L’absence d’évaluation périodique des immeubles à condos, le flou entourant le droit de subrogation des assureurs et les règles obscures encadrant l’assurance responsabilité des administrateurs sont quelques exemples des vides règlementaires que présente l’assurance des copropriétés. Ces failles doivent être comblées pour mieux assurer les condominiums, disent des experts.Ce sujet a été à l’ordre du jour du forum concluant les journées de consultation du Comité consultatif sur la copropriété, tenu le 4 mai dernier. Les travaux étaient menés conjointement par le ministère de la Justice du Québec et la Chambre des notaires du Québec. Le Comité doit remettre son rapport au ministre au cours de l’été 2012. Le forum du 4 mai visait à trouver un consensus final sur les points à inclure au rapport avant son dépôt.
Quelques intervenants de l’industrie de l’assurance ont pris part aux consultations. Lors du forum du 4 mai, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) et la Chambre de l’assurance de dommages étaient représentés. Le BAC a d’ailleurs fait quelques suggestions, en plus de présenter un mémoire. L’une d’entre elles est d’obliger les copropriétaires à tenir un registre des parties privatives. Par une telle mesure, les propriétaires de condos seraient obligés d’inscrire dans ce registre toute amélioration apportée à leur unité de logement.
Besoin criant pour les assureurs
« C’est un besoin criant pour les assureurs, a dit Me Marie-Pierre Grignon, directrice des affaires techniques et juridiques au BAC. C’est souvent sur la question des améliorations que les assureurs ne réussissent pas à régler les sinistres. Il faut trouver un moyen de conserver cette information. Ce qui manque, c’est le point de départ. »
Cette proposition a entrainé quelques réactions. La coprésidente du Comité, Me Christine Gagnon, une notaire et spécialiste en matière de copropriété, a fait remarquer qu’inscrire de telles données dans un registre serait facile pour les copropriétés neuves, mais qu’il n’en serait pas de même pour les anciennes.
Jan Towarnicki, de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec, a ajouté qu’il était difficile d’établir la valeur d’une amélioration dans un condo. « Quand un copropriétaire change son tapis, il le remplace rarement par le matériel d’origine. Il l’améliore. Or, l’assureur paie la base lors d’une réclamation, l’assuré devant couvrir la différence. Ça prend un temps considérable à régler et on voit des copropriétaires qui sont en chantier pendant des semaines, voire des mois, le temps que les assureurs s’entendent », a-t-il dit.
M. Towarnicki a aussi fait remarquer que les assureurs étaient de plus en plus exigeants quant à l’information qu’ils demandent. « Ça peut aller jusqu’au nombre de couches de peinture appliquées sur un mur », a-t-il dit.
Il s’est aussi questionné sur la durée de vie d’un tel registre. « En 2050, est-ce qu’on pourra se fier aux données qui ont été inscrites au fil du temps? », dit-il.
Me Yves Joli-Cœur, avocat chez De Grandpré Joli-Cœur et spécialiste en droit des copropriétés, est aussi intervenu sur la question. Il siégeait au Comité à titre de représentant du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec, auquel il a contribué à la création à la fin des années 1990.
Il s’est questionné sur la perte de valeur de certains matériaux au fil du temps. « Comment leur valeur serait-elle reconnue par les assureurs? », a-t-il demandé.
Amélioration?
« La mélamine (contreplaqué) valait très cher à la fin des années 1980. C’est aujourd’hui un matériau bas de gamme. Est-ce une amélioration si un copropriétaire remplace ses armoires en mélamine, qu’il a payées le gros prix en 1990, par des armoires en chêne? Est-ce une amélioration si on change un matériau par un autre? », a-t-il dit.
Nathalie Bédard, membre du conseil d’administration de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec, ajoute que c’est un problème souvent rencontré par les professionnels membres de son organisme. « Cela doit être éclairci, a-t-elle dit. Lorsqu’on regarde le standard de départ, comment établit-on le matériau équivalent et le cout de remplacement? »
Les participants au forum en sont toutefois venus à un consensus. Le rapport que le Comité déposera demandera à ce que la loi définisse ce qu’est une amélioration.
Droit de subrogation contesté
Le forum a aussi discuté du droit de subrogation des assureurs. Lors d’un sinistre, c’est la police responsabilité civile du syndicat qui couvre les dommages causés aux parties privatives des copropriétaires. Généralement, les assureurs renoncent à leur droit de subrogation, sauf pour les vieux chauffe-eau qui fuient, car il est facile d’établir la négligence du copropriétaire. Celui qui fait déborder son bain ou qui oublie de la friture sur un poêle n’est habituellement pas poursuivi.
Le BAC a ainsi demandé à ce que les assureurs puissent conserver leur droit de subrogation. « L’assureur suit l’assuré. On le voit dans le marché locatif. Ça doit suivre le droit de l’assuré », a dit Me Grignon.
