Adieu Liberté 55 ! Les babyboumeurs arrivent à une retraite qui pourrait s’avérer plus longue que prévu. Pourtant, nombre de Canadiens sous-estiment leur espérance de vie et les chances qu’ils ont de vivre jusqu’à 100 ans. Une occasion pour les conseillers de rencontrer leurs clients, disent deux spécialistes.

La longévité s’accroit sous l’impulsion des avancées biomédicales, des habitudes de vie plus saines et d’un meilleur niveau de vie. Les tables de mortalité s’en trouvent décalés par rapport à la réalité et les actuaires tardent à les mettre à jour. Un coup de barre s’impose pour éviter que cet écart mette à mal les régimes de retraite à prestations déterminées. Les Canadiens doivent aussi se prendre en main. Les plus jeunes se dirigent vers une retraite qui durera aussi longtemps que leur vie active, sinon davantage. Pour d’autres, c’est le travail qui durera plus longtemps que prévu.

Lors du Congrès 2012 de l’assurance et de l’investissement, l’économiste et professeur titulaire à HEC Montréal, Martin Boyer, et le vice-président longévité du réassureur RGA Canada, Roland Johnson, ont rappelé aux conseillers l’importance de sensibiliser tôt leurs clients à cette nouvelle réalité négligée par plusieurs.

Quelques chiffres suffisent à balayer les illusions les plus tenaces héritées de l’ère industrielle, durant laquelle les parents des babyboumeurs entamaient à 65 ans une courte retraite, après une longue vie de travail dans des conditions difficiles. « Lesquels d’entre vous ont des enfants nés en 2000 ? Ils ont une chance sur deux de vivre jusqu’à 100 ans. La moitié des enfants nés en 2007 au Canada vivront jusqu’à 104 ans », a révélé M. Boyer.

Il estime aussi que l’adulte moyen peut aujourd’hui espérer vivre jusqu’à 90 ans. Chacun a plus d’emprise qu’il ne le croit sur cette longévité. « Nous pouvons contrôler 65 % de notre longévité grâce à l’exercice, l’alimentation et d’autres habitudes de vie saines. L’hérédité n’en détermine que 25 % et l’éducation reçue étant enfant, 10 %. »

M. Boyer croit donc qu’il faut dire adieu au concept de « Liberté 55 », slogan popularisé par London Life, dans les années 1980. « Les enfants nés à partir de 2000 et qui prendront leur retraite à 55 ans devront financer 45 ans de consommation personnelle, croit-il. Mission presque impossible, à moins d’augmenter sensiblement les contributions, voir cotiser de façon substantielle aux régimes de retraite individuels, collectifs ou à prestations déterminées. »

Mise à jour à faire

L’économiste note par ailleurs que le déficit actuariel des régimes de retraite à prestations déterminées tient en grande partie aux tables de mortalité que les actuaires n’ont pas mises à jour en fonction des nouvelles espérances de vie. « Les modèles actuariels se sont trompés à chaque fois sur l’évolution de l’espérance de vie, tant à la naissance qu’à l’âge normal de la retraite, soutient M. Boyer. Aujourd’hui, leurs projections d’espérance de vie ont été dépassées par l’avancée rapide des facteurs favorables à la longévité, principalement les avancées biomédicales. »

Selon lui, le risque de longévité peut entrainer un écart d’environ 9 % entre l’actif d’un régime de retraite et ses engagements envers les retraités. « Si nous transposons ce risque à l’ensemble de la société, il faudra aussi capitaliser de 9 % l’épargne des particuliers dans les REER individuels ou collectifs des particuliers », observe M. Boyer.

Il demeure pourtant difficile de conscientiser la population à ce risque. « Personne ne prévoit vivre jusqu’à 90 ans, car peu sont ceux qui y sont parvenus dans notre entourage. Nos parents vivaient dans un monde où la qualité de vie était bien différente. Un homme de 70 ans a aujourd’hui la santé qu’avait un homme de 60 ans, il y a 50 ans. Nous vivons plus vieux et plus en santé », dit M. Boyer.

Puisque les babyboumeurs vivront au moins 10 ans de plus que leurs parents, la « règle des 65 ans » devrait devenir celle des 75 ans. « Vous devez convaincre vos clients de planifier au-delà de 70 ans, de planifier sur un horizon de 100 ans. C’est important pour la société québécoise et c’est pour vous une énorme opportunité », lance le professeur des HEC.

Roland Johnson, de RGA, rappelle l’amélioration marquée des dernières années de l’espérance de vie pour les Canadiens de 65 ans. Alors que depuis 50 ans, elle progressait d’environ 1 % chaque année, elle a progressé de 2,5 % à 3 % par an dans les dix dernières années, pour les Canadiens de cet âge. L’amélioration annuelle a de plus été davantage marquée chez les hommes, dont l’espérance de vie est depuis longtemps inférieure à celle des femmes.

Impact énorme

Cette nouvelle longévité s’ajoute à des marchés financiers volatils et de bas taux d’intérêt. L’impact financier sur l’épargne retraite des particuliers et les caisses de retraite est énorme. « Les tables de mortalité ont sous-estimé l’espérance de vie de 1 %, ce qui rend, par exemple, une caisse de retraite déficitaire de 3 %. Il faut renflouer les coffres d’une manière ou d’une autre », dit M. Johnson. L’exemple vaut pour les épargnants individuels.

L’actuaire croit que les institutions financières peuvent offrir aux régimes de retraite ou aux individus des outils qui leur permettront de réduire le risque de longévité. Si la rente viagère s’impose de plus en plus pour couvrir le risque de longévité et d’investissement des particuliers, des produits émergents pourraient sauver la mise des régimes collectifs, comme les swaps et les obligations de longévité.

Même si ces nouveaux produits sont mieux connus en Europe, M. Johnson observe que le marché canadien de la longévité est beaucoup plus actif qu’on ne le croit. « Les régimes collectifs transfèrent annuellement aux assureurs entre 1 milliard de dollars (G$) et 1,5 G$ de risque de longévité. Du côté individuel, les achats de rentes viagères auprès des assureurs atteignent 1,5 G$ », dit-il.