Selon le PDG d’Intact Corporation financière, Charles Brindamour, trois thèmes principaux devraient mobiliser les forces vives de la collectivité au Canada : l’évolution de la technologie et son impact sur la vie des gens, l’impact des changements climatiques et la transition, et enfin, la prospérité et la répartition des richesses. 

M. Brindamour était l’invité du Cercle canadien de Montréal, le 26 septembre dernier*. Son passage était prévu en février 2022, mais il avait été reporté en raison d’une nouvelle vague de la pandémie. 

Il a pris un moment pour remercier les équipes d’Intact dans les provinces de l’Atlantique qui aident les assurés à se remettre du passage de la tempête Fiona les 23 et 24 septembre.

Avant de se préoccuper de l’avenir, le PDG d’Intact a d’abord fait le point sur l’évolution de l’entreprise depuis son précédent passage devant le même groupe, lequel avait eu lieu en 2017. 

Les bouleversements ont été nombreux, indique M. Brindamour, et pas seulement en raison de la pandémie de COVID-19. « Chez nous, quand je regarde ces cinq dernières années, ce qui anime les équipes, c’est l’adversité et la turbulence. C’est dans ces moments-là qu’on brille. C’est aussi un élément clé de l’esprit d’Intact, si vous voulez, soit de sortir meilleur et plus fort de l’adversité », dit-il. 

En cinq ans, le nombre de clients a presque doublé. « Aujourd’hui, on assure un Canadien et une PME sur quatre au pays », dit-il.

Le nombre d’employés a doublé, soit environ 26 000 personnes dans le monde, dont 18 000 au Canada et 6 000 au Québec. Les revenus de l’entreprise ont plus que doublé. De leader canadien, Intact est devenu l’un des grands joueurs mondiaux en assurance de dommages, grâce à sa présence aux États-Unis, en Angleterre et en Europe. 

De plus, « l’entreprise a remis environ 635 M$ à 1,2 million de Canadiens pour qu’ils passent à travers les périodes difficiles », rappelle-t-il. 

Prudence et performance 

Selon M. Brindamour, deux éléments guident la gestion de l’assureur et participent à son expansion : la prudence qui permet de tirer avantage des périodes de bouleversement, et le désir d’être meilleur que la concurrence dans les pays où l’assureur est présent. 

« C’est au cœur de notre processus de réflexion. Au cours des cinq dernières années, nous avons battu nos compétiteurs en matière de retour sur le capital par environ 60 % », ajoute-t-il. 

Le grand patron d’Intact souligne la place de Montréal comme centre névralgique mondial de l’assureur. Y sont présents « plusieurs de nos grandes forces, que ce soit au niveau de la trésorerie, du service juridique, de la gestion des risques, de l’actuariat, etc., et aussi une super équipe qui s’occupe des placements ». 

La technologie 

Charles Brindamour a ensuite parlé des grands axes de préoccupation qu’il juge importants. Grâce à l’évolution technologique, les Canadiens sont presque tous connectés et bon nombre d’entre eux utilisent la téléphonie mobile dans leur vie quotidienne. Chez l’assureur, plus de la moitié des transactions passent par le téléphone. 

La consommation en ligne a fait un bond de 50 % en trois ans et on s’attend à une progression similaire dans les trois prochaines années. Plus de 2 millions de Canadiens utilisent l’espace client d’Intact et 70 % des soumissions sont faites par cette plateforme numérique. 

L’avènement de la téléphonie 5G contribuera à accentuer ce virage numérique. « On s’attend à ce que d’ici 2030, 80 % des gens dans les marchés où nous serons présents aient accès à des connexions beaucoup plus rapides », indique-t-il. 

Par ailleurs, les objets connectés et le métavers changeront l’expérience client de manière importante, selon M. Brindamour. « Ça fait plusieurs années qu’on se concentre là-dessus, chez Intact, en particulier au niveau de la simplicité, de la transparence et du rapport qualité-prix », dit-il. 

Le pouvoir d’achat des Canadiens est en baisse, en raison de l’inflation, et l’importance du rapport qualité-prix sera encore plus évidente. « Le client décide qui gagne. Évidemment, on veut gagner », note M. Brindamour. 

