Importance du mentorat en début de carrière, les qualités nécessaires pour persister et réunir dans l’assurance, partage des commissions, impacts de l’intelligence artificielle (IA) sur l’industrie, une foule de sujets sensibles ont été abordés et débattus dès l’ouverture du 27e Congrès de l’assurance de personnes qui s’est tenu le 13 novembre au Palais des congrès de Montréal. L’animateur Serge Therrien, président et éditeur des Éditions du Journal de l’assurance inc., a donné la parole à ses quatre invités, quatre jeunes leaders de l’industrie, afin de leur permettre d’exprimer leur vision et leurs recommandations pour réussir dans un secteur en pleine transformation.
Des indicateurs au rouge
D’entrée de jeu, Serge Therrien a rappelé qu’entre 2010 et 2023, il s’est vendu 100 000 polices d’assurance de moins au Canada. Le taux de pénétration de la vente ou de l’achat d’assurance par 1000 habitants est passé de 21,7 en 2010 à 16,9 en 2023.
Ce tableau s’explique par un certain nombre de facteurs.
« Il y a un manque de relève, une pénurie de main-d’œuvre, un problème de qualité des talents, l’entrée dans la carrière est difficile et la force de vente est de plus en plus vieillissante », a-t-il décrit.
La situation semble très favorable pour les recrues qui entreprennent une carrière en assurance de personnes. Dans les faits, les défis sont nombreux, la période de démarrage est ardue et décourage nombre de nouveaux venus. Plusieurs décrochent après quelques années, changent de secteur ou, comme il a été rapporté lors du panel, vont travailler dans une institution financière.
Les qualités pour réussir en assurance de personnes
Alors, quelles qualités un jeune doit-il posséder ou acquérir afin de réussir en assurance ?
« Ça prend de la persévérance, de la passion et de la constance principalement, répond Jade Cantin, présidente du Réseau des jeunes courtiers du Québec et représentante en assurance chez Cantin Cabinet Conseils. Si tu laisses tomber après un an ou deux, c’est normal que ça ne fonctionne pas. »
« La majorité des gens qui entrent dans ce milieu n’ont jamais travaillé en services financiers et ne savent pas ce qu’ils font là, croit Patrice Therriault, président, conseiller en sécurité financière et spécialiste en meilleures pratiques de Patrice Therriault Solutions. Ils démarrent en se disant : “Je vais essayer et voir où ça me mène”. C’est dur de persévérer, de vouloir défoncer des murs. Or, notre job, c’est cela, défoncer des murs. Qui a le goût d’être résilient s’il ne sait pas pourquoi il le fait, qui n’a pas de vision et pas de plan ? »
Il croit que pour réussir dans cette industrie, il faut avoir de la chance au départ.
« Si tu entres dans ce domaine et que tu n’as pas de coach, pas de collègues, pas d’amis, tu n’as personne pour t’indiquer comment faire cette job, tu t’en vas dans le mur tout seul tête baissée, dit-il. Mais si tu as la chance de commencer avec un bon directeur, une personne pour te mentorer, là, c’est beaucoup plus facile. En partant, ta progression est beaucoup plus fluide. »
Être avant tout générateur de valeurs
« Pourquoi se lève-t-on le matin ? Pour faire de l’argent ? Ce n’est pas une bonne raison », pense Patrick-Olivier Duchesne Lachance, président du cabinet Oïkos Services Financiers. « La journée où tu vas frapper un mur et tu n’auras pas de résilience, tu vas baisser les bras et quitter la carrière. Beaucoup abandonnent le courtage et s’en vont dans les caisses et les banques pour avoir une sécurité d’emploi. Ça prend une vision pour rester dans notre milieu : c’est pour aider les gens à améliorer leur sort. Notre job est très important », ajoute-t-il.
Mais les débuts sont ardus, reconnaît Mme Cantin. « Avant que les gens qui embarquent dans l’industrie comprennent comment fonctionnent un agent général, la bonification ou la commission de chaque compagnie, c’est tellement compliqué que ça prend des années à apprendre et à assimiler. Ça prend de la chance pour tomber à une bonne place et avoir tout le soutien nécessaire. »
La clef, le mentorat
Pour Audrey Hébert, conseillère de la relève au cabinet Courtage CRH « la clef c’est le mentorat, associer un sage conseiller à un jeune, qui va permettra la transmission de connaissances ».
