L’industrie de l’assurance est frappée, comme bien d’autres, par la rareté de la relève disponible sur le marché du travail. Les efforts de recrutement doivent être accentués afin de combler les départs à la retraite des courtiers et des conseillers. Des outils existent pour mieux cibler les candidats à haut potentiel afin d’éviter de recruter des conseillers qui ne feront pas long feu.Selon Denis Deschamps, président et chef de la direction de la firme de consultants en ressources humaines Drakkar, l’industrie a tout intérêt à mieux valoriser l’image du conseiller financier si elle veut attirer des candidats intéressants. « La raison d’être du conseiller, c’est d’aider les clients. » Ce sentiment aide « à se lever le matin » pour se rendre au travail et donne du sens à l’ouvrage accompli, dit-il.
Sylvie Corbin, consultante associée chez Drakkar, évoque un sondage récent de Léger Marketing montrant que les métiers reliés à la vente sont très peu valorisés par la clientèle étudiante. « Malgré les efforts de la Coalition pour la promotion des professions en assurance de dommages, on constate que les étudiants ne connaissent pas les emplois disponibles dans les cabinets d’assurance », fait-elle observer.
Mme Corbin note que d’ici dix ans, les jeunes nés entre 1984 et 1996 représenteront 45 % de la main-d’œuvre au Canada. Leur importance numérique exigera plus de flexibilité de la part des employeurs, tant du côté des horaires de travail que de la possibilité d’accomplir le travail à distance. « Les jeunes sont à la recherche d’un meilleur équilibre travail-famille », insiste-t-elle.
Cibler les vendeurs performants
Selon elle, il est nécessaire de vérifier trois compétences bien particulières pour bien évaluer le potentiel d’un candidat. « Il faut avoir la capacité de chercher de l’information pertinente pour influencer le client dans sa décision d’achat. Ensuite, il faut savoir négocier. Enfin, il faut faire preuve de résilience. » Ces compétences sont faciles à détecter dans des entrevues comportementales et dans les tests psychométriques, dit-elle.
Yvan-Marcel Boily, président de ProfileSoft, connait bien l’importance de la précision des données obtenues lors des tests psychométriques. Il est le créateur du système utilisé par plus de 1 000 organisations pour l’appréciation de leurs ressources humaines.
Les 200 questions qu’il pose visent à mesurer les comportements les plus révélateurs. Le système Profilesoft a été établi à la suite du profilage de 50 000 personnes réalisé au fil des 30 ans de pratique de M. Boily.
Au fil des ans, il a comparé les 4 000 traits de comportements reconnus dans les tests psychométriques aux 6 700 types d’emplois reconnus par Industrie Canada. Il a ainsi trouvé 183 réflexes associés à la performance dans un environnement de travail. Ils permettent d’évaluer le candidat sous les trois dimensions principales : ses attitudes, ses compétences et sa capacité à les utiliser au profit de l’organisation.
La dimension comportementale, ou le savoir-être, aide à mieux saisir la personnalité et les attitudes du candidat et à prévoir les réflexes naturels qui guideront ses réactions dans une situation donnée. La deuxième dimension, le savoir-faire, fait référence aux connaissances, à l’expérience, aux aptitudes et aux habiletés. La dernière dimension est l’environnement de travail lui-même.
Le bon jumelage des trois dimensions est essentiel à la performance de la recrue, insiste-t-il. Un bon employé peut se trouver bien moins performant dans un contexte de travail qui ne lui convient pas. « D’ailleurs, on ne quitte pas une organisation, on quitte un supérieur immédiat, ne l’oubliez jamais », note M. Boily.

Faible taux de rétention dans l’industrie
La relève continuera de se faire rare dans l’industrie de l’assurance, dit Sylvie Corbin. Elle établit cette affirmation sur des rapports publiés par Industrie Canada sur le vieillissement de la main-d’œuvre dans l’industrie et par LIMRA sur le faible taux de rétention des vendeurs recrutés ces dernières années (voir édition de septembre 2010 du Journal de l’assurance).
« Une recrue sur deux quitte son emploi en moins de deux ans, et seulement un représentant sur trois est toujours en poste après quatre ans », souligne-t-elle. Le taux de rétention a chuté de 34 % en 2008 à 31 % en 2009.
Plus inquiétant encore, le taux de rétention chez les femmes chute plus rapidement, de 38 % à 30 % pour la même période. Or, les femmes aiment les horaires flexibles offerts dans l’industrie, et devraient ainsi être davantage intéressées par les emplois du secteur. Le fait qu’elles désertent plus rapidement l’industrie est un signal inquiétant, ajoute Mme Corbin.
Selon les travaux menés par la Chaire d’assurance de l’Université Laval, la renommée de l’employeur arrive au cinquième et dernier rang parmi les critères privilégiés par les étudiants lors du choix de l’entreprise où ils désirent travailler. Les perspectives de carrière, les conditions de travail et le milieu de travail sont les trois principaux critères retenus, indique-t-elle.
Concernant le milieu de travail, quatre éléments sont privilégiés par les étudiants : pouvoir participer aux décisions, pouvoir prendre certaines initiatives, l’innovation et la créativité et enfin le travail d’équipe. En matière de développement des compétences, la possibilité de relever des défis stimulants est le premier critère cité par les étudiants, plus encore par les femmes, poursuit Mme Corbin.