L’équipe de 250 personnes dirigée par Imen Zitouni, saluée par le grand patron de l’assureur, s’occupe d’améliorer l’expérience numérique du client. « On a ici des compétences de classe mondiale », dit-il. 

La démocratisation des données est aussi facilitée par l’évolution numérique. Même si les données collectées seront multipliées par trois dans les trois prochaines années, leur coût de traitement suivra la même tendance, alors que le coût d’entreposage est en baisse constante. 

Charles Brindamour estime que le tiers de l’avantage concurrentiel d’Intact vient de sa capacité à traiter les données. Le laboratoire de données d’Intact, dirigé par Isabelle Girard, compte 400 spécialistes de l’intelligence artificielle qui travaillent à appliquer la recherche dans les activités de l’assureur. Le DataLab est largement ancré à Montréal. 

« Notre objectif en intelligence artificielle est très clair depuis plusieurs années : c’est d’être les meilleurs au monde en intelligence artificielle dans le monde de l’assurance. Je pense qu’on est en très bonne voie d’y être si on n’y est pas déjà », dit-il. 

Il faut investir davantage en innovation et le Canada n’est pas un leader en ce domaine, avec à peine 1,3 % du PIB consacré à la recherche et développement (R-D). « Nos compétiteurs les plus féroces investissent plus du double, à près de 3 % », dit-il.

Au Canada, seulement la moitié des fonds consacrés à la R-D provient des entreprises, alors que dans les pays développés, cette proportion est plus près des trois quarts. « Les entreprises ont du travail à faire de ce côté-là », insiste-t-il. 

Au lieu de se comparer aux concurrents directs, les chefs d’entreprises doivent plutôt suivre l’exemple des meilleurs au monde. « Il faut être plus ambitieux, mettre la barre plus haut », dit-il.

Le climat 

Le deuxième défi vient des changements climatiques et de l’adaptation. « On a vu les catastrophes naturelles augmenter par un facteur de 4. Elles sont beaucoup plus intenses, elles sont beaucoup plus fréquentes et ça se passe à l’échelle mondiale », indique M. Brindamour, en ajoutant que la température moyenne se réchauffe deux fois plus vite au Canada. 

Même s’il se dit optimiste à long terme, le PDG d’Intact ajoute qu’à court terme, il faut être prudent, car la transition sera difficile. Les gouvernements et les entreprises ont pris des engagements pour réduire l’empreinte carbone et le momentum est bon, selon M. Brindamour.

Le coût de l’énergie traditionnelle restera élevé pour une décennie, en raison d’une offre inférieure à la demande. Cela devrait aider à accélérer la transition vers les sources d’énergie renouvelable. Les progrès technologiques font en sorte que la moitié des besoins vers la transition énergétique est déjà en production et 40 % sont en voie de développement. 

À court terme, des obstacles demeurent, notamment la situation géopolitique. L’offre d’énergie verte demeure inférieure à la demande. Et la hausse du coût de la vie freine l’enthousiasme des gens envers cette transition. 

De façon lucide, Charles Brindamour estime « assez faible » l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris, soit de limiter le réchauffement de la température à 1,5 ° Celsius à court terme.

« À moyen long terme, on va y arriver, il n’y a pas de doute, mais la planète va continuer à se réchauffer au-delà de ce qu’on aimerait voir. Il faut être absolument concentré sur l’adaptation au changement climatique, parce que les tendances qu’on a vues au cours des dernières années en matière de catastrophes naturelles vont se perpétuer », dit-il.

Pour atteindre la cible du 1,5 °C, « il faudrait réduire nos émissions de GES dès maintenant de 15 % année après année pour les prochaines décennies », poursuit M. Brindamour. Or, même en 2020, alors que le monde entier « était en veilleuse » durant les premiers mois de la pandémie, les émissions de GES n’ont baissé que de 6 %. 

Chez Intact, protéger et aider les Canadiens contre le risque climatique est une évidence, puisque l’assurance habitation est le segment d’affaires où l’expansion est la plus rapide chez l’assureur.

