Quelque 20 ans après avoir signé une proposition d’assurance, l’assuré a découvert qu’un nom avait été ajouté à son insu à titre de bénéficiaire. Et cette personne lui était inconnue. Le tribunal ordonne l’annulation du contrat et condamne la compagnie d’assurance Ivari à rembourser les primes versées par l’assuré durant ces deux décennies.
« Il s’agit d’une erreur portant sur un élément essentiel de la police d’assurance qui vicie son consentement », indique l’avocat Maurice Charbonneau, du cabinet Trivium, qui a attiré l’attention du Portail de l’assurance sur cette affaire.
L’affaire a été entendue le 23 mai 2025 par la juge Emmanuelle Saucier, de la chambre civile du district de Montréal à la Cour du Québec. Selon le tribunal, l’erreur sur le nom du bénéficiaire ne relève pas de la faute de l’assuré, mais de l’assureur et de son intermédiaire. En ne remettant pas à l’assuré une copie de la police, l’assureur a contrevenu à son obligation inscrite à l’article 2400 du Code civil du Québec.
Le contexte
En 1992, le consommateur Add Devette signe une proposition d’assurance avec le courtier Bernard Laparé. L’assuré est médecin, marié et père de famille. Il détient plusieurs polices d’assurance qu’il conserve au domicile.
Il souscrit une police d’assurance vie temporaire renouvelable tous les 10 ans auprès de la Compagnie d’assurance vie Transamerica du Canada. Le client demande que sa succession soit désignée comme bénéficiaire. Le consommateur reçoit une copie de la police et il la conserve. L’indemnité prévue en cas de décès est de 500 000 $.
En 2002, le courtier le contacte pour réévaluer sa couverture d’assurance et lui propose de remplacer la police existante par une autre, plus avantageuse. La sanction réservée au bénéficiaire est laissée vide, conformément au formulaire, qui prévoit que le bénéficiaire est alors la succession par défaut.
Après l’examen médical de la prise de sang, le courtier informe le consommateur que tout est conforme et que la police lui sera transmise. L’assuré ne la reçoit pas et l’assureur ne peut prouver qu’elle lui a été transmise.
Les primes sont prélevées mensuellement. En 2012, l’assuré reçoit un avis de renouvellement pour une nouvelle période de 10 ans. La prime mensuelle est portée à 319,05 $. L’avis ne contient aucune mention du bénéficiaire. L’assuré accepte et poursuit les paiements durant la décennie suivante.
En 2016, l’assuré reçoit une notification que Transamerica a été acquise par Ivari.
Surprise
Puis, en 2022, l’avis de renouvellement comporte une hausse importante de la prime. L’assuré contacte alors l’assureur pour discuter du renouvellement. La représentante lui indique alors que la bénéficiaire est une certaine Louise Tremblay, alors qu’il ne connaît personne de ce nom.
L’assuré est abasourdi et encore plus quand il apprend que cette personne est identifiée comme étant son épouse. Au moment de signer la nouvelle proposition en 2002, le consommateur était marié à une autre femme dont il a divorcé en 2005.
Tout comme en 2012, l’avis de renouvellement de 2022 ne mentionne pas le nom du bénéficiaire. Le relevé de couverture du 4 août 2022 reçu via l’assureur indique que Louise Tremblay est la bénéficiaire.
Le client entreprend des démarches pour obtenir son dossier, comme il n’a jamais reçu la police ou la proposition d’assurance initiale de 2002. La compagnie Ivari n’a pas la copie de la police en main, car celle-ci a été cédée en garantie d’un prêt à une institution bancaire. Entretemps, le client transmet à l’assureur un avis de non-renouvellement de la police.
La proposition qui lui est finalement transmise comprend le nom de Louise Tremblay inscrit à la main, sans son autorisation. La police désigne donc cette personne comme bénéficiaire, et ce, à son insu.
Vice du consentement
Les articles 1398 à 1400 et 1407 du Code civil prévoient les dispositions relatives au consentement. Pour justifier l’annulation du contrat, l’assuré doit démontrer qu’il y a eu une erreur simple portant sur un élément essentiel du contrat, et ce que cette erreur a vicié son consentement.
