Plateforme de veille internationale en santé et mieux-être au travail, Réseau Global-Watch survole pour ses adhérents les meilleures pratiques à travers le monde et leur offre des outils. Dans un webinaire organisé en mai 2022, l’entreprise a présenté plusieurs enjeux et tendances observées tant au pays qu’ailleurs dans le monde.
Présidente et fondatrice de Global-Watch, Marie-Claude Pelletier a insisté sur certains de ces enjeux, en entrevue avec le Portail de l’assurance. Elle lance d’emblée que nous vivons deux pandémies : celle du coronavirus et celle des enjeux de santé mentale en entreprise. La fatigue pandémique atteint tous les employés : femmes, millénariaux et gestionnaires plus que les autres.
Santé globale des gestionnaires
Marie-Claude Pelletier a observé récemment que la santé globale des gestionnaires soulève des interrogations, et que leur détresse psychologique inquiète au plus haut point. « Particulièrement depuis l’automne dernier, on a vu les employeurs se préoccuper de la santé mentale de leurs gestionnaires. »
Dans sa présentation au webinaire, Mme Pelletier a signalé que gestionnaires et dirigeants d’entreprise sont coincés dans un rôle « sandwich ». En entrevue, la présidente de Global-Watch a expliqué que les gestionnaires doivent souvent gérer des demandes paradoxales : gérer la croissance et des équipes dans un environnement instable de pénurie de main-d’œuvre et de rupture de la chaîne de travail, et en même temps s’enquérir de la santé mentale de leurs employés.
« Cela a été extrêmement exigeant pour les gestionnaires depuis deux ans, et c’est maintenant à eux qu’il faut faire particulièrement attention, insiste Mme Pelletier. Quand on parle de santé en entreprise, on portera souvent le regard sur les employés, mais on oublie les gestionnaires. Il faut y penser. »
La présidente de Global-Watch observe le déploiement de nouvelles pratiques en entreprise telles que nommer la préoccupation, évaluer les risques qu’encourent les gestionnaires et instaurer des solutions qui leur sont dédiées.
Shecession et fatigue de compassion
La Shecession n’est pas qu’un mot à la mode, lance Mme Pelletier. « Elle se voit partout. » La place des femmes en milieu du travail a reculé de façon importante en raison de la pandémie et la conciliation famille-travail, souligne sa présidente. Une situation qui durera, estime-t-elle.
Durant la pandémie, les femmes ont écopé d’une charge mentale et émotionnelle plus élevée que celle des hommes, observe Global-Watch. « Les femmes ont été beaucoup plus interrompues dans leur travail que les hommes pendant la pandémie, parce qu’elles ont agi comme proches aidantes ou s’occupaient des enfants restés à la maison. Elles se sont occupées de tâches domestiques qui n’ont pas nécessairement incombées aux hommes. Les interruptions au travail sont très exigeantes sur le plan psychologique. » C’est ce que Mme Pelletier appelle la fatigue de compassion, ajoutant qu’elle a aussi affecté les gestionnaires en général.
Elle observe que les entreprises tendent à réagir à la shecession. « On a tellement pris de retard que de plus en plus d’initiatives se mettent en branle dans les entreprises. Lorsqu’une entreprise constate le défi de la place des femmes au travail et qu’elle intervient, elle intégrera dans ses programmes de santé mentale et de bien-être une stratégie plus globale de diversité, d’équité et d’inclusion », ajoute Mme Pelletier.
Elle précise que ces stratégies incluent non seulement la place des femmes, mais celle de toutes les minorités, qu’il s’agisse de religion ou d’orientation sexuelle.
Les millénariaux en quête de sens
L’état de santé des millénariaux est « vraiment préoccupant », s’inquiète aussi Mme Pelletier. « Ils ont moins d’expérience sur le marché du travail et ont peut-être moins d’outils pour composer avec les défis du milieu de travail », croit Mme Pelletier.
Elle ajoute que les millénariaux recherchent un sens à leur travail. L’instabilité des employés en témoigne, selon la présidente de Global-Watch qui vit elle-même cette situation comme entrepreneure. « Nous avons un poste ouvert et c’est la quatrième fois que l’on repart le processus d’embauche, confie-t-elle. Je ne suis pas la seule. On le voit partout. »
De plus en plus de stratégies de rétention des employés apparaissent, parce que les gens quittent leur travail, observe Marie-Claude Pelletier. « La pandémie nous a permis de prendre du recul. Est-on sur notre X ? Est-ce ce que l’on veut faire dans la vie ? ».
Dans ses recommandations lors du webinaire, Global-Watch suggère entre autres de créer des espaces libres et propices au dialogue pour les employés et les gestionnaires, pour aider à dénouer les enjeux de santé mentale. La firme suggère aussi d’élargir et de faire évoluer les programmes de soutien. Selon elle, ces programmes sont devenus des facteurs d’attraction et de rétention des employés.
Fatigue pandémique : de sprint à marathon
Mme Pelletier estime que la pandémie a fait réaliser à tous ce que veut dire la santé mentale telle que la définit l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon l’OMS, il s’agit d’un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. La santé est ainsi prise en compte dans sa globalité. Elle est associée à la notion de bien-être, ajoute L’OMS.
Les piliers physique, mental et social sont fondamentaux et les entreprises doivent maintenant les reconstruire, les maintenir et les nourrir dans le quotidien du travail. Autrement, il n’y aura pas de performance durable, croit Marie-Claude Pelletier.
