Peu de données fiables existent sur le retour sur l’investissement que procurent les programmes de santé et mieux-être en entreprise. La majorité des entreprises hésitent à prendre cette voie, en raison de nombreux obstacles. Deux organisations qui les ont surmontés révèlent leurs découvertes.
Le retour sur l’investissement des programmes de santé et mieux-être en entreprise dépend de plusieurs facteurs et des critères utilisés pour le mesurer. Encore faut-il définir ce que l’on cherche à mesurer, a insisté Louise Chénier, lors du Rassemblement pour la santé et le mieux-être en entreprise organisé par Groupe entreprises en santé.
Analyste en recherche sur le leadeurship et les ressources humaines au Conference Board du Canada, Mme Chénier a rappelé l’importance d’établir dès le départ un tableau de bord qui permettra de comptabiliser les efforts consentis à l’implantation du programme et à sa gestion quotidienne. « Si on ne compte pas les heures ou qu’on les partage entre les membres du personnel, il peut être difficile de calculer le temps investi dans le programme ». Il peut aussi être utile de comparer le cout de la mise en place d’un programme à celui qu’on encourrait en ne faisant rien, ajoute l’analyste.
Peu d’entreprises mesurent l’efficacité de leur programme. « À peine 1 % des entreprises le font, car il y a des obstacles à le faire », dit Mme Chénier. Parmi eux, la difficulté d’isoler un élément de mesure. « Si plusieurs programmes ou pratiques de ressources humaines coexistent dans l’entreprise, ils peuvent avoir un impact sur l’absentéisme à divers degrés. »
CMP Solutions mécaniques avancées a réussi à mesurer l’impact de son programme, en dépit des obstacles. PME de plus de 500 employés située à Châteauguay, qui compte aussi une usine à New York et une autre au Mexique, CMP n’avait plus le choix d’implanter un programme de santé et mieux-être : les couts du régime d’assurance collective de son unité de Châteauguay avaient explosé.
« En 2007, les couts d’assurance collective de CMP ont augmenté de 30 % », a révélé le vice-président en ressources humaines de CMP, Michel Labrecque. L’annonce de la hausse fait l’effet d’une douche froide aux employés de CMP, lesquels assument à parts égales les primes avec l’employeur.
Patienter avant les résultats
M. Labrecque est alors chargé par son président d’améliorer la santé des employés et d’abaisser les couts du régime. C’est une première pour cette entreprise, où l’assurance collective relevait jusqu’alors du département des finances. « Je ne connaissais pas les programmes de santé et mieux-être, à l’époque. J’ai fait une recherche et réalisé une étude de cas sur ce qui se faisait ailleurs, et j’ai présenté le tout à la direction », dit-il.
En 30 minutes, il obtient le feu vert pour implanter un programme, mais le président veut mesurer les résultats dans douze mois. Impossible, lui signale M. Labrecque. Dans son étude de cas, il constate qu’il faut être patient. « Établir le retour sur l’investissement dans un programme de santé et mieux-être prend de trois à cinq ans », dit-il.
Sur le terrain, les effets se font toutefois sentir rapidement. La hausse des couts d’assurance collective se limite à 23 %, en 2008, et à 14 %, en 2009. Elle est nulle, en 2010. En 2011 et en 2012, les couts diminuent chaque fois de 3 %. M. Labrecque ne s’attend pas à répéter l’exploit en 2013 : les employés vieillissent et cinq d’entre eux sont malheureusement frappés par le cancer.
Or, le succès du programme demeure incontestable. « Nous avons obtenu un retour de 250 000 $ par an sur une facture d’assurance collective de 750 000 $, soit 3 $ en moyenne pour chaque dollar investi », a-t-il révélé. L’entreprise a aussi réduit le taux de roulement de ses employés de 12 % à 5 %.
En outre, le taux de prime d’assurance de la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST) imposé à CMP Solutions mécaniques avancées est passé de 4,79 $ à 1,92 $ par tranche de 100 $ de la masse salariale. D’après les barèmes de la CSST, le taux moyen de prime était de 2,13 $ au Québec, en 2012.
Quel est l’investissement de la part de la compagnie? Pratiquement nul. « Une PME n’a pas de ressources ni de source de financement pour de tels programmes, mais il y a tellement de ressources gratuites dans le marché, par exemple, les Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Des mesures comme le bilan de santé n’entrainent aucun cout pour l’entreprise. Pour ma part, je libérais du temps pour participer aux activités », énumère M. Labrecque.
