Dean Connor, à la tête de Sun Life depuis maintenant 10 ans, affirme que pour guider leur entreprise, les futurs chefs de la direction devront emprunter un chemin bien différent que celui qu’ont suivi les dirigeants d’hier et d’aujourd’hui.

Celui qui prendra sa retraite en août dit que pour prospérer, les futurs chefs de la direction devront s’efforcer d’apprendre, et non prétendre tout savoir. Ils devront absolument être axés sur une raison d’être, avoir une vision mondiale même si leurs activités sont concentrées au Canada, et redoubler d’efforts pour comprendre tout ce qui entoure les technologies utiles à leur entreprise.

« Comprendre les technologies utilisées par l’entreprise, l’infonuagique, les données numériques, l’analytique, le pouvoir des données, la responsabilité à assumer au titre de la gouvernance des données ; savoir utiliser les renseignements des clients sans trop envahir leur vie privée… Ce sont toutes des compétences que je n’avais pas il y a 10 ans, honnêtement, mais j’ai travaillé et je me suis investi pour les acquérir. » Selon lui, la première expertise que les chefs de la direction devront approfondir est le fonctionnement des plateformes et des écosystèmes numériques. « Les changements climatiques sont la deuxième, ajoute-t-il. Je ne peux pas penser à une seule entreprise qui ne sera pas touchée par les changements climatiques. Certaines seront durement touchées. »

Dean Connor s’est adressé à différents acteurs de l’industrie en juin 2021, dans le cadre de deux présentations diffusées sur le Web et organisées par S&P Global Ratings et le Canadian Club of Toronto. Les sujets à l’ordre du jour étaient passablement variés, allant de la prise de risques au Canada aux défis à l’étranger, en passant par les moteurs de la demande actuels et à la raison d’être d’une entreprise.

Pour diriger une entreprise avec efficacité, une certaine dose d’humilité est nécessaire, poursuit M. Connor. Il donne l’exemple de la modélisation des risques liés à la pandémie : « Nous avons probablement eu raison pour la gravité de la mortalité, ou à peu près. Mais jamais en 100 ans nous n’avions prévu que tous les gouvernements dans le monde entier, sans exception, mettraient l’économie sur pause et feraient ensuite demi-tour et relanceraient l’économie », raconte-t-il. « Bref, ça nous rappelle qu’il faut un peu d’humilité. Il suffit d’être préparés. Il faut avoir une tonne de capitaux, bien gérer les risques et être prêts », a-t-il dit aux participants du 37e congrès d’assurance annuel de S&P Global Ratings, lors de la table ronde des dirigeants de compagnies d’assurance de personnes.

Si la crise financière mondiale nous a rappelé une chose, c’est qu’il n’y a rien de linéaire, a-t-il dit lors d’une autre discussion portant sur le même sujet au Canadian Club of Toronto, en compagnie de Marcia Moffat, chef de BlackRock au Canada. « Nos modèles peuvent être vraiment erronés, explique-t-il. À l’époque, de nombreuses compagnies d’assurance en ont souffert. »

Enfin, il souligne que les futurs chefs de la direction doivent s’attendre à des discussions avec les investisseurs très différentes par rapport à ce qui a déjà été la norme. « Il y a eu un profond changement pendant mon mandat », affirme-t-il, en voulant parler de ses conversations portant sur les engagements de l’entreprise en matière de diversité, d’équité et d’inclusion. « Idem pour les changements climatiques, ajoute-t-il. Je pense qu’il est encore tôt pour se fixer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre au sein de nos portefeuilles, surtout pour 2025 et 2030, mais je sais que certains investisseurs veulent en parler. » Il ajoute par ailleurs que Sun Life est en voie d’atteindre la carboneutralité cette année grâce à des mesures de compensation carbone qu’elle a l’intention d’implanter progressivement. À l’heure actuelle, ses placements durables s’élèvent à 60 milliards de dollars, montant qu’elle s’est engagée à augmenter à 80 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.

