Les cas de démence précoce vont fortement augmenter au cours des 25 prochaines années, mais cette hausse se fera inégalement selon les provinces, révèlent des projections de la Société Alzheimer du Canada. Cette accélération va surtout se produire en Alberta, en Colombie-Britannique et en Ontario, mais devrait être moins forte au Québec. 

L’âge est le plus important facteur de risque de troubles neurocognitifs. Les diverses formes de démences et la maladie d’Alzheimer apparaissent surtout après l’âge de 65 ans. Elles touchent le tiers des plus de 85 ans.

Quand elles se développent chez des 60 ans et moins, on parle de démence précoce. Le Dr Robert Jr Laforce, neurologue à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du Centre hospitalier universitaire de Québec, traite des patients qui sont à peine dans la trentaine. 

« Les cas à début précoce vont souvent évoluer plus rapidement », précise-t-il en entrevue avec le Portail de l’assurance

Les projections canadiennes d’ici 2050 

Au Canada, dit la Société Alzheimer, peu de recherches ont été menées sur le nombre de personnes vivant avec un trouble neurocognitif à début précoce. L’étude phare estimait leur nombre à environ 28 000 en 2020 et prévoit qu’il va passer à 40 000 en 2050, mais cette hausse se fera de façon inégale selon les provinces, comme le montre ce tableau : 

Les gènes pourraient être à l’origine de 25 à 30 % des cas à début précoce.

« Comme médecin spécialiste, dès que l’on voit un jeune patient, il faut penser à l’aspect génétique et voir s’il y a d’autres membres touchés dans la famille », dit le Dr Laforce.

Le cas le plus célèbre au Québec est celui de Sandra Demontigny, une femme dans la mi-quarantaine atteinte d’Alzheimer, dont elle a hérité génétiquement. Au moins deux de ses quatre enfants sont assurés de se voir transmettre le gène. Leur mère a déjà fait savoir qu’elle allait demander l’aide médicale à mourir parvenue à un certain stade d’avancement de la maladie. 

Effets de la démence précoce au travail 

« Il y a encore dans l’inconscient collectif une vision que la personne atteinte d’Alzheimer a 85 ans, est incontinente et en Centre d’hébergement de soins de longue durée, mais c’est aussi un individu de 58 ans au travail et qui oublie des choses importantes », signale le Dr Laforce.

Les effets d’un diagnostic de démence précoce sont percutants pour ses victimes. Beaucoup d’entre elles sont sur le marché du travail et ont des responsabilités familiales. Il dit recevoir à sa Clinique de la mémoire des architectes, des enseignants, même des médecins en pratique qui en souffrent. 

Il ne le cache pas, être atteint d’une forme de démence précoce marque généralement la fin de la carrière. 

« 99,9 % du temps quand on constate les premiers signes en clinique, ça fait souvent 10 ans que les gens ont remarqué des changements. On leur dit : “Profitez de la vie. Si vous avez toujours voulu voir l’Italie, allez-y, car il ne reste plus beaucoup d’années devant vous.” À partir du moment où une personne consulte à la Clinique de la mémoire, on parle de 4 à 5 ans dans les meilleurs cas de santé cognitive, mais c’est souvent moins », précise-t-il.

La question de l’invalidité devient alors cruciale pour ces personnes. Celles qui sont assurées vont se tourner vers leur assureur pour obtenir les indemnités prévues à leur contrat d’assurance.

Or, observe le Dr Laforce, on voit des gens qui possèdent une assurance prévoyant une démence modérée et/ou sévère, mais pas légère. Il se peut que des personnes ayant reçu un diagnostic de démence légère n’aient pas droit aux indemnités parce que leur contrat ne le prévoyait pas. La maladie risque d’affecter grandement leur sécurité financière, réduire leur épargne-retraite ou leur régime de retraite. 

Les symptômes d’une démence précoce 

Qu’est-ce qui indique qu’une personne de moins de 60 ans puisse être atteinte d’une forme de démence précoce ? Si elle a des oublis qui sont significatifs, indique-t-il : elle n’a pas de souvenirs de la discussion d’hier, elle va se répéter dans ses propos au quotidien.

« Quand les changements au niveau de la mémoire ont un impact fonctionnel, par exemple si la personne s’est perdue en auto, c’est un signe qu’il faut absolument consulter. »

De nouveaux médicaments disponibles… mais pas au Canada 

Pour les individus parvenus aux stades modérés et avancés, pas de guérison ou de retour en arrière possible.

Il y a toutefois un espoir de rémission pour les 60 ans et moins. Les États-Unis, l’Union européenne, la Chine, le Japon et le Royaume-Uni ont approuvé deux médicaments qui modifient le cours d’Alzheimer : Lecanemab et Donanemab

« On parle de 35 % de réduction des symptômes, dit le Dr Laforce. Ils sont utilisés aux États-Unis depuis un an et demi. Prescrits chez des gens qui commencent la maladie, ils permettent de sauver cinq mois de santé cognitive, ce qui est significatif pour les patients qui en bénéficient. » 

Le problème ? Ils ne sont pas offerts ici, car Santé Canada n’a pas terminé ses propres analyses. « Le reste de la planète les a approuvés, mais Santé Canada aime étudier plus longtemps que les autres », ironise le Dr Laforce. 

Prolonger la qualité de vie et la carrière 

Il encourage néanmoins les gens qui présentent des signes inquiétants à consulter tôt afin de permettre à ceux qui sont atteints de démence à début précoce de prolonger leur santé cognitive, leur qualité de vie et leur carrière. 

Il est revenu très stimulé d’un congrès à Philadelphie à l’été 2024. De nouveaux médicaments vont permettre d’enrayer l’amyloïde, une protéine s’accumulant dans le cerveau qui cause la démence.

« Je ne pense pas qu’on pourra enrayer la maladie d’Alzheimer, croit-il. Ça fera toujours partie du vieillissement normal, mais on va être meilleur pour la reconnaître tôt et stabiliser les gens dès qu’ils présentent les premiers signes. »