Deux experts en cardiologie proposent aux assureurs d’évaluer le risque de réhospitalisation en assurance voyage en fonction de l’état de santé de l’assuré, plutôt que de se fier uniquement à la stabilité de sa condition médicale. Ils leur proposent une solution logicielle dont les algorithmes pourraient permettre d’assurer des personnes qui ne l’auraient pas été auparavant. 

Le risque de réhospitalisation d’un patient serait mal évalué par les assureurs, qui se fondent principalement sur la stabilité pendant un certain temps d’une condition de santé préexistante, soutient le Dr Christian Lamarre, cofondateur de Medtech Insurance

L’idée d’innover est survenue après que son père, le Dr Claude Lamarre, se soit fait refuser une assurance voyage pour une croisière. Il s’était fait installer un stimulateur cardiaque (pacemaker) cinq mois et demi auparavant, après un épisode de bradyarythmie survenu à l’intérieur de ce délai. Son état de santé devait être stable depuis au moins six mois pour être assuré. 

« Pourtant, il n’avait pas d’autres problèmes, il était en parfaite santé », déplore Dr Lamarre, fils, qui a trouvé en cette anecdote la bougie d’allumage du projet Medtech, il y a un peu plus de deux ans. 

L’urgentiste et médecin de famille s’est associé au cardiologue David Ian Paterson, ayant signé plus de 200 publications sur les crises cardiaques, pour fonder Medtech Insurance. La jeune entreprise a obtenu du soutien financier d’Amazon Web Services et du NVIDIA Inception Program

L’âge comme facteur discriminatoire 

C’est que l’âge n’est pas le seul facteur de risque à considérer lorsqu’un assureur doit trancher à savoir s’il couvre un client âgé, font valoir les médecins. « Ces facteurs ne sont pas nécessairement évalués ou objectivés dans la détermination de la stabilité du patient, détaille Dr Lamarre. Certaines couvertures exigent six mois de stabilité plutôt que trois, mais il n’y a rien de magique par rapport au temps qui est passé. Et si l’âge est choisi comme facteur déterminant, on discrimine les personnes âgées qui n’ont pas d’ennuis de santé. »

En général, les assureurs exigeront avant le départ une période de stabilité de 3 mois pour un voyageur de 0 à 54 ans, et de 6 mois pour un voyageur de 55 ans et plus, peu importe la durée du voyage.

« Quand on regarde les problèmes cardiaques, il existe des facteurs de risque qui prédisent des événements à court terme, on parle de trois à six mois, renchérit Dr Paterson. Mais il existe d’autres facteurs, comme le cholestérol, par exemple, qui prédisent des risques à plus long terme, sur une dizaine d’années. C’est complètement différent. » 

Pourtant, ceux-ci ne sont pas pris en compte dans la détermination de la couverture en assurance voyage, ce qui fait croire à Pierre Saddik, actuaire spécialisé en assurance voyage et président de Saddik International que la méthode d’évaluation actuelle est désuète. Il est aussi d’avis que l’historique médical d’un patient n’est pas nécessairement représentatif de son état de santé actuel. 

« Certains assureurs ont peu d’intérêt de changer leurs façons de faire si ça n’augmente pas leurs profits, réfléchit-il. Mais ils délaissent ainsi des clients potentiels. » 

L’actuaire use d’une analogie avec l’assurance automobile pour faire valoir son point de vue. « C’est comme si la voiture n’était pas assurable dans le premier mois après avoir fait réparer ses freins, illustre-t-il. Le corps qui vient d’être opéré est considéré être en mauvais état pendant les premiers mois alors qu’on sait qu’il vient d’être soigné. » 

Et le patient ayant pris soin de sa santé se voit pénalisé, comme le père de Dr Lamarre, alors qu’un autre individu n’ayant pas consulté avant de souscrire à une assurance voyage pourrait être bien plus à risque et l’ignorer, ajoute M. Saddik. 

