Malgré une forte compétitivité entre les assureurs dans le marché du transport, les camionneurs subissent une hausse des primes depuis un peu plus d’un an, tant pour les bons que les mauvais dossiers.

Les courtiers et assureurs interrogés par le Journal de l’assurance ont souligné que cette hausse s’était amorcée à la fin de 2015. La hausse va ainsi de 5 % à 30 %, en fonction de la qualité du dossier.

Il y a un an, Jean-François Desautels, premier vice-président, Québec d’Intact Assurance, avait confié au Journal de l’assurance que sa compagnie comptait augmenter les tarifs de tous les segments de l’assurance automobile, dont, en premier lieu, le camionnage. Intact est d’ailleurs le joueur dominant dans ce segment au Québec.

La hausse annoncée s’est concrétisée, souligne Yanike Gaudet, directrice principale, centre d’affaires transports, division du Québec chez Intact. Elle affirme que le niveau des primes recherché aujourd’hui ressemble à celui que les transporteurs payaient il y a plus de 15 ans. « C’était un réajustement nécessaire pour atteindre un niveau de rentabilité. »

Des risques plus onéreux

Alors que le vol de cargaison était un fléau à éradiquer il y a quelques années, ce n’est plus particulièrement un problème pour les courtiers et assureurs, sans pour autant assumer que le risque est nul.

« L’industrie du camionnage s’est conscientisée face à cet enjeu, a réagi et a pris des mesures pour renforcer la sécurité des cargaisons, » souligne Luc Bouchard, directeur principal, transport et logistique, chez Northbridge Assurance.

Même si le vol semble en baisse, ça ne veut pas dire qu’il n’y en a plus. Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) a d’ailleurs noté une recrudescence au cours de la dernière année, dans ses données qu’elle collecte conjointement avec l’Alliance canadienne du camionnage, avec qui elle a mis sur pied un programme national qui vise à répertorier les vols de cargo au pays. Ainsi, en 2016, le nombre de cargaisons, camions et remorques volés s’est élevé à 1 679, contre 836 en 2015. De ceux-ci, 1 281 ont été retrouvés en 2016 et 527 en 2015. Le BAC évalue la valeur monétaire des vols à 42,3 millions de dollars (M$), dont 25,2 M$ retrouvés. Le BAC indique que ce ne sont pas tous les vols de cargo qui sont rapportés à cause des répercussions que cela pourrait avoir sur la réputation de l’entreprise ou sur les primes d’assurances.

Des accidents couteux

Les accidents hors Québec, particulièrement aux États-Unis, impliquant des personnes et des blessures corporelles, sont parmi les réclamations les plus couteuses, puisque plusieurs facteurs entrent en ligne de compte.

Les assureurs doivent couvrir les factures médicales, les frais d’avocats en cas de poursuite et les dommages aux véhicules impliqués encourus. Avec le taux de change désavantageux aux Canadiens, les couts deviennent faramineux.

« Chez nos voisins du Sud, les réclamations gonflent considérablement parce qu’il faut aussi gérer les poursuites en cas de blessure ou de mort des personnes impliquées dans l’accident, » explique Maxime Poulin, vice-président exécutif et associé chez Ostiguy & Gendron.

Les sinistres qui impliquent un déversement de produits toxiques qui peuvent affecter l’environnement se trouvent aussi parmi les plus chers. « Le cout de décontamination de sites d’accidents a connu une hausse vertigineuse en raison des normes environnementales à respecter et des procédures d’intervention. Cette hausse est exponentielle. Elle est liée à la quantité de polluants déversés sur les lieux du sinistre, » relate Yanike Gaudet, d’Intact.