« L’important aussi, c’est de s’entourer de gens qui vont pallier nos faiblesses et nous aider à acquérir des connaissances dans des domaines où nous sommes moins à l’aise. De son côté, le débutant va aider le plus sage au niveau de la conformité où il est moins à jour. C’est donc win win de faire travailler ensemble un sage conseiller et un jeune et souvent, ça va amener une rétention », indique-t-elle.
Trouver le fameux coach
Mais comment le trouver le fameux coach ?
« Quand tu commences dans l’industrie, tu n’as pas les moyens de te payer un coach, constate Jade Cantin. Payer 3 000 $, 4 000 $, ça se fait quand ça fait cinq, six, sept ans que tu es en affaire et tu peux te l’offrir, mais au début, tu n’as souvent pas les moyens. (…) Il faudrait, comme le suggère Audrey, jumeler les gens dès qu’ils finissent leur formation pour mieux les intégrer dans la profession. Je crois que c’est la clef de la réussite. »
Audrey Hébert a décrit un jumelage positif avec son directeur des ventes. Elle a vu une belle volonté de trouver les personnes qui vont bien ensemble comme un couple.
« Ça entraîne une meilleure rétention et c’est vraiment une belle façon de rassurer les jeunes », souligne-t-elle.
Garder son expérience et ses trucs pour soi
Patrice Thérriault déplore cette attitude fréquente en assurance de ne pas vouloir partager le fruit de son expérience et ses trucs avec les collègues.
« Ce que je déteste dans ce domaine, a-t-il lancé, c’est que personne ne se parle. Tout le monde fait ses affaires et garde ses secrets et stratégies pour lui. Alors, on développe de notre côté et on met de 30 à 40 % de nos énergies dans le vide. Ce qui me dérange, c’est de mettre des efforts dans le développement d’un outil et me rendre compte que je vire en rond, que ça existe, mais que je l’apprends cinq ans plus tard ! »
L’importance du réseau carrières
Patrick-Olivier Duchesne Lachance, qui se spécialise comme courtier auprès des entrepreneurs en construction, a travaillé dans le réseau carrières avant de se lancer dans le courtage. Il en souligne l’importance de cette voie pour les jeunes.
« Si je n’avais pas fait le réseau carrières, je crois que je ne serais pas dans l’assurance aujourd’hui en raison de la complexité de commencer comme entrepreneur dans le courtage. C’est très vaste et c’est très facile de se perdre, de devenir un généraliste dans tout, mais bon dans rien », dit-il.
« Le fait que j’ai travaillé avec un bon coach, un bon directeur des ventes au sein d’une organisation structurée m’a permis de mieux me structurer dans mon cabinet et dans ma carrière. Personnellement, je trouve que l’encadrement d’un réseau carrières pour se lancer dans la carrière, c’est la meilleure école », ajoute-t-il.
Il souligne un problème concernant de l’attitude de certains mentors. « Un mentor a toujours la main sur le contrat. Émotionnellement, on est attaché à nos clients et on a de la difficulté à les donner à un junior. Certains disent : “J’ai embauché un junior, mais il ne vend pas”. Oui, mais lui en as-tu donné ? Il y a un équilibre à aller chercher. »
Développer sa clientèle quand on démarre
Un membre du public a raconté qu’il était en stage probatoire depuis 2 mois et se disait extrêmement chanceux de pouvoir compter sur deux excellents mentors. Il voulait cependant que les choses aillent plus vite au niveau des ventes et a demandé des trucs aux panélistes.
Mme Hébert lui a raconté qu’elle avait acheté son premier book d’un courtier âgé de 65 ans et dont tous les clients avaient aussi plus de 65 ans. Elle lui a demandé de pouvoir contacter les gens figurant sur la liste des bénéficiaires d’assurance-vie de chaque police, une initiative qui lui a permis d’élargir sa clientèle.
Jade Cantin a indiqué pour sa part qu’elle avait zéro intérêt à acheter un book et à cogner aux portes. Elle préférait rencontrer les gens pour développer son marché et qu’ils l’achètent elle, pas juste sa police. Elle se tient donc dans des activités de réseautage.