Primes adaptées 

En se fondant sur une revue de littérature approfondie, les fondateurs de MedTech ont analysé de nombreux facteurs permettant de prédire le risque de réhospitalisation après un épisode cardiaque. Ils en ont créé un outil de calcul dynamique pour déterminer le risque réel à assurer un individu. 

Après avoir entraîné cet outil avec les principaux problèmes cardiaques comme l’angine, le blocage d’artères, ou l’eau dans les poumons, le modèle a été élargi à d’autres enjeux de santé rencontrés par des patients aînés, tels que les risques de chute ou de fracture, les problèmes pulmonaires ou la diarrhée du voyageur, par exemple.

La somme de tous ces facteurs combinés permet d’obtenir le calcul dynamique et quasi instantané d’une prime d’assurance sur mesure, et tenant compte de la condition réelle de santé de l’assuré. Il remplit lui-même un questionnaire détaillé en ligne.

« On a réalisé que beaucoup de questions ayant une grande valeur prédictive n’étaient jamais ou que très rarement posées, relève Dr Lamarre. On a beau avoir des années de données, sans ces données prédictives, on ne peut pas être suffisamment précis dans notre analyse de risques. » 

« Une des raisons pour lesquelles ces questions ne sont pas toujours posées, c’est qu’en posant trop de questions, des assureurs craignent de perdre la vente d’un produit », précise M. Saddik. 

Le fait d’ajouter des questions supplémentaires et de laisser l’intelligence artificielle calculer le risque élimine aussi la subjectivité du médecin traitant, qui peut se plier au désir de son patient de voyager ou non dans son verdict. 

Le fait que ce soit le client qui remplisse lui-même sa déclaration le responsabilise aussi dans la démarche. 

« Révolutionnaire » 

Le président du conseil d’administration du courtier Fort Assurances, Stéphan Bernatchez, qui siège aussi au conseil d’administration de Medtech, trouve « révolutionnaire » l’initiative des Drs Lamarre et Paterson. 

« Ce qui est fantastique, c’est qu’il s’agit d’un outil de souscription, note cet ancien spécialiste de l’assurance en dommages. C’est comme si, à part l’âge de la bâtisse, on obtenait le rapport d’ingénieur sur les gicleurs et le rapport de l’état du toit. On a tout ça au moment de la souscription, ce qui permet de voir si le risque est pire ou meilleur, selon les données. » 

« Ça fait en sorte que même si un client a subi une crise cardiaque il y a cinq mois, si tous les autres éléments pris en considération ne le placent pas à risque, il pourrait être assurable », renchérit M. Bernatchez. 

De cette façon, selon M. Bernatchez, davantage de voyageurs seront assurés ce qui se traduira par des revenus supplémentaires pour les assureurs, et les assurés paieront le juste prix pour leur protection. 

Un modèle qui reste à être adopté 

Somme toute encore récent, le calculateur développé par Medtech suscite l’intérêt de certains assureurs, mais aucun ne l’a encore adopté. 

« Nous avons la solution informatique complète, qui pourrait être implantée aux couleurs de chaque assureur qui décide de l’acquérir. Il aurait son portail à lui, et notre plateforme sécurisée se trouverait en arrière grâce à un API [ndlr : interface de programmation d’application] », explique Christian Lamarre. 

Or, de nombreux assureurs ne disposent pas de technologies suffisamment performantes pour permettre l’intégration de l’outil de MedTech. 

« Je ne suis pas convaincu qu’en ce moment, les plateformes utilisées par les assureurs ont la puissance nécessaire pour pouvoir ajouter des questions ou pour intégrer nos calculatrices performantes : les formules sont peut-être un peu trop avancées par rapport à ce qui existe en ce moment sur le marché », soutient Dr Lamarre, qui publiera avec son associé un article sur leur projet dans le Travel Insurance Journal, à l’automne 2025.