Les gens qui vivent en zones inondables savent qu’ils peuvent être victimes d’une crue des eaux. Ils sont ainsi mieux préparés sur le plan mental à faire face à ce type de sinistre. Il en est tout autrement des citoyens qui ne vivent pas dans des secteurs considérés à risque, et qui sont victimes d’une inondation. Pour eux, les effets psychologiques peuvent être aussi grands que les dommages matériels qu’ils subissent.
Les répercussions sur ces sinistrés risquent d’être plus grandes que chez des riverains qui s’attendent à ce type d’événement ou qui les ont déjà vécus, croit Emmanuelle Bouchard-Bastien, conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Cette professeure à l’Université Laval a publié il y a deux ans un Examen des pratiques de relocalisations et d’expropriations domiciliaires et de leurs impacts d’un point de vue de santé publique.
« Il y a différents types d’inondations, souligne-t-elle en entrevue au Portail de l’assurance. Vivre sur le bord d’une rivière à portée de crues printanières, c’est très différent de subir un refoulement d’eaux pluviales ou d’égout causé par de grandes pluies sur notre municipalité. Si on est complètement pris par surprise, les conséquences ne seront pas les mêmes », dit-elle.
Un des facteurs qui contribuent beaucoup à amplifier les impacts psychologiques et sociaux, ajoute-t-elle, c’est l’étendue des dommages matériels. Plus de dégâts veut dire plus de nettoyage, plus de fatigue. Les processus administratifs seront peut-être plus importants, que ce soit avec les assureurs privés ou l’État, précise-t-elle. Les conséquences vont se répercuter sur le plan moral.
Vastes répercussions sur la santé mentale
Stress, anxiété, dépression, choc post-traumatique, désespoir, perte de sommeil, les impacts psychologiques chez les sinistrés sont nombreux, décrit-elle. S’ensuivent souvent des incertitudes financières.
Dans une autre étude, intitulée Impacts des inondations sur la santé mentale des Québécois : pourquoi certains citoyens sont-ils plus affectés que d’autres ?, l’INSPQ précise d’autres conséquences à des inondations résidentielles.
Les gens inondés et dont la vie a été perturbée peuvent présenter un trouble obsessionnel compulsif ou un trouble de panique, ou encore un trouble de l’humeur comme la dépression, la bipolarité, la manie ou la dysthymie. Ces états peuvent être aggravés par l’étendue des dommages du domicile inondé : pourra-t-il être rénové, si oui dans combien de temps, à quel coût, suis-je assuré pour ces dommages ou pas, quelle aide financière vais-je recevoir du gouvernement ?
Certains seront peut-être forcés de déménager. Toutefois, se réinstaller à proximité n’est pas toujours facile dans un contexte où les logements disponibles sont rares et souvent chers. Les inondations auront peut-être comme conséquences de forcer des gens à aller vivre dans un autre secteur et de changer les enfants d’école. Les répercussions peuvent grandement chambouler une existence, comme le rapportent des récits d’inondés de Debby.
Comment se préparer à vivre une inondation majeure comme en ont vécu plusieurs victimes de l’ouragan ?
« Ce n’est pas évident, reconnaît Emmanuelle Bouchard-Bastien. Les risques d’inondations seront de plus en plus présents dans les milieux urbains. Ce sera important de sensibiliser la population au fait que même sans être riverain, notre résidence peut être inondée. Il faut que les gens soient conscients que le risque zéro n’existe pas. »
Problèmes de santé mentale
Une enquête de santé menée auprès de 3437 ménages, un an après les fortes inondations printanières de 2019, a révélé que chez 49 % des gens touchés, les assurances ne couvraient pas ces sinistres. Ils doivent donc s’en remettre aux programmes d’aide du ministère de la Sécurité publique.
Un webinaire de l’INSPQ, présenté en décembre 2023, a lancé des mises en garde.
La conférencière Sonia Béland a lancé : « Tant qu’on ne vit pas une inondation, on ne peut pas s’imaginer à quel point ça peut être impactant pour un sinistré, pour les intervenants et les organisations. »
Des déluges, Mme Béland a en vus. Elle œuvre dans le domaine de la sécurité publique depuis plus de 25 ans. Elle a couvert les inondations de 2017, de 2019 et de 2023 ainsi que la préparation aux inondations de 2022, les pluies diluviennes de 2018, la tornade de 2018, la pandémie de 2020 et le verglas de 2023. Elle est technicienne en prévention des incendies, pompière, enquêtrice, instructrice et gestionnaire en sécurité incendie, et détient un certificat universitaire en psychologie du travail.
Sonia Béland a insisté sur la nouvelle particularité des désastres naturels : ce ne sont plus des événements exceptionnels, a-t-elle dit. La façon de les affronter passe donc par l’adaptation. Elle explique que si les citoyens sont parfois conscients qu’ils pourraient être des victimes, après un premier sinistre, ils dévoilent leur désarroi devant les conséquences.
Si un deuxième sinistre survient, c’est alors la frustration qui les envahit, dit-elle. Elle est alors alimentée par les souvenirs du premier événement. Si un troisième se produit, des vies peuvent s’effondrer.
Une autre participante à ce même webinaire, la Dre Mélissa Généreux, décrit quatre types de personnes affectées : les victimes primaires (individus qui ont subi des dommages, des pertes, qui ont été blessés, évacués ou endeuillés) ; les victimes secondaires (les proches des victimes primaires) ; les victimes tertiaires (les intervenants impliqués dans les phases d’intervention et de rétablissement) ; et les victimes périphériques (les individus de la communauté ou qui en subissent les contrecoups.
« Au début, dépeint-elle, on est en mode survie, on fonctionne à l’adrénaline même au niveau psychologique, mais après un certain temps, on s’épuise, on fait l’inventaire et le soutien s’affaiblit avec le temps. Toute cette adaptation dans les mois qui suivent peut être très difficile. »
Délocaliser, une solution ?
Il existe une solution ultime et plus radicale pour échapper aux inondations et à ses multiples conséquences : quitter et s’installer dans un secteur à peu à risque.
Emmanuelle Bouchard-Bastien a réalisé pour l’Institut national de la santé publique une recension de 23 écrits sur les impacts sociaux et psychologiques associés au processus de relocalisation préventive et d’expropriation domiciliaire.
Abandonner sa résidence inondée ou à risque de l’être n’est toutefois pas sans impacts non plus, qu’on le fasse de façon volontaire ou qu’on soit forcé de le faire. Cependant, à tout le moins, on évite les énormes dégâts matériels que peut causer l’eau.