Me Joli-Cœur s’est questionné sur la portée que pouvait prendre ce droit de subrogation. « Si on convient que chaque assuré doit prendre une police d’assurance responsabilité civile de 2 millions de dollars (M$), que devront faire les copropriétaires qui habitent dans des immeubles de 10 unités? Devront-ils prendre une couverture de 20 M$? Y a-t-il un assureur qui offre une telle prime et qui a les reins assez solides pour le faire? Si on va dans cette voie, des gens se retrouveront à la rue. De plus, personne ne voudra plus acheter de condos », a-t-il dit.
Me Joli-Cœur a aussi fait remarquer qu’il serait difficile d’expliquer à un assuré qu’il pourrait se faire poursuivre à partir de la quotepart qu’il paie sur la police d’assurance responsabilité civile du syndicat. « La position du BAC me préoccupe énormément », a-t-il dit.
Jan Towarnicki, de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec, a ajouté que la « non subrogation » demeurait essentielle dans le marché du condo. « Sans cela, la situation sera ingérable », a-t-il dit.
Me Grignon, du BAC, a alors fait remarquer que plusieurs syndicats étaient mécontents que des assureurs renoncent volontairement à ce droit lors d’un sinistre. Dans son mémoire, le BAC écrit que considérer le droit de recours contre le copropriétaire pourrait responsabiliser les copropriétaires.
Me Joli-Cœur a dit qu’il croyait possible de trouver un équilibre. Le Comité a conclu qu’il serait préférable que chaque copropriétaire souscrive une assurance responsabilité civile individuelle.
La subrogation complète souhaitée par le BAC n’a pas fait l’unanimité. Le Comité est néanmoins venu à un consensus en suggérant que la possibilité de subrogation devrait être faite dans des limites raisonnables, qui ne vont pas au-delà de la capacité de l’assurance responsabilité individuelle.
Cout de reconstruction déficient
Pour l’assurance responsabilité civile des administrateurs, le principal problème relevé a été celui du cout de reconstruction. Nathalie Bédard, de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec, a relaté qu’un administrateur d’un immeuble à condos lui avait déjà confié qu’il avait lui-même établi la valeur de reconstruction du bâtiment.
« C’est épeurant. On voudrait que ce soit obligatoire qu’un professionnel établisse le cout de reconstruction. On voit que les administrateurs font beaucoup de choses par eux-mêmes. Nous sommes les professionnels qui devons faire ce genre de travail. L’idéal serait que l’évaluation se fasse aux trois ans, au minimum aux cinq ans », a-t-elle dit.
Sur ce point, Me Joli-Cœur n’a pas été tendre envers l’industrie de l’assurance. « En assurance des biens, les assureurs se ferment les yeux. Ils demandent au copropriétaire de leur donner un montant pour les couvrir. Le copropriétaire est alors assuré pour ce montant. Lors de la revente, il est essentiel pour le courtier immobilier de savoir si l’immeuble est suffisamment assuré. De plus, si on veut éviter aux intermédiaires en assurance de se faire dire qu’ils n’ont pas fait leur travail devant les tribunaux, ça prend des règles claires », a-t-il dit.
Maya Raic, PDG de la Chambre de l’assurance de dommages, a rappelé que son organisme invitait les courtiers et agents qu’il supervise à faire appel aux services d’un évaluateur agréé pour évaluer le cout de reconstruction. « Le professionnel en assurance n’est pas apte à établir ce cout. Il faut toutefois comprendre qu’il y a des couts associés à cela. Les syndicats de copropriété devraient le faire. Vu le cout, c’est plus difficile pour les maisons individuelles », a-t-elle dit.
Le Comité est arrivé à un consensus sur cette question. Il sera recommandé au ministère de la Justice d’imposer aux syndicats de copropriétaires l’évaluation de la valeur de reconstruction de leur immeuble aux cinq ans.
Formation recommandée
La question de la formation du professionnel en assurance n’a pas été à l’ordre du jour lors du forum, mais le BAC en a fait mention dans son mémoire. L’organisme recommande que la formation obligatoire du représentant certifié en assurance des entreprises comprenne une formation complète en matière de copropriété.
« Ensuite, il appartiendra à chaque représentant qui œuvre dans le domaine de la copropriété de suivre la formation complémentaire et continue nécessaire, selon sa pratique, pour conseiller adéquatement ses clients. Cette formation devra être disponible et dument mise à jour. »
Par ailleurs, la Chambre de l’assurance de dommages a mis en place un comité ad hoc pour identifier les problèmes liés aux immeubles en copropriété. Son mandat sera de fournir un soutien aux membres de la Chambre pour leur permettre de mieux maitriser les différents produits reliés à ce domaine particulier. Il les aidera aussi à bien conseiller leurs clients, afin d’assurer une meilleure protection des intérêts du public. Ce soutien pourrait prendre la forme d’outils pratiques ou de formation.