En période de déprime financière, les conseillers financiers font face à l’un des plus importants défis de leur carrière : celui de convaincre leurs clients de garder leurs placements investis dans des fonds d’actions sous peine de manquer une éventuelle reprise économique. C’est la mise en garde que font plusieurs experts.

Les fonds d’actions offrent le meilleur potentiel de croissance à long terme. Par contre, ils sont plus volatils que les fonds monétaires ou ceux à revenus fixes. Bien qu’ils génèrent d’intéressants rendements à long terme, nombre d’épargnants n’en tirent pas profit puisqu’ils fuient les actions au moindre signe d’instabilité économique.

Les données de juillet dernier de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) illustrent bien cet état de chose. « La tendance entre les ventes de fonds à long terme et celles des fonds de marchés monétaires s’est inversée en comparaison aux périodes précédentes. Les investisseurs canadiens, en réponse à la volatilité croissante des marchés mondiaux et à l’incertitude des marchés immobiliers et
financiers américains, ont choisi de laisser dormir leur argent. Au cours des 12 derniers mois, 20,3 milliards sur 20,8 milliards en nouvelles ventes ont échu aux fonds de marché monétaires. »

Du coup, les investisseurs oublient les bienfaits du long terme pour ne plus penser qu’à court terme. Le hic c’est que les investisseurs qui choisissent de laisser dormir leur argent dans ce type de fonds, en espérant une embellie boursière, commettraient une coûteuse erreur. Ils risquent ainsi de rater une éventuelle reprise économique. Historiquement, la vigueur de telles reprises fait grimper jusqu’à 20 % le rendement de leurs placements, affirment des experts.

Cette tendance à la baisse a même frappé les joueurs de niches de l’industrie canadienne des fonds communs de placement. « Les clients font décidément plus de pression pour investir de manière conservatrice », affirme Andy MacLean, directeur de recherche en clientèle privée de la firme torontoise Richardson Partners Financial. « Les clients, surtout lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes, ont tendance à réagir négativement à la moindre parcelle d’information économique », dit-il.

Avec 12 bureaux à travers le pays, et huit milliards d’actifs sous gestion, Richardson Partners dessert des clients fortunés. Et même si les investisseurs plus aisés ont moins tendance à paniquer que les investisseurs moyens, en temps de crise, leur nervosité s’est néanmoins fait ressentir par sa firme, affirme M. MacLean.

« Nous n’avons pas vu dans notre firme une hausse des rachats nets de nos fonds d’actions. Par contre, nous avons vu nos clients actuels et nos nouveaux clients choisir de faire dormir leur argent dans leur compte, parce qu’ils préfèrent désormais acheter des fonds à revenus fixes et des marchés monétaires ».

Commissions en baisse

Parce que les clients font pression pour investir de façon plus conservatrice, certains conseillers subiraient des baisses au chapitre de leurs commissions, affirme Dennis Yanchus de l’IFIC. Alors que les conseillers qui vendent des solutions intégrées de placement, dont des comptes de gestion intégrés (wrap accounts) et des services de gestion à honoraires, gardent la tête hors de l’eau, ceux qui vendent les fonds à l’unité encaisseraient en effet une baisse de leurs commissions de vente et de suivis, dit-il.

John Lutrin, vice-président de la Financière Hub à Vancouver, abonde dans le même sens. « Les commissions de suivis sont à la baisse car les actifs des fonds d’actions sont à la baisse », dit-il. « Dans tous les cas, les conseillers font toujours les frais des marchés baissiers », ajoute M. Lutrin.

D’un côté, si les épargnants choisissent de rester investis dans les marchés d’actions, les commissions des conseillers diminuent parce qu’elles sont basées sur des actifs dont la valeur a chuté considérablement. D’un autre côté, si les clients choisissent de placer leurs billes dans des catégories de fonds plus conservatrices, les commissions des conseillers s’en ressentent aussi. « Les fonds des marchés monétaires et les fonds à revenus fixes leur paient moins de commissions », explique M. Lutrin.

Mais il convient de mettre les choses en perspective, fait valoir M. Yanchus. « Si des baisses ont lieu, elles ne sont pas aussi importantes que celles liées à l’éclatement de la bulle technologique en 2000 », dit-il.

Paradoxalement, même dans une industrie axée sur le service comme celle de fonds communs de placement, en temps de crise, les clients qui retiennent les services d’un conseiller ne semblent pas se comporter différemment de ceux qui n’en ont pas.