Luc Bouchard, de Northbridge, ajoute qu’il est important d’intervenir rapidement lorsque surviennent des sinistres où des personnes sont impliquées ou qui portent atteinte à l’environnement. « Il y a une nécessité d’avoir une équipe présente partout en Amérique du Nord. C’est une des particularités d’œuvrer dans l’industrie du transport. »

Yanike Gaudet soulève la même problématique. « Nous devons agir rapidement, puisque le camion est leur outil de travail. Il est important de le remettre en marche rapidement pour éviter les pertes d’exploitation pour le transporteur. »

Une législation plus pointue

Luc Bouchard, de Northbridge, ajoute que le marché du camionnage en est un où la législation change beaucoup, tant du côté canadien qu’américain. « En tant qu’assureur, il faut être capable de s’adapter. »

Lorsqu’un sinistre survient en Ontario et aux États-Unis, les réclamations se compliquent davantage et les montants gonflent en importance. Un manque de connaissances des différentes législations pourrait mettre en danger la protection.

« Il faut tenir compte des règles non seulement de la SAAQ, mais aussi du Department of transport aux États-Unis et de différents organismes de règlementation à travers les provinces canadiennes, explique Matthieu Préfontaine, président de M2 Assurances. Pour un assureur qui n’est pas spécialisé en transport, ça peut devenir compliqué. N’entre pas qui veut dans le marché de l’assurance camionnage. »

Rentabilité variable

Tous les courtiers s’entendent pour dire que le marché du camionnage est plus rentable pour eux que pour les assureurs. C’est ce qui explique en partie la hausse des primes de la part de ces derniers.

« Pour le courtage, c’est très rentable, assure Hugo Langlois, vice-président chez Assuraction Transport Expert. Pour les assureurs, c’est une autre paire de manches. Il y a un fort volume de primes. Toutefois, les pertes sont élevées. »

D’ailleurs, M. Langlois note que les assureurs considèrent comme « bon » leur ratio combiné lorsqu’il atteint 70 %. « Pour notre cabinet, même si nos résultats ne sont pas optimaux, nous sommes parmi les meilleurs en ce qui concerne le ratio combiné, qui se situe à 60 %. Du côté des assureurs, ils avoisinent en moyenne 100 %. »

Luc Bouchard, de Northbridge, dit voir des différences d’un assureur à l’autre. « Pour nous, il y a autant de tarification qu’il y a d’assurés. Nos solutions sont personnalisées à chacun. La rentabilité varie. Nous visons la rentabilité en faisant de la prévention, en mettant à contribution une équipe de prévention des risques auprès de nos assurés, » ajoute-t-il.

De plus, le taux de change américain qui s’est maintenu en moyenne à 1,33 $ canadien en 2016. C’est un autre facteur qui a contribué à la hausse des primes.

« C’est un enjeu qui est très souvent évoqué de la part des assureurs. Il est aussi connu des assurés », dit Kathleen Ann Rake, vice-présidente au développement des affaires chez Univesta Rake assurances. La faiblesse du dollar canadien amène donc une augmentation du prix et de la valeur d’un camion lors d’une réclamation. « Pour un camion qu’on payait 120 000 $ à l’époque, on en paie maintenant 200 000 $ », évalue Hugo Langlois.

Le taux de change joue aussi un rôle lors de la réparation des camions, puisque les pièces proviennent en majeure partie des États-Unis, dit Yanike Gaudet, d’Intact Assurance.

De nouveaux joueurs

Bien que la rentabilité soit faible pour les assureurs dans le marché, le volume de primes attire de nouveaux joueurs. Ils viennent concurrencer les compagnies qui œuvrent dans le marché depuis belle lurette. Et les assurés bénéficient de cette compétition. « L’arrivée de nouveaux joueurs met de la pression sur ceux qui sont déjà présents puisqu’ils offrent des prix compétitifs. C’est ce que les entreprises de transport recherchent », dit Mme Rake.

Mais plusieurs départs du marché donnent le champ libre aux assureurs qui y demeurent d’augmenter leurs prix. « C’est un cercle qui ne finira jamais », souligne Mme Rake.