En matière d’assurance vie, la désignation du bénéficiaire est considérée comme une partie essentielle du contrat. L’assurée soutient qu’il a expressément demandé au courtier que sa succession soit désignée comme bénéficiaire.
« En l’espèce, la volonté principale pour l’assuré était de mettre sa famille à l’abri de toute difficulté financière en cas de décès », indique le tribunal. Or, il n’est pas contesté par l’assureur qu’il n’a jamais désigné Louise Tremblay comme étant la bénéficiaire de la police.
L’assureur soutient que la police n’aurait pas été annulée et qu’en cas d’incertitude sur l’identité du bénéficiaire, les fonds auraient été consignés à la cour dans l’attente d’une décision judiciaire. Ce n’est pas l’éventualité envisagée par l’assuré au moment de souscrire une assurance sur sa vie. Ce qu’il veut, c’est que l’assureur remette les fonds au bénéficiaire qu’il a choisi sans qu’il y ait un débat sur le sujet.
Le représentant de l’assureur reconnaît que la bénéficiaire aurait pu présenter deux pièces d’identité pour se faire verser les fonds. Aucune preuve du statut d’épouse n’aurait été exigée. Le cas échéant, la succession aurait été contrainte d’intenter des procédures judiciaires pour faire valoir son droit à l’indemnité.
Comme l’assuré n’a jamais reçu la police émise en 2002, il n’a pu prendre connaissance de cette erreur et demander sa correction. Le tribunal conclut qu’il s’agit d’une erreur qui vicie son consentement.
Erreur matérielle
L’assureur soutient que la désignation de la bénéficiaire est une simple erreur matérielle susceptible d’être corrigée. Il ajoute que l’assuré a bénéficié de la couverture pendant près de 20 ans. Il prétend qu’il aurait versé les fonds en cas de décès.
Le tribunal estime que l’assureur fait fausse route. L’assuré a signé un document ne comportant aucune mention quant au bénéficiaire. Émettre le contrat en 2002 en désignant cette personne constitue une modification d’une condition essentielle au contrat, et ce, sans le consentement de l’assuré.
Le courtier à l’origine du contrat en 2002 n’est pas poursuivi dans le présent recours, car il est introuvable. L’assuré ne prétend pas avoir été victime d’une fraude et l’assureur ne lui reproche pas d’avoir commis une erreur inexcusable.
La succession aurait dû faire la preuve que l’assuré n’avait jamais consenti à désigner Louise Tremblay comme bénéficiaire. Il demeure incertain que la succession aurait pu convaincre le tribunal de l’existence de l’erreur.
La restitution
Dans son jugement rendu le 6 juin 2025, la juge Saucier estime que l’assuré a le droit de demander la nullité de la police. La police est réputée n’avoir jamais existé. Elle estime aussi que le demandeur a droit de réclamer la restitution des prestations.
L’assureur soutient que le remboursement intégral des primes confère un avantage indu à l’assuré dans la mesure où il a bénéficié de la couverture d’assurance durant toute cette période. Aucune réclamation n’ayant été faite, la remise en état pour l’assureur se limite à la couverture non utilisée. L’assureur ne présente pas de preuve quant au coût réel de cette couverture.
L’objectif de la restitution est de replacer les parties dans leur situation initiale, et non de les enrichir. En cas de décès, l’indemnisation de la succession aurait probablement nécessité un débat judiciaire long et coûteux.
Le tribunal condamne Ivari à rembourser les prestations versées de 2002 à 2022, soit une somme de 42 750,10 $, avec les frais de justice en faveur du demandeur.
L’assuré réclamait une majoration évaluée à 9 515,26 $, ce que le tribunal lui refuse.
Les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil s’ajoutent à partir du 14 mars 2023. Selon l’outil du Barreau du Québec consulté par le Portail de l’assurance, le montant total à verser en date du jugement atteignait 52 002,85 $.