Pourquoi? C’est que seulement une minorité de clients accordent à leurs conseillers une entière discrétion sur leur portefeuille, répond Donald Reed, président et chef de l’exploitation chez Placements Franklin Templeton.

« La majorité des clients et des clientes reçoivent seulement des recommandations de leurs conseillers. Ils décident ensuite s’ils suivront ou non ces recommandations et agiront en conséquence. Il ne faut pas oublier qu’au bout du compte, l’argent appartient aux clients », dit M. Reed.

« Différents conseillers mettent différemment leurs clients en confiance. Il y a de très bons conseillers qui incitent leurs clients à se sentir très à l’aise avec leurs recommandations. D’autres non. C’est souvent une question de chimie entre les deux. »

Mais particulièrement en temps de déprime économique, tous les conseillers devraient renseigner leurs clients sur la nécessité de garder leurs placements investis dans les marchés des actions, dit-il.

« Ce qu’il arrive au cours d’un trimestre ou au cours d’une année donnés ne devrait pas trop leur importer. C’est ce qu’il arrive à long terme qui compte », ajoute M. Reed.

« Le conseil aux clients de conserver leurs placements en actions devrait être fondé sur le bénéfice des rendements à long terme », dit-il.

Ce n’est qu’armés des bons arguments que les conseillers réussiront à convaincre leurs clients de faire fi de la panique et de rester dans les marchés d’actions, malgré la turbulence financière, affirment les experts. D’ailleurs, on peut résumer les avis sous forme de cinq conseils.

Cinq conseils clés

1. Ne rater pas la reprise

L’une des premières choses que les conseillers doivent faire est de renseigner leurs clients quant aux risques de réduire ou d’éliminer complètement leurs placements en actions. « Ce peut être une coûteuse erreur » affirme Andy MacLean, de Richardson Parterns.

« Les épargnants qui fuient le marché et choisissent de faire dormir leur argent dans des fonds conservateurs, en attendant une embellie financière, rateront le gros des rendements élevés qui surviennent généralement à la suite d’un marché baissier », ajoute M. MacLean.

Le problème, c’est que tout le monde ignore à quel moment les marchés grimperont à nouveau. Mais lorsque cela survient, la remontée a tendance à être soudaine. Et les rendements, eux, ont tendance à être très importants dès les premières hausses.

« Historiquement, une fois que les investisseurs obtiennent la confirmation d’une reprise économique, le marché a déjà grimpé entraînant du coup des rendements de 20% en moyenne », affirme M. MacLean, citant des données du S&P500 et du American Bureau of Economical Research compilés par sa firme.

Selon Denis Dion, chef de produits au Mouvement Desjardins, un épargnant qui a investi 10 000 $ dans le marché canadien des actions en date du 30 juin 1991 aurait vu ce montant monter à 55 729 $ au 31 décembre 2007. Il s’agit d’une augmentation de 10,97 % annuellement sur une période de 16 ans.

Si cette même personne avait retiré ses placements pendant les 10 meilleures journées durant cette période, ces 10 000 $ auraient généré 37 358 $, un rendement annuel composé moindre soit de 8,35 %.

Pire : si ce même investisseur avait retiré ses placements en actions pendant les 20 meilleures journées entre juin 1991 et décembre 2007, son placement de 10 000 $ n’aurait atteint que 27 191 $, un rendement annuel moyen de 6,25 %. (Voir tableau.) Le message à véhiculer c’est qu’à long terme, les marchés reprennent le dessus en matière de rendement, dit M. Dion. « Ceux qui choisissent de quitter les marchés en subissent les conséquences économiques. »

2. Utiliser des analogies

Pour instruite les clients efficacement quant aux risques liés à l’investissement et à ses impacts sur leurs portefeuilles, les conseillers devraient avoir recours à des analogies, affirme John Lutrin de la Financière Hub. Leur usage facilite grandement la compréhension des clients, dit-il.

« Par exemple : si vous achetez une maison pour y vivre et que le marché immobilier plante ou connaît une baisse, allez-vous soudainement vendre votre résidence pour aller vivre ailleurs? Non, vous allez continuer d’y habiter », illustre M. Lutrin.

