Malgré des réticences et une frustration palpable, les dirigeants présents au Symposium du BAC ont dit entretenir de bonnes relations avec les régulateurs. Le climat serait réceptif, empreint d’ouverture et productif, disent-ils. Paul Field, président, chef de la direction et chef des finances de Old Republic Insurance affirme que, lorsqu’il compare son rôle actuel à celui d’autrefois, la plus grande partie de son temps est désormais consacrée aux changements de règlementation. « Je dois parfois m’arrêter et me demander si c’est vraiment pour cela qu’on m’a engagé! »

Difficile pour les petits assureurs

Dans les faits, signale-t-il, les petites entreprises n’ont pas le personnel ou les capacités nécessaires pour gérer des changements de cette envergure. « Je ne peux pas m’occuper des nouvelles souscriptions, car on me demande de produire des rapports. Ça m’inquiète. Je ne crois pas que c’était l’intention des régulateurs, mais c’est une conséquence bien réelle. »

Car la liste des dossiers qui se retrouvent sur le bureau des PDG ne se limite pas aux nouvelles Normes internationales d’information financière (IFRS) et aux modifications apportées au Test du capital minimal (TCM). Elle comprend notamment la modification de la Loi sur les assurances dans diverses provinces, les normes Solvency adoptées à l’international, les évaluations nationales des risques et de la solvabilité et les changements en matière fiscale.

« Que ce soit à l’échelle provinciale, nationale ou mondiale, la portée de la règlementation ne cesse de s’élargir, dit Stuart Carruthers, associé chez Stikeman Elliott. C’est un véritable raz-de-marée : toutes ces modifications s’additionnent, et les compagnies doivent s’en occuper et veiller à s’y conformer tout en continuant de rouler. »

Relativement à ce « raz-de-marée », les hauts dirigeants présents reconnaissent qu’ils n’ont rien contre la possibilité d’un resserrement de la surveillance et des exigences, mais ils expriment des réserves devant le fait que certaines demandes commencent à accorder plus d’importance à la forme qu’au fond.

« Ce qu’on ressent, en ce moment, c’est que le segment de l’assurance de dommages essaie de réaliser en cinq ans ce que les banques et les compagnies d’assurance vie ont mis 20 ans à faire, estime Craig Pinnock, chef des services financiers de Northbridge Assurance. Il n’y a rien de mal à faire de la règlementation et de la surveillance. Même chose pour les contrôles et la gestion des risques. Le problème, à mon avis, c’est vraiment l’envergure des changements et la rapidité avec laquelle on veut les appliquer. On a peut-être négligé notre marché un peu trop longtemps. »

Le prix à payer pour rester conforme, assimiler toutes les nouvelles façons de faire et les intégrer à sa pratique est parfois évident. Il peut aussi être un peu surprenant, au départ.

Les compagnies ont engagé du nouveau personnel pour traiter divers dossiers et investi dans les logiciels et les technologies nécessaires pour satisfaire aux nouvelles exigences comptables. Or, le cout et le manque à gagner correspondant au temps que les hauts dirigeants doivent consacrer à la démarche commencent à compter. Il faut aussi s’attendre à ce que le maintien du conseil d’administration coute plus cher. En effet, il faut pas mal plus de connaissances et de scolarité pour assurer une surveillance appropriée chaque fois qu’une nouvelle règle est adoptée.

Les administrateurs devront consacrer davantage de temps aux questions opérationnelles. Mais ce n’est pas tout. On s’interroge, on s’inquiète un peu et on ne sait pas trop à quoi s’en tenir sur un point précis : quel sera le rôle du CA dans ce nouvel environnement?

« Au début, les CA auront surement du mal à distinguer la gestion de la surveillance. En ce moment, on leur parle de plein de choses nouvelles. Ils doivent aussi jongler avec beaucoup plus de nouvelles données, fait remarquer Gary Timlick, vice-président et chef des services financiers de Wawanesa. Ce sont toutes de bonnes choses. Je n’ai rien contre cela, mais les CA vont avoir besoin de temps pour s’adapter et connaitre leurs limites. »

Trop de dossiers au CA

Paul Field va plus loin. « Pour nous, il a toujours été très clair qu’un conseil devait faire acte de surveillance, en plus de fournir des conseils stratégiques et de voir à la gouvernance. Le fonctionnement quotidien relève de l’équipe de gestion en place. La distinction est très claire », dit-il. Les membres d’un conseil d’administration qui entendent parler du libellé général du projet de règlement et des attentes qui y sont exprimées « se voient lentement, mais surement poussés vers un rôle de gestionnaire. »

« Se pourrait-il que l’on fasse remonter un peu trop de dossiers internes jusqu’au CA? », dit M. Field, qui se demande aussi qui surveillera dorénavant le processus décisionnel des membres d’un CA.

« J’espère qu’on ne verra pas arriver une nouvelle division de gouvernance au BSIF, car ce n’est vraiment pas leur travail! Je trouve que les frontières sont de moins en moins claires. Les conseils d’administration ne savent plus à quoi s’en tenir. On dirait qu’ils cherchent à savoir quel est leur rôle. Ils ne savent plus dans quelle mesure ils doivent se mêler de telle ou telle chose ou refuser de le faire. Ils sont dans le vague. »