectives en assurance de personnes paru en décembre 2023 sur le Portail de l’assurance.  

M. Therrien a fait cette déclaration peu après la table ronde qu’il a animée sur le sujet, lors du Congrès de l’assurance de personnes 2023, qui s’est déroulé le 14 novembre. Intitulée Quel sera l’impact de ChatGPT sur votre profession ?, la table ronde s’est lancée sur cette question. 

Laurent Simon

Professeur titulaire au département d’entrepreneuriat et innovation et co-directeur de Mosaic à HEC Montréal, Laurent Simon a répondu que l’intelligence artificielle n’est pas nouvelle. « Elle est déjà beaucoup plus présente dans nos vies qu’on peut l’imaginer, dans un téléphone intelligent, une voiture de moins de 10 ans… »

Ce qui est nouveau, selon lui, c’est que ChatGPT répond aux requêtes dans un langage presque naturel, grâce à l’intelligence artificielle générative. 

Accélérer le quotidien 

Véronique Tremblay

« Dans un cours du 1er cycle, j’enseigne le management de l’innovation. Un plan de cours pour un prof d’expérience, c’est à peu près trois jours de travail », relate Laurent Simon. ChatGPT a mis environ une minute et demie à lui en générer un. Il a mis 30 secondes à lui donner les 10 références les plus citées par thématique abordée. « Ce n’est pas le plan idéal, mais j’ai au moins un matériau avec lequel travailler », dit le professeur. 

Selon Laurent Simon, l’outil numérique n’est pas une évolution tant qu’on ne l’a pas traduit dans ses pratiques quotidiennes. « Cela peut-être d’optimiser les fichiers clients, rédiger des courriels voire des tâches plus profondes ». 

Est-ce que ChatGPT changera votre travail ? C’est sûr ! – Véronique Tremblay 

Scientifique de données à Beneva, Véronique Tremblay a saisi la balle au bond. Elle rappelle que les assureurs utilisent l’intelligence artificielle depuis les années 1980 dans ses modèles probabilistes de tarification. « Le modèle prédira le risque, le montant de la prime… Ce qui est nouveau avec ChatGPT, c’est qu’il se fait très bien passer pour un être humain, lance-t-elle. C’est aussi un modèle probabiliste, car il prédit la meilleure prochaine réponse. » À l’auditoire elle a lancé : « Est-ce que ChatGPT changera votre travail ? C’est sûr ! Mais il faut garder en tête qu’il peut se tromper. » 

Mme Tremblay estime qu’un modèle génératif comme ChatGPT est bon pour résumer, traduire, améliorer le style d’une lettre ou rédiger de façon très encadrée.

Selon Véronique Tremblay, ChatGPT peut écrire du code de programmation, mais pas sans erreur. « Le code que j’écris avec ChatGPT ne marche jamais du premier coup », observe-t-elle. La scientifique de données de Beneva remarque également que ChatGPT réussit beaucoup moins bien dans les requêtes d’aide à la planification et l’évaluation.

Conseillers utilisateurs  

ChatGPT n’aura jamais la valeur du conseil ni la capacité de s’engager dans une réponse et avoir du leadership avec quelqu’un – Pierre Dumaine 

« Je sais que ChatGPT ne remplacera jamais un conseiller. Devant un client, c’est vous qui posez les questions pour apprendre à connaître votre client. ChatGPT n’aura jamais la valeur du conseil ni la capacité de s’engager dans une réponse et avoir du leadership avec quelqu’un », a expliqué à l’auditoire Pierre Dumaine, président de Dumanité, Cabinet en services financiers

En revanche, M. Dumaine utilise ChatGPT pour lui poser des questions. Son équipe s’est dernièrement élargie. Il doit produire un manuel de l’employé. « J’ai demandé à ChatGPT ce que devrait contenir un manuel de l’employé et il m’en a sorti les principales caractéristiques. J’ai pu les confirmer avec ma personne des ressources humaines. Au moins, j’ai un pas de fait en avant », résume le conseiller. 

Pierre Dumaine

Quatrième panéliste à prendre la parole, Willie Savard est conseiller au sein d’Altura Groupe Financier. Il est aussi le créateur de Tchat N Sign, application d’interaction virtuelle et sécurisée avec le client.

Il confie que ChatGPT l’a soulagé du syndrome de la page blanche. « Je l’utilise pour à peu près tout ce qui est courriel et traduction », dit M. Savard. Il entre quelques mots, précise ce qu’il veut dire et à qui. Il demande ensuite à ChatGPT de créer un texte qui a du sens. 