« Il faut informer et dire que le marché des actions n’est pas différent », explique-t-il. « Il faut acheter quand les prix sont bas et il faut vendre quand les prix montent pour capitaliser sur votre gain. »

Malheureusement, dans les fonds d’actions, les gens ont tendance à faire exactement l’inverse. « Ils achètent quand c’est cher et ils vendent à rabais », déplore-t-il.

3. Redéfinir les bons rendements

Lorsque les marchés sont en baisse, les conseillers devraient aider leurs clients à revoir leur définition de ce qu’est un bon rendement. Cela devrait avoir pour effet de rehausser le niveau de confiance des épargnants dans les marchés. Par exemple, alors qu’un rendement de 4 à 5 % pourrait paraître faible lorsque les marchés font un bond de 15 %, ce même rendement paraît déjà plus intéressant lorsque les marchés chutent de 15 %.

« En période de marchés haussiers, les clients s’attardent au rendement relatif de leurs placements », explique Dave Richardson de RBC Gestion d’actifs. « S’ils obtiennent un rendement de 30 %, ils se demanderont pourquoi ils n’en ont pas eu 40 % », explique-t-il.

« C’est la raison pour laquelle en période de marchés haussiers, les investisseurs ont tendance à changer fréquemment leurs placements dans l’espoir d’obtenir de meilleurs rendements. »

« Mais dans les marchés baissiers, les investisseurs mettront l’emphase sur les rendements réels. Ils commenceront à penser en termes de rendements absolus. Si le marché chute de 10 %, ils seront réconfortés à l’idée que leur portefeuille a à peine reculé de 5 % », dit-il.

Une autre façon de restaurer la confiance des clients consiste à revoir avec eux leur stratégie d’investissement initiale. En révisant leur plan de match, de manière à s’assurer que les placements qu’ils ont choisis à l’origine conviennent toujours à leurs objectifs, ils en seront rassurés, affirme M. MacLean.

« Les clients ont besoin de se faire constamment rappeler qu’investir est un engagement à long terme », ajoute-t-il. « Mais avant de dire aux clients que leur stratégie initiale est toujours la bonne, les conseillers doivent s’assurer que c’est effectivement le cas. Si oui, leur niveau de tolérance au risque et leur objectifs financiers devraient le confirmer. »

Normalement, un portefeuille est conçu pour s’adapter aux périodes d’effervescence des marchés tout comme à celles de volatilité », ajoute-t-il.

4. Investissements périodiques

Aussi, les conseillers devraient aider leurs clients à voir en la volatilité un allié, une occasion de se positionner favorablement dans le marché, affirme Donald Reed, de Placements Franklin Templeton. « La richesse est créée dans les creux de marchés et non dans les hauts », explique M. Reed. Les clients peuvent en profiter par une technique en particulier, celle de l’investissement périodique.

Cette stratégie est simple: il suffit de placer un montant d’argent à intervalles réguliers dans un produit d’investissement. Bien que les investissements périodiques ne réduisent pas le risque, ils réduisent le coût moyen des parts en période de turbulence.

« Les versements réguliers permettent de profiter d’un marché baissier pour acheter plus de parts avec la même mise de fond. Si le marché continue de baisser, ils permettent d’acheter des parts d’un fonds à bas prix. Cela favorise les investisseurs. »

« Alors, le conseil clé est le suivant: utilisez la volatilité à l’avantage de vos clients », affirme M. Reed. Essentiellement, la volatilité du marché marque la vitesse à laquelle l’investisseur entre dans un fonds de placement. »

5. Diversifiez, diversifiez et diversifiez

Renseigner les clients sur l’importance de la diversification tout en leur montrant que leurs portefeuilles étaient bien diversifiés est un message fondamental, qui devrait les convaincre de garder leurs placements dans des fonds d’actions.

Pondérer ses placements dans une variété de titres, dont des actions, des obligations, des fonds monétaires, des fonds immobiliers, des compte d’épargne, ainsi que dans des actions de petites et grandes entreprises toutes industries confondues, est un excellent moyen de réduire le risque, note M. Richardson de RBC Gestion d’actifs.

« En temps de déprime financière, un portefeuille bien diversifié avec des placements dans des titres de revenus fixes et du marché monétaire va amortir la baisse des marchés d’actions de votre portefeuille. Mais la diversification est toujours une bonne idée, même lorsque les marchés vont bien. Il faut avoir une variété d’actifs de manière à concevoir un portefeuille qui correspond à votre tolérance au risque », ajoute-t-il.