« Le capitalisme des actionnaires est toujours vivant, et je pense qu’il y aura beaucoup d’abstentions et beaucoup de votes pour soutenir et encourager les entreprises à aller dans cette voie. Je pense que Kevin Strain, qui prendra ma place en août, ainsi que d’autres chefs de la direction, vont suivre un chemin très différent de celui que j’ai suivi ces 10 dernières années. C’est une très bonne chose. Le dialogue va tout simplement s’améliorer. »

Une carrière bien remplie

Quand Dean Connor a pris les rênes de Sun Life, en 2011, il a hérité d’une entreprise solide avec un bilan sain, une présence mondiale, une histoire riche et des gens formidables. De plus, il profitait d’une vaste expérience, lui qui avait été auparavant chef de l’exploitation de Sun Life et président de Mercer pour les Amériques.

Depuis son entrée en poste comme président et chef de la direction de Sun Life, il a reçu nombre de marques d’approbation, dont PDG de l’année du Canada (2017), dirigeant d’entreprise de l’année selon Ivey (2018), et l’un des 100 meilleurs chefs de la direction dans le monde selon le Harvard Business Review (2019).

M. Connor a fait part d’un certain nombre de leçons tirées au cours de sa carrière, autant des réussites de l’entreprise que des transactions qui n’ont pas fonctionné comme prévu. Il a également fait le point sur la situation de l’entreprise et du pays et parlé des éléments en train de façonner l’avenir qui attend les futurs dirigeants.

Les réussites et les apprentissages du passé

M. Connor attribue son succès des dix dernières années et celui de Sun Life à trois choses : une stratégie d’exploitation claire, des politiques axées sur le client, et une raison d’être précise et distincte.

« Notre industrie a une formidable raison d’être, dit-il. Je pense que le fait de ramener l’entreprise à sa raison d’être a été un ingrédient important. »

Dean Connor est un adepte des objectifs ambitieux, mais réalisables. Le simple fait de fixer un objectif a créé un sentiment de responsabilité et d’urgence, explique-t-il, « parce qu’ensuite, il fallait courir comme des fous pour l’atteindre ». « Mais ça permet d’avoir un but commun et une responsabilité partagée. »

Tout comme il a été important de respecter la grande mission de l’entreprise et d’y revenir de temps en temps, les quatre piliers stratégiques de Sun Life ont énormément aidé M. Connor à délimiter son orientation et celle de l’entreprise. Ils ont aussi permis de réunir le personnel autour de la « cause ».

« Nous n’étions pas assez obsédés par le client. » - Dean Connor

« Nous nous sommes retirés de certains segments aux États-Unis. Nous avons vendu des entreprises, et nous avons travaillé plus fort sur les autres. Nous avons insisté sur l’Asie, qui est l'un de nos quatre piliers, et avons renouvelé notre engagement au Canada, qui est notre plus gros marché depuis toujours. Nous avons aussi redoublé d’efforts pour les garanties collectives aux États-Unis et, comme quatrième pilier, la gestion d’actifs. À elle seule, la clarté de la stratégie nous a aidés à être sur la même longueur d’onde dans toute l’entreprise. »

Il ajoute que Sun Life a commencé à axer ses décisions davantage sur le client. « Nous n’étions pas assez obsédés par le client. Mais il a fallu changer plus qu’une ou deux choses. Il a fallu tout changer : notre façon d’exercer nos activités, notre façon de rémunérer les employés. » À l’heure actuelle, 25 % des primes annuelles sont liées aux cotes des clients.

De même, le chef de la direction a eu une révélation quand il s’est rendu compte que Sun Life aurait un énorme bassin de clients potentiels si seulement l’industrie voyait les participants de régimes collectifs comme ses clients finaux. « Pour nous, le client était l’employeur, ou parfois, l’intermédiaire ou le courtier. Mais pas le participant. Ça a été une révélation pour moi. Juste au Canada, les participants de régimes d’avantages sociaux ou de retraite de Sun Life représentaient six millions de clients si nous les regardions autrement. C’est ainsi que nous avons lancé une toute nouvelle unité que nous appelons Solutions aux clients, qui vend directement aux participants de régimes. C’est un très grand succès. »

Au sujet des leçons apprises à la dure, il convient que certains projets ou acquisitions n’ont pas produit les résultats escomptés. « Mais la bonne nouvelle est que les plus importants ont fonctionné, et ceux qui n’ont pas fonctionné nous ont appris quelque chose ».