Ces conseillers ne sont pas les seuls, au vu des réponses à un coup de sonde donné en octobre 2023 par les Éditions du Journal de l’assurance inc. « J’utilise parfois ChatGPT pour répondre à mes clients. Ceci s’est avéré pratique dans plusieurs dossiers », a répondu un participant.  

Willie Savard

Un autre dit l’utiliser régulièrement dans sa pratique, « mais jamais pour des courriels aux clients ou pour un robot », pour ne pas compromettre la sécurité des renseignements sensibles et personnels échangés. « Je l’utilise surtout pour offrir plus d’information envers la population par la création de publications, de capsules vidéo, d’images, de textes, d’idées, de scripts, etc. » 

Concurrent ou allié ? 

ChatGPT est-il concurrent ou allié des conseillers ? Philippe Le Roux, directeur de la croissance numérique des Éditions du Journal de l’assurance, a posé la question à ChatGPT. Voici un résumé de ses réflexions exposé à l’écran derrière les panélistes : 

Philippe Le Roux

Il sera allié dans l’efficacité et la productivité. « Il pourra aider les conseillers à gérer des tâches routinières ou administratives plus rapidement, leur permettant de se concentrer sur des aspects plus complexes et personnalisés de leur travail. Il peut aider à rédiger des documents, à répondre à des questions standard ou même effectuer des recherches préliminaires. »

Il sera concurrent dans l’automatisation. « L’intelligence artificielle pourrait potentiellement automatiser certaines des tâches actuellement effectuées par des humains. Cela pourrait perçu comme une menace pour les emplois dans certains cas. Cependant cette automatisation est généralement limitée aux tâches répétitives et ne veut pas remplacer le jugement humain, surtout dans un domaine aussi nuancé que la sécurité financière. »

Ce qui m’inquiète dans cette dernière partie, ce sont les mots ‘actuellement’ et ‘pas encore’ – Philippe Le Roux 

ChatGPT a toutefois ajouté que l’intelligence artificielle ne peut encore égaler la capacité d’un conseiller humain à comprendre les besoins financiers et émotionnels des clients. La relation de confiance et le jugement professionnel seront des éléments clés qui restent hors de sa portée actuellement, reconnaît le robot conversationnel.

« Ce qui m’inquiète dans cette dernière partie, ce sont les mots ‘actuellement’ et ‘pas encore’ », souligne Philippe Le Roux. En marge de l’événement, M. Le Roux a expliqué que la dimension temporelle est fondamentale, « car tout cela avance à une vitesse phénoménale ». « Ce qui paraît impossible un jour devient la routine quelques mois plus tard », ajoute-t-il. 

Revenant sur des propos des conférenciers selon lesquels ChatGPT ne peut gérer les émotions, Philippe Le Roux pense que la capacité de saisir et tenir compte des émotions est sûrement sur le "road map" de l’intelligence artificielle générative. « Je ne sais pas si ce sera là dans six semaines, six mois ou six ans, mais ça s’en vient sans aucun doute ! » 

Trop poli 

Comme conseiller financier, on pourrait demander à ChatGPT : quelles sont les questions pertinentes à poser à un client– Laurent Simon 

Amusés des réponses en direct obtenues de ChatGPT, Laurent Simon et Véronique Tremblay estiment que l’outil d’intelligence artificielle générative a ménagé les conseillers. « On dirait que quelqu’un surveille ChatGPT et lui dit : ne leur fais pas trop peur pour l’instant.  On ne sait pas trop ce que ChatGPT anticipe pour nous. Comme on est poli avec lui ; il sera poli avec nous. Il faut oser aller plus loin et se poser la question de la menace », commente M. Simon. 

Mieux encore, le conseiller peut réfléchir à la place que pourra prendre ChatGPT dans ses pratiques d’affaires. « Comme conseiller financier, on pourrait demander à ChatGPT : quelles sont les questions pertinentes à poser à un client, suggère le professeur. Je suis certain qu’on aurait une réponse assez structurée. » 

« ChatGPT est dans le plaire », observe Véronique Tremblay. Elle cite le philosophe Jocelyn Maclure, selon qui ChatGPT est un « baratineur ». « Il sait à quel public il s’adresse. Il dit ce que vous avez envie d’entendre », remarque-t-elle.