La pandémie a exacerbé des problèmes dont nous étions en partie conscients, selon Mme Pelletier. « Nous avons vécu une fatigue numérique et nous vivons une fatigue pandémique en ce moment. Nous avons dû puiser beaucoup dans nos ressources pour s’adapter constamment : nous avons fait un sprint qui s’est converti en un marathon puis un autre, sans repos. »
La fatigue pandémique a des effets sur l’anxiété, la dépression, les pensées suicidaires et les troubles du sommeil, estime Global-Watch.
Risques psychosociaux : c’est la loi
Marie-Claude Pelletier salue au passage la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (Projet de loi no 59, 2021, chapitre 27). Elle rappelle que cette loi est entrée en vigueur le 6 avril 2022. Selon Mme Pelletier, les obligations quant à l’application des différents volets restent à préciser par le gouvernement au cours des prochains mois voire des prochaines années. « Ce sera graduel. On s’attend à ce qu’il y ait un volet demandant aux organisations de mesurer les risques psychosociaux et d’établir des plans en conséquence. Un peu comme ce qu’on voit en Europe depuis quelques années. C’est donc à surveiller », explique Mme Pelletier.
« La loi vient reconnaître les maladies psychologiques dans le portefeuille des causes de problèmes de santé qui sont assurables », dit-elle. La Commission des normes de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) vient ainsi changer la donne, selon Mme Pelletier. « Les employeurs doivent donc être capables de mesurer les enjeux reliés à la santé mentale et à la capacité de performer, tant des employés que des gestionnaires. »
Marie-Claude Pelletier invite les entreprises à de se doter d’un tableau de bord d’indicateurs pour le faire. « Inclure la santé mentale dans la gestion des risques est hyper important », ajoute Mme Pelletier.
Mesurer les risques
Elle croit que ce virage se déploiera sur une période de trois ans. « Cela ne se fait pas en criant ciseau, lance Marie-Claude Pelletier. Il y a des indicateurs de base communs, comme les taux d’absentéisme et de roulement, mais nous avons identifié 95 indicateurs dans la littérature. »
La présidente de Global-Watch dit rejoindre environ un million d’employés dans une cinquantaine de pays, grâce à ses employeurs adhérents. « Chaque semaine, nous recevons de 2 000 à 3 000 nouvelles dans le domaine de la santé mentale et du bien-être dans le monde. Nous les analysons », dit-elle.
Mettre trop d’indicateurs est un autre piège, renchérit Mme Pelletier. « On ne les suit pas bien et on place trop de contraintes administratives pour des choses que l’on n’utilisera pas optimalement », explique-t-elle. « C’est comme un menu à la carte : tu ne mangeras pas tout ; tu dois prioriser et choisir en fonction de critères et d’étapes. Il y a une démarche à suivre. On ne peut pas simplement copier-coller le tableau de bord d’une autre entreprise », prévient-elle.
L’entreprise qui priorise la santé mentale devra mesurer le problème et ensuite en suivre l’évolution. « Nous n’avons jamais eu autant de demandes pour des indicateurs », révèle la PDG de Global-Watch quant à la mesure de la santé mentale des gestionnaires.
Elle invite les entreprises qui sondent l’état de santé mentale de leurs employés à le faire aussi pour les gestionnaires. « Les gestionnaires s’expriment pour dire qu’ils n’en peuvent plus. Il faut mettre des chiffres, des indicateurs là-dessus ! »
Indicateurs humains
Les indicateurs de performance extrafinancière font tendance, remarque Marie-Claude Pelletier.
« Il est important d’avoir un tableau de bord qui nous permette de suivre ce qui chauffe dans la marmite. » — Marie Claude Pelletier
« C’est ce que j’appelle le double bottom line. Plutôt que de renseigner sur les profits ou les pertes de l’entreprise, cette ligne dit à l’entreprise comment va la santé de son monde, des humains par qui arrive la performance financière. Il est important d’avoir un tableau de bord qui nous permette de suivre ce qui chauffe dans la marmite. »
C’est selon elle un passage obligé vers une croissance durable. Mme Pelletier rappelle que des normes se développent en ce sens sur la scène internationale, citant entre autres la norme ISO45003 sur la santé psychologique et la sécurité au travail. Cette norme publiée en 2021 a été élargie pour aborder la prévention.
Imaginer comment nourrir la santé
Marie-Claude Pelletier a invité la présidente et cheffe de la direction de Banque de développement du Canada (BDC), Isabelle Hudon, à prononcer le mot d’ouverture de son webinaire. « Nous vivons à un moment particulièrement anxiogène de notre histoire », a lancé Mme Hudon.
Isabelle Hudon a évoqué les horreurs en Ukraine, la pandémie qui s’étire et intensifie l’isolement et les difficultés de la conciliation travail-vie personnelle. « Notre santé est collectivement fragilisée par toutes ces vagues successives, les événements récents à Ottawa et ailleurs au pays », dit-elle.
La PDG de BDC croit que les entreprises doivent réfléchir à la façon de gérer ces anxiétés, ces angoisses « pour nos employés, pour nos collègues ». Elle ajoute que la santé mentale des employés est maintenant un facteur de risque pour les entreprises. « Il faut agir en faveur de la santé mentale et prévenir les maladies mentales. Je vous invite à sortir de votre zone de confort et à imaginer des initiatives qui vont nourrir la santé, non seulement physique, mais aussi mentale, particulièrement à un moment où la rétention des employés est un défi de taille », a conseillé Isabelle Hudon.