Selon M. Labrecque, le succès d’un programme de santé et mieux-être en entreprise nécessite surtout l’adhésion du personnel. « Vous devez consacrer vos énergies à des activités qui donnent des résultats tangibles, dit M. Labrecque. Vous devez aussi obtenir l’engagement de tous les employés et les cadres. »
Parmi les activités qui ont permis d’obtenir des résultats quantifiables se trouve un comité de santé et mieux-être, que M. Labrecque implante au départ, et qui est représentatif des employés de l’usine, des employés de bureau et des cadres. « J’en ai ensuite transféré la présidence à une employée de l’usine. Cela fait en sorte de ne pas présenter l’initiative simplement comme un programme de ressources humaines parmi d’autres. »
Sur son site Internet, CMP décrit ce comité comme l’organisme qui « appuie et planifie des activités permettant de mieux identifier et prévenir les risques potentiels pour la santé des employés ou les risques potentiels pour la santé liés au milieu de travail, afin d’améliorer la satisfaction au travail et la qualité de vie générale des employés ».
Autre activité « payante », un sondage de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) auquel CMP participe permet de révéler des données utiles sur la perception qu’ont ses employés des initiatives de l’entreprise. CMP mise aussi sur son bilan de santé annuel, qu’elle offre à tous, grâce aux services de trois infirmières, une nutritionniste, et un médecin fournis par le CSSS.
Obtenir l’engagement de la direction est aussi un élément fondamental pour la réussite du programme, signale M. Labrecque. Connaitre la situation avant la mise en place du programme est essentiel à sa mesure. « Vous devez mesurer votre programme au point de départ, évaluer le degré de satisfaction des employés envers le programme et communiquer avec eux à ce sujet le plus souvent possible », dit-il.
Sachez enfin sur quoi vous agirez. Après consultation avec son assurer, CMP a mis l’accent sur les sources de stress et les troubles musculosquelettiques, du système digestif et du système cardiovasculaire. Très tôt au début du programme, par exemple, l’entreprise a fourni des chaises ergonomiques à ses employés pour endiguer l’explosion des maux de dos.
Taux record de mobilisation
Après la fusion de Telus Québec, Telus mobilité et Telus Corporation, en 2005, l’entreprise créée un programme corporatif axé sur la santé et le mieux-être pour englober ceux qui ont déjà cours dans les entités fusionnées. Le programme s’adresse à ses quelque 30 000 employés à travers le Canada, dont plusieurs sont qualifiés de mobiles : travailleurs à domicile ou en fréquents transits d’un emplacement à l’autre. L’intervention de ce programme se joue à trois niveaux, précise Line Vermette, conseillère principale en ressources humaines de l’entreprise, soit individuel, collectif et organisationnel.
Telus a sondé l’engagement de ses employés. Mme Vermette dit que l’entreprise compile régulièrement les résultats de ses activités. « Nous avons un taux record de mobilisation, qui a atteint 80 %, en 2012. »
Les sondages et questionnaires internes de Telus lui ont aussi permis d’établir un indice santé, dit Mme Vermette. Des sondages trimestriels sur le style de travail permettent de connaitre les enjeux du travailleur mobile à domicile sur la santé et le mieux-être. « Notre taux d’absentéisme est très inférieur à la moyenne canadienne, dans notre secteur d’activités », soutient-elle.
Telus a aussi mesuré le retour potentiel sur l’investissement d’une approche par programme, plutôt qu’un simple départ en invalidité. Elle donne en le cas d’un employé aux prises avec un trouble de santé mentale, dont l’absence pourrait atteindre trois mois.
« Nous nous sommes demandé combien ça coute d’envoyer quelqu’un à domicile pour 3 mois en invalidité de courte durée, par rapport à conserver l’employé et son expertise chez nous, dit Mme Vermette. Cela représente un retour sur l’investissement de 4 $ pour chaque dollar investi pour garder l’employé au travail. »
L’entreprise n’a toutefois pas calculé le retour sur l’ensemble de son programme. « Nous savons qu’il est rentable. Nous calculons plutôt le retour sur le capital investi pour un programme spécifique, par exemple celui du dépistage ou du soutien au travail dans le cadre de la santé mentale, a-t-elle dit. Il est plus facile de calculer le retour lorsque l’on sait exactement quel élément on mesure et pour quelle raison. Les résultats sont alors plus percutants et permettent de gagner l’adhésion des gestionnaires. » Son calcul s’est appuyé sur la méthode du Conference Board du Canada.