Le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, a déposé son budget pour l’année 2023-2024 à l’Assemblée nationale, le 21 mars dernier.
Le gouvernement injecte notamment des sommes supplémentaires de 615 millions de dollars (M$) en cinq ans dans son Opération main-d’œuvre, lancée à l’automne 2021. Cela comprend 510 M$ sur cinq ans pour appuyer l’intégration socioéconomique des personnes immigrantes, dont 214 M$ serviront à bonifier l’appui offert à l’apprentissage du français.
Par ailleurs, le ministre Girard a pris bonne note des commentaires entendus lors de la consultation publique sur le Régime de rentes du Québec (RRQ) concernant l’âge d’admissibilité aux prestations. La section 5 du plan budgétaire est consacrée aux changements apportés au régime.
Des modifications législatives seront nécessaires pour plusieurs mesures, notamment à propos du mécanisme d’ajustement au régime supplémentaire, pour élargir le rôle de Retraite Québec ou pour protéger la rente des travailleurs de 65 ans et plus.
Pour encourager le maintien en emploi des travailleurs de 65 ans et plus, des modifications sont apportées au RRQ et entreront en vigueur en janvier prochain. Les bénéficiaires de 65 ans et plus qui reçoivent une rente de retraite pourront cesser de cotiser au régime, tout comme leur employeur. Par ailleurs, on mettra en place une protection de la rente des personnes de 65 ans et plus qui travaillent à temps partiel.
Dans les RPA
Le sujet du coût élevé des primes d’assurances est évoqué dans le plan budgétaire lorsqu’il est question des résidences privées pour aînés (RPA). « Des résidences continuent de fermer leurs portes en raison de l’augmentation importante des coûts d’exploitation, comme ceux associés à la main-d’œuvre, aux assurances et à la certification », précise le ministre dans son discours.
Le gouvernement maintient le programme d’aide financière pour l’installation de gicleurs, créé dans la foulée de l’incendie survenu à L’Isle-Verte en janvier 2014. Le gouvernement injectera 44,5 M$ en 2023-2024 et la même somme l’année prochaine à cette fin.
Le ministre annonce aussi la prolongation d’une année du programme visant à réduire l’impact des hausses de primes d’assurance dans les RPA. Le programme avait été annoncé dans le discours du budget 2021-2022 et devait durer deux ans. Il est reconduit jusqu’au 31 mars 2024.
Les primes d’assurance admissibles au programme se rapportent à l’assurance de dommages des biens, à l’assurance de responsabilité civile générale ou professionnelle ainsi qu’à l’assurance de responsabilité civile des administrateurs et dirigeants. L’aide est modulée en fonction de la taille des établissements et couvre une partie de l’augmentation des primes de l’année en cours par rapport au montant payé l’année précédente.
Chez les fabricants
Les différents groupes reliés au milieu des affaires ont eu des réactions mitigées à l’égard des choix budgétaires du gouvernement Legault. Du côté des Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), on estime que le budget est « timide » et contient des mesures « intéressantes, mais insuffisantes » pour aider les fabricants à relever les enjeux de la productivité et de la main-d’œuvre.
Selon la PDG des MEQ, Véronique Proulx, l’industrie manufacturière représente 13 % du PIB et 86 % des exportations du Québec. Si le gouvernement mise beaucoup sur la productivité pour pallier la pénurie de main-d’œuvre et combler l’écart de richesse avec l’Ontario, « MEQ constate que les mesures proposées feront peu bouger l’aiguille ».
L’organisation note plusieurs mesures pertinentes concernant la main-d’œuvre. « Il devient toutefois urgent d’accroître le bassin de travailleurs disponibles, car rien dans le budget n’aura d’impact réel en ce sens. De plus, les besoins de logements et de transports collectifs en région sont criants et nuisent aux manufacturiers qui peinent à attirer et retenir les travailleurs dans les différentes régions » souligne Mme Proulx. Les fabricants estiment avoir perdu 7 G$ de revenus sur la table en 2022 faute d’avoir les travailleurs nécessaires.
Les PME
Le lobby des PME est plus positif et applaudit notamment la baisse d’impôt. Mais la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) déplore que ses demandes concernant la fiscalité ne soient toujours pas entendues. Le vice-président pour le Québec de la FCEI, François Vincent, invite le ministre Girard à poursuivre dans cette voie concernant la fiscalité des petites entreprises.
La FCEI note positivement les mesures touchant le Régime des rentes du Québec (RRQ). Le caractère facultatif des cotisations à partir de 65 ans était demandé par 88 % des dirigeants de PME. La protection de la rente des travailleurs de 65 ans et plus était aussi demandée par 77 % des PME du Québec.
Par ailleurs, la FCEI applaudit les investissements de 615,2 M$ pour les six prochaines années pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre. Elle insiste cependant sur le frein considérable que représente cet enjeu. Selon M. Vincent, le nombre de postes dans les PME du Québec a augmenté de 73 % depuis 2017, passant de 95 500 à 165 100 en 2022.
La dette
Du côté de la Fédération des Chambres de commerce du Québec, le PDG Charles Millard salue notamment les mesures fiscales prévues au RRQ et les sommes prévues pour l’intégration des nouveaux arrivants. La FCCQ, tout comme les MEQ, souligne que la pénurie de logements nuit aux efforts de recrutement des entreprises, tout comme le manque de places en services de garde éducatifs.
