Les expériences britannique et australienne sont suivies de près au Canada. Qu’en retiendra l’industrie? Rien n’est clair encore, démontre une enquête du Journal de l’assurance.Le Canada vit une problématique particulière. S’ajoutant à l’abolition des commissions intégrées, la possibilité de modifier les normes de diligence associées aux services du conseiller suscite un débat.
L’an dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont envoyé un document de consultation sur les normes de conduite aux conseillers et aux courtiers afin d’évaluer la pertinence d’ajouter l’obligation d’agir au mieux des intérêts du particulier, soit une obligation fiduciaire.
À la fin de 2013, les ACVM ont diffusé deux rapports affirmant qu’il fallait examiner davantage les préoccupations soulevées pendant les consultations, tant en matière de responsabilité fiduciaire que de changements à apporter à la structure tarifaire des fonds communs de placement, afin de coordonner les divers principes liés à ces dossiers. Les ACVM ont alors déclaré qu’ils communiqueraient dans les prochains mois les mesures règlementaires ou les études nécessaires, le cas échéant.
Au Canada, les planificateurs financiers ont actuellement un devoir de vigilance qui les oblige à agir équitablement, avec honnêteté et bonne foi. Pour ce faire, il leur faut connaitre la situation financière du client ainsi que ses objectifs et sa tolérance au risque. Le conseiller est aussi tenu de bien comprendre ce qu’il offre afin d’être en mesure de recommander le bon produit à chacun de ses clients.
Le client décide en ce moment
Il faut toutefois retenir qu’en ce moment, c’est généralement le client qui décide du produit qu’il se procure, soulève Ralf Hensel, directeur des politiques en matière de gestion des fonds à l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC). Or, certains épargnants demandent à leur conseiller de prendre toutes les décisions de placement à leur place.
« Quand un client se présente devant son conseiller en lui disant : “Voici mon argent, je te laisse le placer pour moi”, et que le conseiller accepte, on entre dans ce que l’on appelle une relation fiduciaire, explique M. Hensel. Mais si l’épargnant dit : “J’aimerais que tu me fasses des recommandations, mais je me réserve le droit de prendre la décision finale”, alors on ne parle plus de relation fiduciaire, mais de devoir de vigilance. »
En ce moment, il existe des comptes gérés, c’est-à-dire des cas où le conseiller est dument autorisé par son client à décider de la nature des placements réalisés. Ainsi, le client n’a pas à approuver chaque décision.
Par ailleurs, au Québec, le conseiller est soumis dans certaines circonstances à un devoir de loyauté et à l’obligation d’agir au mieux des intérêts du client. Dans la plupart des cas, la norme canadienne comprend en fait le devoir de vigilance, qui se traduit par un choix de produits approprié, comme le déclarait récemment lors d’une table ronde Jeff Scanlon, conseiller juridique principal de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO).
Définition de devoir fiduciaire
M. Hensel signale en outre que le mot « fiduciaire » n’a peut-être pas la même portée partout dans le monde, mais qu’il est très bien défini par les tribunaux canadiens.
Dans les faits, il est dans l’intérêt du conseiller d’agir au mieux des intérêts de son client, puisqu’un client bien servi lui sera fidèle, avance-t-il.
Si les autorités canadiennes décident d’imposer une obligation fiduciaire universelle, il va sans dire que cela fera surgir diverses questions.
« Faut-il comprendre que le conseiller devra alors donner une garantie de résultats? À mon avis, il ne serait pas réaliste de demander cela au monde des conseillers, car ce faisant, on rend le conseiller responsable des résultats du marché, alors que nul ne peut se porter garant de l’avenir », avertit M. Hensel.
Lors d’une table ronde organisée cet été par la CVMO, l’avocat Harold Geller, du cabinet Doucet McBride LLP, a affirmé qu’il revient désormais au régulateur d’incorporer les responsabilités qui incombent au conseiller tenu d’agir au mieux des intérêts du client.
« En fait, agir au mieux des intérêts du client est une nouvelle expression, dit-il. Et je crois qu’en l’énonçant, la commission des valeurs mobilières et les ACVM doivent indiquer clairement qu’il s’agit d’un principe fondamental. Elle signifie qu’il faudra toujours faire passer l’intérêt du client en premier, et que le conseiller aura à se justifier si jamais on peut soutenir qu’il a recommandé quelque chose qui ne sert pas au mieux les intérêts du client. Je pense que cette façon de faire devrait être la norme, car le conseiller est celui qui se trouve en position d’autorité. »
Certains intervenants de la table ronde ont évoqué la possibilité que l’obligation fiduciaire bouleverse complètement le modèle de gestion de certaines compagnies. Lindsay Speed, de la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs, a répondu que l’industrie allait s’adapter.
« Nous nous attendons à voir de nouveaux modèles de gestion apparaitre. Nous pensons que l’industrie, par sa capacité d’innover, sera en mesure de fournir les services de base dont les gens ont besoin. Le tout serait à prix moindre, ce qui représente un avantage pour les épargnants », a-t-elle déclaré.
Des investisseurs préoccupés
Certains autres défenseurs des investisseurs se sont dits préoccupés du fait que la plupart des clients pensent que leur conseiller est déjà tenu de respecter une norme de diligence les obligeant à « agir au mieux des intérêts du client », ajoutant que toute proposition avancée par le régulateur devrait assurer la protection de l’épargnant.
M. Scanlon, de la CVMO, a affirmé devant la table ronde que la règlementation mise en place en Australie et au Royaume-Uni est « utile et instructive », à un moment où les ACVM sont justement en train d’évaluer la possibilité d’instaurer la notion de responsabilité fiduciaire au Canada.
« Mais ce n’est pas parce qu’on le fait là-bas que c’est la seule avenue qui s’offre à nous, a-t-il fait remarquer. À mon avis, ce qui compte, c’est de faire ce qui convient le mieux aux épargnants d’ici et au marché financier canadien. »
C’est cette préoccupation, surtout en ce qui concerne les petits épargnants, qui a été exprimée à la table ronde sur la structure tarifaire du marché canadien des fonds communs de placement, organisée en juin dernier par la Commission des valeurs mobilières de l›Ontario.
L’une des voix à s’élever fut celle de Greg Pollock, président et PDG d’Advocis, l’association des conseillers financiers du Canada. Il a affirmé que l’abolition de la formule de tarification intégrée actuelle pénaliserait essentiellement les investisseurs qui ne disposent que de sommes modestes à investir et qui sont le moins en mesure de payer.
« Un citoyen canadien consacre en moyenne de 2 500 $ à 2 800 $ par année à ses placements, y compris les fonds communs de placement. Si les conseillers se mettent à facturer des honoraires distincts pour fournir des services actuellement associés à des frais de gestion, l’accès aux conseils financiers deviendra très couteux, pour ne pas dire inabordable pour la plupart des Canadiens. »
M. Pollock est plutôt d’accord avec l’idée de laisser le choix du mode de rétribution au consommateur pour que le marché soit concurrentiel. Ce serait mieux que d’imiter ce qui se fait là où les commissions de tiers sont désormais interdites.
Or, selon Marian Passmore, directrice associée de la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs, l’abolition de ce modèle de gestion qui profite davantage au fonds qu’à l’épargnant tombe sous le sens. « Ce n’est qu’en éliminant ce mode de rétribution conflictuel, notamment les commissions de suivi, que l’on réduira la subjectivité et les motivations douteuses qui peuvent nuire à la relation entre le conseiller et son client. En fin de compte, le consommateur en sortira gagnant, estime-t-elle. C’est le choix à retenir. »