La dimension comportementale, qui est perceptible dans l’analyse du curriculum vitae, est souvent la seule mesurée par les employeurs, déplore-t-il. Si on se limite à obtenir seulement un tiers de l’information, la possibilité qu’on trouve le bon candidat pour la bonne entreprise au moment opportun est de seulement 21 %, dit-il. Il n’est donc pas surpris par le faible taux de rétention dans l’industrie. « Il est normal de retenir si peu de candidats en se limitant au curriculum vitae », insiste M. Boily.
Les 183 facteurs retenus aux fins de l’analyse de ProfileSoft sont regroupés sous cinq volets: l’entrepreneuriat, la motivation, le leadership, l’orientation technique et le style d’interaction avec la clientèle. Yvan-Marcel Boily a utilisé le modèle pour comparer les résultats de 100 champions de la vente au Québec avec ceux de la moyenne de l’industrie et celle des superchampions de la vente du classement Harvard RainMaker.
L’esprit entrepreneurial, ce n’est pas seulement la capacité de se lancer dans les affaires, mais à planifier et à s’organiser, explique-t-il. La note moyenne de l’industrie au chapitre de l’entrepreneuriat est de 33. Il n’y a pas assez des 168 heures que compte une semaine pour fournir des clients à cette catégorie de candidats, observe-t-il. Chez les champions de la vente, la note est de 55, tandis qu’elle est de 75 chez les meilleurs du classement Harvard. « Vous comprenez pourquoi ces gens-là gagnent 500 000 $ et plus par année. Ce n’est pas parce qu’ils travaillent dans des marchés comme New York ou Los Angeles, mais bien parce qu’ils sont différents de la moyenne », ajoute M. Boily.
Pour le volet motivation, les champions du Québec obtiennent une note comparable (53) à ceux du classement Harvard Rainmaker (50). « C’est une bien belle combinaison : celle de rendre service aux clients tout en voulant atteindre des résultats », dit M. Boily.
Autre surprise, la note obtenue par les superchampions du classement américain dans le volet « interaction avec la clientèle » est de 43, alors qu’elle est de 75 en moyenne dans l’industrie et de 78 chez les champions du Québec. « Ici, on fait des pitchs de vente. À l’international, on pose des questions. C’est peut-être le bon moyen pour comprendre les besoins des clients », dit M. Boily.
Même son de cloche pour le volet « orientation technique », qui mesure l’intérêt pour l’aspect théorique ou pratique des affaires. M. Boily note que les superchampions sont peu portés sur les détails et le travail minutieux (note de 30), alors que les techniciens sont plus nombreux dans l’industrie (note de 60) et dans le groupe des champions du Québec (note de 49). Selon M. Boily, cela montre encore une fois que les meilleurs sont davantage préoccupés par les besoins de leurs clients que par les produits qu’ils vendent.
Sylvie Corbin insiste non seulement sur l’importance de recruter le bon candidat, mais aussi sur la nécessité pour l’employeur de savoir se montrer attrayant en entrevue d’embauche. L’arrivée en fonction doit aussi être prise en compte. « Dans les trois mois qui suivent l’embauche, c’est l’employé qui évalue l’entreprise, et non l’inverse », dit-elle.
Rendre la profession plus attrayante pour les jeunes
L’ensemble de l’industrie doit continuer de collaborer à rendre la profession plus attrayante pour les jeunes, affirme-t-elle. « Il faut revoir le profil traditionnel du vendeur. Les étudiants nous le disent, il faut se positionner autrement pour rejoindre les valeurs des nouvelles générations. »
L’un des problèmes fréquemment évoqués par les jeunes est le niveau de salaire au moment de l’embauche, lequel serait nettement inférieur aux attentes. « Le bassin est réduit et il faut se montrer attrayant. Les PME se démarquent de ce côté-là en offrant des salaires compétitifs aux débutants », insiste Mme Corbin.
Denis Deschamps insiste sur les trois concepts clés de la présentation : l’image de la profession, le profil de l’employé et le bassin élargi de candidats. « Vous n’avez plus les moyens d’embaucher n’importe qui, insiste-t-il. Recruter ne suffit pas. Il faut ensuite faire en sorte que le nouvel employé contribue au travail d’équipe et qu’on lui fournisse tous les outils requis pour développer ses compétences. »
La concurrence des autres secteurs exige des employeurs une veille constante, note M. Deschamps, afin de rémunérer adéquatement les meilleurs. Le choix est simple : soit les employeurs embauchent des candidats au potentiel à développer et ils investissement beaucoup pour les former (tout en risquant de les perdre au plus offrant), soit ils paient mieux les excellents candidats.
Sylvie Corbin insiste aussi sur la nécessité de bien mélanger les types de personnes dans l’organisation, « tant des sprinteurs que des marathoniens ». « La direction de l’entreprise doit se positionner et déterminer les objectifs et les moyens, et ça nous ramène toujours aux valeurs et à la culture que l’on veut créer, indique-t-elle. C’est le choix de l’entreprise. Il faut ensuite aligner ses actions en fonction de cela. Si je veux quadrupler les revenus de l’entreprise, ça me prend des champions. Si je veux les recruter, les moyens doivent suivre, autant pour les attirer que pour les conserver. »