Cependant, la FCCQ reproche au gouvernement d’avoir choisi le mauvais véhicule pour financer la baisse d’impôt, soit de baisser les contributions au Fonds des générations, lesquelles ont droit à des finances publiques saines. Les revenus supplémentaires tirés par le Québec en raison de l’inflation auraient pu être utilisés par le gouvernement Legault pour financer son engagement électoral, selon la Fédération.
L’absence de mesures fiscales pour soulager les entreprises est aussi soulignée. La FCCQ rappelle que les entrepreneurs subissent les conséquences de l’inflation et ses impacts sur les coûts d’exploitation, de transport et d’approvisionnement.
M. Millard donne en exemple le plafonnement des hausses de tarifs d’électricité à 3 % dont seuls les particuliers ont profité, alors que les entreprises ont subi une indexation de 6,4 %.
La FCCQ déplore aussi que le gouvernement ne donne pas suite à sa recommandation touchant le repreneuriat et qui serait utile pour la relève au sein des PME. Elle suggère d’assouplir les règles fiscales pour permettre aux entrepreneurs cédant d’effectuer un transfert de contrôle graduel de leur entreprise, plutôt que d’obliger un transfert à 50 % +1, « ce que bon nombre d’entrepreneurs ne sont pas prêts à faire du premier coup, préférant un transfert progressif ».
Une bonne chose
La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) se réjouit de la baisse du fardeau fiscal des particuliers, une mesure qu’elle dit réclamer depuis des années. La CCMM estime que le gouvernement a les marges de manœuvre pour appuyer les entreprises en cas de choc important.
Le contexte de la pénurie de main-d’œuvre impose d’autant plus la nécessité de « laisser une plus grande proportion du revenu gagné dans les poches des travailleurs », indique Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre.
Ce dernier souligne que le taux de postes vacants demeure très élevé. En conséquence, « il était important d’investir dans la diplomation de la relève, l’intégration, la francisation et la reconnaissance des compétences des immigrants ainsi que le maintien en emploi des travailleurs expérimentés », ajoute M. Leblanc.
Le patronat
Au Conseil du patronat du Québec (CPQ), on accueille favorablement les changements apportés au RRQ et les sommes supplémentaires aux infrastructures. Il reste cependant sur son appétit pour les mesures visant à élargir le bassin de travailleurs.
« Il y a quelques mesures intéressantes dans le budget, mais c’est encore trop peu pour pallier efficacement la pénurie de main-d’œuvre vécue par nos entreprises. Celle-ci aggrave plusieurs autres problématiques dans notre société comme l’insuffisance en logements, la pénurie de places en garderie, les pressions inflationnistes, etc. », indique Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil.
Même si l’utilisation du Fonds des générations pour réduire les impôts des particuliers ne lui plaît pas, le CPQ constate que le gouvernement est en voie de maintenir son objectif de réduction progressive de la dette et qu’il prévoie toujours atteindre l’équilibre budgétaire en 2027-2028.
Un mauvais choix
L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) émet une rare voix discordante concernant les changements apportés au Régime de rentes du Québec. Selon le chercheur Guillaume Hébert, le RRQ « a été créé pour aider les personnes retraitées à subvenir à leur besoin après avoir quitté le marché du travail. En instrumentalisant le régime pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre et répondre aux besoins du marché du travail, le gouvernement Legault détourne le régime de sa mission première ».
L’IRIS rappelle que « l’âge moyen des départs à la retraite et le taux d’activité de la population âgée de 65 ans et plus sont déjà en hausse depuis au moins 20 ans, et que plusieurs personnes âgées travaillent par nécessité, et non par choix ».
Julia Posca, chercheuse à l’IRIS, ajoute de son côté qu’il n’y a pas de formule magique en matière de pénurie de main-d’œuvre. « Il faut investir massivement pour intégrer les personnes immigrantes, y compris celles qui ont un statut temporaire », dit-elle.
Services publics
Sans surprise, deux des syndicats représentant des employés de la fonction publique déplorent les baisses d’impôts des particuliers et leur impact sur la capacité de l’État d’offrir des services publics adéquats. « Des bordels informatiques, des files d’attente, il y en aura d’autres », note Christian Daigle, président général du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ).
Il cite en exemple le virage numérique raté à la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), les délais d’attente au Tribunal du logement et l’incapacité de l’appareil judiciaire à recruter le personnel en nombre suffisant.
De son côté, le Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) déplore le fait que le ministre Girard « ferme les yeux délibérément sur l’urgence d’attirer et de retenir des experts dans des domaines névralgiques, comme l’informatique ».
Le nombre de postes vacants au sein de l’État a doublé en six ans, passant de 7,6 % en 2015 à 14 % en 2021, selon les données du ministère des Finances. Le gouvernement préfère se tourner vers les sous-traitants à 1 000 $ l’heure au lieu de rehausser le salaire de ses ressources internes, constate Guillaume Bouvrette, président du SPGQ.
Le manque d’effectifs est observable chez les biologistes, les aides pédagogiques, les psychologues, les fiscalistes, les traducteurs, etc. « Le gouvernement balaie sous le tapis des problèmes flagrants et préfère consentir des baisses d’impôts », ajoute M. Bouvrette.