Le dossier du matériel scolaire qui aurait dû être fourni gratuitement aux élèves par les commissions scolaires se retrouve à nouveau devant les tribunaux et cette fois, la partie se joue entre des assureurs et le gouvernement du Québec.
Intact Corporation financière, Aviva Canada et Trisura Garantie ont entrepris des procédures judiciaires à l’endroit du Procureur général et du ministère de l’Éducation qu’ils tiennent responsables de toute condamnation, indemnité ou frais qui pourrait être prononcé à leur endroit ou à les indemniser s’ils font l’objet d’une condamnation dans ce dossier de réclamation.
Toute cette affaire tourne autour du paiement pendant des années par les parents de manuels, matériel didactique et services éducatifs qui auraient dû être défrayés par les commissions scolaires (CS) en vertu de la Loi sur l’instruction publique.
En 2015, une demande d’autorisation d’exercer un recours collectif à l’endroit de 68 commissions scolaires a été déposée par une mère de Jonquière dont les deux enfants ont fréquenté une école publique du Saguenay. Dans un jugement rendu le 6 décembre 2016, la Cour supérieure avait autorisé l’exercice de cette action collective. La demande introductive fut inscrite contre les 68 commissions scolaires en juin 2017.
Réclamations aux assureurs
À la fin d’octobre 2017, les commissions scolaires avaient déposé contre chacun de leur assureur un acte d’intervention forcée qui les obligerait à payer toute condamnation pouvant être prononcée contre elles dans le cadre du recours collectif. Le montant du recours s’élève à près de 160 millions de dollars (M$).
Les assureurs avaient déjà indiqué aux commissions scolaires que les frais qu’elles avaient perçus « illégalement » à l’encontre de la Loi sur l’instruction publique n’étaient pas couverts par les différentes polices d’assurance et donc que l’action en garantie n’avait, selon eux, aucun fondement. Néanmoins, en juin 2018, après des mois de négociations, un règlement est intervenu entre les commissions scolaires et les parents, mais sans aucune contribution ni engagement des assureurs.
Le règlement en question prévoit le paiement par les commissions scolaires d’une somme de 153 507 134 $ qui sera distribuée entre les parents. À la suite de cette entente, les commissions scolaires ont demandé à poursuivre l’action en garantie contre les assureurs sur la base des contrats d’assurance applicables, ce que contestent maintenant Intact, Aviva Canada et Trisura Garantie.
Riposte des assureurs
Dans l’éventualité où cette action soit en tout ou en partie accueillie, ces assureurs se sont eux-mêmes adressés à la Cour supérieure à la fin de 2018. La nouvelle a d’abord été dévoilée par le Journal de Québec.
Dans une procédure intentée dans le district judiciaire de Chicoutimi, les assureurs demandent au tribunal de faire déclarer la Procureure générale du Québec seule et unique responsable du préjudice subi par les parents en raison des agissements du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). Ils allèguent que l’action en garantie ne reposerait sur aucun fondement et ils veulent que soit ordonné à la province de les indemniser de toute condamnation dans l’instance en garantie.
Les arguments des assureurs
Dans leur requête, Intact, Aviva Canada et Trisura Garantie tentent de démontrer, preuves à l’appui, que l’État a été parfaitement au courant, et ce pendant plusieurs années, de l’existence d’un système de facturation illégal de la part des commissions scolaires, ce qui lui avait permis d’économiser des millions de dollars puisque c’est le MEES qui subventionne les commissions scolaires. Dès 1999, ce même ministère s’était interrogé sur cette pratique dans une étude qui a été déposée en cour.
Néanmoins, ces façons de faire se sont poursuivies et en 2005, le ministère s’est à nouveau questionné sur le paiement de certains frais par les parents d’élèves. Selon les trois assureurs, les commissions scolaires ont continué de faire la sourde oreille et le MEES a continué à tolérer ces pratiques. En 2008, une première requête pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif a été autorisé. Finalement, le ministère a adopté une directive en juin 2018, mais il était trop tard et le deuxième recours collectif était déjà en marche.
Le gouvernement pouvait et devait même agir bien avant et s’il l’avait fait en temps utile et de manière appropriée, le recours principal et les griefs des parents n’auraient jamais été entrepris, ont affirmé les assureurs à la Cour supérieure.
« L’État ne peut permettre que des organismes publics dont il surveille la conduite puissent de manière systématique contourner les lois. Permettre aux commissions scolaires, en toute connaissance de cause et durant une longue période, d’exiger des frais qui ne sont pas permis par la loi équivaut à tolérer, voire même à contribuer à un système interdit par la Loi. » Les assureurs ajoutent que la négligence répétée de l’État est non seulement fautive, mais assimilable à de la mauvaise foi.
« Il est par ailleurs inconcevable qu’il soit permis à l’État de se décharger de son obligation de fournir l’instruction publique gratuite en faisant reposer sur les assureurs le fardeau de rembourser les parents pour des sommes payées illégalement en raison de sa propre négligence », concluent-ils.
Les procureurs des commissions scolaires s’attendent à ce que le gouvernement s’oppose à ce recours judiciaire.