« Ce qui va fonctionner, a-t-elle conseillé à ce nouveau venu, c’est d’apprendre à te connaître, connaître tes forces et tes passions. Par la suite, tu développes ta clientèle cible en fonction de cela. Avec 70 % des familles canadiennes qui ne sont pas desservies par un conseiller, il y a de la place. »
« Tu es stagiaire. Tu ne peux pas aller aussi vite que tu veux, tu ne pourras pas signer de grosses maladies graves, a modéré Patrice Thérriault. Commence par connaître tes produits. Sois humble et dis-toi que tu es entrain d’apprendre. Pendant ma période de stages, j’en ai profité pour comprendre mon industrie et rencontrer des gens. Quand tu as ton permis, tu les rappelles. “Est-ce que je peux te rencontrer avec mon directeur ? Je veux te revoir pour savoir si je peux t’aider”. C’est complètement différent et ça devient facile de traiter des affaires. »
Le partage des commissions
Serge Therrien a soulevé la délicate question du partage des commissions.
Par expérience, a raconté Patrick-Olivier Duchesne Lachance, j’ai vu des gens avoir des très beaux partenariats sur papier, mais dans la réalité, ça ne fonctionnait pas. Oui, c’est une excellente idée, mais comment faire fonctionner cela ? Il y a un peu l’appât du gain qui devient très difficile à gérer. »
« Ce qui est difficile dans un partenariat, a renchéri Patrice Thérriault, c’est comment faire une entente équitable et logique. Quel est le split, qui garde le dossier, qui garde le client ? Je lui ai donné le dossier, il va faire le travail au complet et je vais garder 70 % parce que je t’ai envoyé un lead ? Ça n’a pas de sens. On voit des horreurs dans notre industrie. C’est difficile de faire de belles ententes et les respecter, de suivre les commissions, de trouver une formule qui marche. »
Au cabinet où travaille Audrey Hébert, on a développé une autre formule. Plutôt que le partage de commission, on préfère verser un boni confortable aux deux parties. « Je ne me casse pas la tête par la suite et ça nous permet d’avoir une belle relation », dit-elle, satisfaite. Pour avoir vécu les deux systèmes, elle favorise celui du partage de bonis parce qu’il réduit ou élimine les risques de conflits.
IA et ChatGPT
L’IA frappe aux portes du secteur de l’assurance, s’il n’y est pas déjà entré à certains endroits. C’est une avancée très positive aux yeux de Patrick-Olivier Duchesne Lachance. Il croit que beaucoup d’administration pourra être automatisée dans les trois, quatre, cinq prochaines années et y voit un plus.
« Avoir des employés compétents, ça devient difficile. La venue de la technologie va peut-être déshumaniser nos adjointes, mais ça va grandement améliorer nos opérations, selon moi. A-t-on besoin de payer une personne 40 000 $, 50 000 $, 60 000 $ pour entrer des données dans un fichier Excel ou envoyer des courriels pour répondre à une prime de police lorsque ça pourrait être automatisé dans notre pratique ? La question se pose. »
« ChatGPT représente une menace. On peut jaser avec l’application et lui décrire nos besoins et il va nous proposer une assurance », ajoute-t-il.
« Comme conseillers, il faut se réinventer et ajouter de la valeur. On a décrit ce que l’industrie pouvait nous apporter pour avancer. Mais qu’est-ce que je peux faire de différent que les autres ne font pas ? », plaide-t-il. « Moi, je me suis mis à la lecture. Dans les deux dernières années, j’ai lu 40 livres à propos du développement personnel, des finances et de l’entrepreneuriat. Quand je rencontre un client, j’ai le jargon. C’est à moi de me former et être le leader pour prendre de l’avance dans l’industrie », ajoute-t-il.
Une réflexion qu’a partagée Jade Cantin. « C’est à nous de nous distinguer en ayant une approche humaine et d’apprendre à travailler avec l’IA qui va nous outiller, nous aider dans notre façon de travailler », estime-t-elle. « On doit dès aujourd’hui à se mettre à la page là-dessus, prendre de la formation et savoir comment l’utiliser pour ne pas devenir dépassés », conclut-elle.