Grâce aux travaux du Centre Intact d’adaptation climatique, mené avec la collaboration de l’Université de Waterloo, l’assureur investit pour aider les municipalités et les gouvernements à s’adapter aux changements climatiques. Plus de 90 études ont déjà été menées. 

L’assureur s’occupe de réduire ses émissions de GES de moitié en sept ans. Il sensibilise les clients, tant les particuliers que les entreprises, à la nécessité de contribuer à cet effort.

« On s’implique de façon plutôt substantielle avec d’autres organisations pour protéger et restaurer les milieux humides qui sont menacés au Canada », poursuit M. Brindamour.

Le Canada est déjà bien outillé pour réaliser sa transition, avec 82 % de sa production énergétique qui est issue de sources renouvelables. Le pays est doté des ressources minières, de l’expertise et de la capacité industrielle requises pour la production de batteries. 

Comme 25 % des émissions canadiennes viennent de l’extraction d’hydrocarbures, M. Brindamour souligne que le pays doit devenir un leader mondial en matière de séquestration du carbone. « On a de grands projets qui s’amorcent en particulier dans l’ouest. C’est une opportunité. On n’a pas vraiment de choix de capitaliser là-dessus », dit-il. 

Pour faciliter la transition, il faut « changer la façon dont on construit, changer où on construit. Chaque dollar investi en adaptation nous sauve 6 $ pour le Canada. C’est un gain annuel de 5 milliards qui est vraiment important », dit-il. 

Adopter les normes de gestion ESG est un bon pas, mais l’adaptation requiert selon lui une approche plus offensive. « La transition climatique doit être au cœur de la stratégie de l’entreprise, pas juste un “check mark” de gouvernance à faire une ou deux fois par année », insiste M. Brindamour. 

Prospérité et répartition de la richesse 

Charles Brindamour estime que le troisième et dernier grand défi à relever est la prospérité économique et la répartition de la richesse collective. Pour créer cette richesse, le Canada doit améliorer sa productivité. 

« Il faut se le dire, on est en retard sur les pays développés. On n’a pas vraiment d'avantages en matière de productivité. On est 25 % moins productif que nos compétiteurs au sud et cela s’est détérioré depuis 1990. C’est un problème important », dit-il. 

Concernant la nécessité de l’investissement en innovation, Charles Brindamour estime que l’État doit établir des priorités claires et envoyer les signaux cohérents à la communauté des affaires. « Ces deux éléments sont importants pour dégeler le capital et attirer des investissements étrangers », dit-il. 

La pénurie de main-d’œuvre n’ira pas en s’amenuisant, car il y aura des départs massifs à la retraite dans les 20 prochaines années. « Le gouvernement peut aider les entreprises tant par la formation de la main-d’œuvre qu’en matière d’immigration », dit-il. 

Le Canada a une main-d’œuvre éduquée et parmi les meilleures au monde pour la participation des femmes au marché du travail. Selon lui, il faut revoir la formation pour mettre l’accent sur les secteurs névralgiques. 

En agissant ainsi, l’économie canadienne se portera mieux, les revenus de l’État grimperont tout comme le revenu disponible des ménages. Il faut se préoccuper de la redistribution de la prospérité, car l’écart entre les riches et les pauvres s’est agrandi, fait-il observer. 

La pandémie a montré la pertinence du filet social au Canada, mais aussi ses limites, poursuit Charles Brindamour. L’utilisation plus judicieuse des technologies peut aider à réinventer les programmes sociaux, notamment en matière de soins de santé, suggère M. Brindamour. Le rôle de l’intelligence artificielle en matière de médecine de pointe contribuerait à rendre le système public plus efficace, cite-t-il en exemple. 

De son côté, Intact encourage la générosité de ses employés dans les collectivités où ils sont présents en imitant leur contribution. L’assureur collabore avec une quarantaine d’institutions caritatives pour lutter contre la pauvreté et augmenter la résilience des collectivités. 

« Je le dis souvent, nos employés sont parmi les meilleurs au monde. Ils sont aussi très loyaux et c’est une très grande force pour notre organisation. Je leur en suis très très reconnaissant », conclut-il.

* L’article a été rédigé à partir d’un enregistrement audio de la présentation qui nous a été fourni par les organisateurs.