Par exemple, l’entreprise avait noué un partenariat avec une entreprise du secteur public de l’Asie. « Malgré toute la diligence raisonnable dont nous avons pu faire preuve, ce n’était pas la bonne formule pour nous. Nous avons dû rompre le partenariat au bout de 24 mois. » Parallèlement, sur le marché américain des garanties collectives, Sun Life s’est retrouvée dans une véritable course aux prix concurrentiels, de 2010 à 2012. « Ça a créé des écarts de tarification réels. Nous avons encaissé, mais nous avons juré que ça n’arriverait plus jamais et nous avons riposté. »

Ses observations sur le Canada d’aujourd’hui

M. Connor est très optimiste quant aux perspectives de croissance de l’entreprise au Canada. « Plusieurs voient Sun Life du Canada comme une entreprise somme toute établie, dit-il. Mais moi, je suis emballé par les occasions de croissance ! »

Même si 65 % des activités de l’entreprise sont en dehors du Canada, il est très difficile de prospérer à l’étranger sans avoir des fondations solides ici, ajoute-t-il.

En outre, il reste beaucoup de travail à faire dans l’ensemble de l’industrie, selon lui. « C’est encore trop difficile d’acheter certains de nos produits. Nous faisons encore des bilans sanguins dans certains cas, pour la souscription et l’assurance vie. Nous les avons réduits de beaucoup. Pendant la pandémie, je crois que 85 % des propositions ont été acceptées uniquement au moyen de la technologie et de l’intelligence artificielle. Mais pour les 15 % restants, nous avons continué à envoyer une infirmière à domicile pour prélever des échantillons de sang. Ce n’est pas un très bon processus. »

Il ne fait aucun doute que l’industrie profite de plusieurs avantages au Canada. La protection est une chose importante aux yeux des Canadiens, souligne M. Connor. De plus, les Canadiens sont forts en épargne et profitent d’excellents programmes de revenu de retraite. Par ailleurs, la surveillance qu’exerce le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) est généralement perçue comme un avantage lorsque Sun Life discute de possibles partenariats ou acquisitions ailleurs dans le monde. « C’est une autorité de réglementation respectée partout dans le monde, affirme-t-il. Je ne dis pas que nous avons un traitement de faveur, mais c’est un bon point de départ. Quand nous souhaitons acquérir une entreprise dans un autre pays, le fait que nous venions du Canada est vu comme un atout. »

Parmi les désavantages, maintenant, il y a ce certain manque d’empressement chez ceux qui n’ont pas travaillé dans des endroits où la cadence est rapide. « Le rythme est trop lent au Canada en général. Ce que j’ai fait de mieux durant ma carrière a été de déménager à New York, en quelque sorte. Je ne suis pas resté là longtemps (deux ans seulement), mais j’ai vécu et travaillé à New York. Le rythme, la prise de décisions, la prise de risques… C’est tellement différent. Le moteur tourne plus vite. C’est la même chose en Asie. Les choses vont incroyablement vite là-bas. »

Vu cette différence, et peut-être aussi pour montrer qu’elle est un employeur de choix, Sun Life a l’habitude d’envoyer ses employés travailler dans d’autres pays pendant un certain temps. « Je pense que l’un des plus gros avantages d’envoyer des gens à l’étranger, en particulier du Canada vers l’Asie ou vers les États-Unis, c’est qu’ils reviennent avec une nouvelle vitesse. Le sentiment d’urgence est plus présent. Ça ne veut pas dire qu’ils travaillent plus qu’avant, seulement que la prise de risques et le sentiment d’urgence montent d’un cran. »

Enfin, il dit que dans l’ensemble, le Canada devrait en faire plus pour inciter les jeunes à partir travailler à l’étranger et revenir ensuite au pays. « Il faudrait trouver un moyen d’encourager ça. »