Sur son parcours en matière d’intelligence artificielle (IA), le secteur des assurances en est à tenter de comprendre l’équilibre possible entre systèmes et humains ainsi que leurs rôles respectifs. Cette compréhension est absolument nécessaire, disent des experts du secteur. C’est une priorité à inscrire à l’ordre du jour. 

Dans un webinaire de Reuters Events intitulé Removing the ‘vs’ from ‘Human vs. AI’, les panélistes ont parlé de la façon dont l’utilisation de l’IA est unique pour chaque entreprise. L’IA a aussi un potentiel de transformation. Cela dit, certains pensent qu’elle éliminera des emplois. 

« L’intelligence artificielle nous aide à mieux comprendre et à mieux gérer le risque. » – Mano Mannoochahr 

« Les marteaux n’ont pas volé d’emplois aux gens. Personne n’a vu les marteaux comme une menace, seulement comme un outil », fait remarquer Sean Adams, vice-président principal, conception innovante pour le State Compensation Insurance Fund de la Californie. 

Les panélistes affirment plutôt que l’IA aide les entreprises à en savoir plus sur les risques et permet donc aux souscripteurs de prendre de meilleures décisions. Elle permet également aux souscripteurs et aux experts en sinistres de poser des questions qu’ils n’ont pas nécessairement eu le temps d’examiner dans le passé. « L’intelligence artificielle nous aide à mieux comprendre et à mieux gérer le risque », dit Mano Mannoochahr, vice-président principal et chef des données et de l’analytique, à Travelers

Souscription et indemnisation 

Au départ, l’IA a été utilisée dans le domaine de la fraude, mais certaines entreprises l’ont intégrée depuis à leurs processus de souscription et d’indemnisation. Pour donner un exemple, M. Mannoochahr raconte ce que son entreprise a pu accomplir avec les demandes présentées après une tornade aux États-Unis. 

« Il y a quelques années, nous aurions un peu navigué à l’aveuglette en essayant de comprendre où déployer nos équipes à mesure que les demandes de règlement arrivaient, raconte-t-il. Mais dans la dernière année et demie environ, nous avons développé un modèle d’apprentissage profond. Dès que ce genre d’événement se produit, en l’espace d’une journée, parfois au cours de la même journée, nous obtenons des images en haute résolution des zones touchées. La nuit venue, nous avons traité des centaines de milliers d’images et de parcelles, à la recherche de dommages. » Il ajoute que ce modèle est également capable de classer les dommages, des bris légers aux bâtiments détruits jusqu’aux fondations. 

« Les personnes qui s’occupent de traiter les demandes de règlement ont habituellement une pléthore de renseignements devant elles quand elles arrivent le matin », ce qui permet à l’entreprise d’envoyer ses équipes sur le terrain aux bons endroits. « Il est possible de récupérer les images à mesure que les demandes arrivent et de voir comment l’IA a évalué les dommages la nuit précédente. »

M. Mannoochahr affirme que cette façon de faire améliore l’expérience client, car l’entreprise émet parfois un chèque avant même que le client ait présenté une demande. « C’est tout simplement phénoménal, ce que nous avons pu accomplir, dit-il. Et c’est l’IA qui nous aide à le faire. »

Repérage et surveillance 

M. Mannoochahr a encouragé les participants au webinaire à réfléchir à ce qu’il faut pour évaluer les risques liés à un immeuble commercial. Le toit, fait-il remarquer, peut être un indicateur de l’état général du bâtiment. « Nous avons mis au point un modèle d’apprentissage automatique capable de repérer et de surveiller les bâtiments commerciaux dont le renouvellement est imminent », ajoute-t-il.

Jim Sorrells, dirigeant responsable de l’assurance et expert en sinistres, à Shift Technology, affirme qu’il est possible d’accepter de nouvelles affaires, de qualifier les pistes différemment, de comprendre les profils des clients d’une façon différente et d’offrir de meilleurs produits, tout cela avec l’aide de l’IA. Il ajoute que la façon dont les entreprises utilisent l’IA pour améliorer et faciliter la prise de décisions est ce qui leur permettra de se démarquer, puisqu’elles pourront prendre des décisions plus rapides, plus éclairées et plus précises. 

« Débarrassons-nous de cette perception antagoniste selon laquelle c’est l’un ou l’autre. Essayons de faire comprendre aux gens que c’est un outil qui va vraiment les aider. » – Sean Adams 

En effet, l’accessibilité de l’information permet de prendre différentes décisions en matière d’indemnisation et de souscription. « Lors de la souscription, ce que vous ne savez pas, c’est la chose que vous recherchez, n’est-ce pas ? Si cette chose existe, l’IA pourra l’extraire et la rendre accessible dans un court délai. » 

M.Adams souligne que c’est là un travail évolutif. « Je crois qu’il s’agit de fournir les bons renseignements aux bonnes personnes au bon moment », résume-t-il. D’un autre côté, l’IA peut également automatiser les tâches que les humains peuvent effectuer jusqu’à 20 000 fois par semaine. « C’est un domaine où l’IA peut certainement aider. »

Travaux en cours 

Quand vient le temps de lancer une initiative d’IA, les experts disent que les objectifs doivent être « clairs comme de l’eau de roche » dès le départ. « Est-ce qu’on essaie de réduire la durée du cycle ? D’accroître l’exactitude des données ? De retirer des choses du processus ? Qu’est-ce qu’on essaie de faire, exactement ? Et puis, ce qui est essentiel, ce que beaucoup d’entreprises oublient de faire, c’est la boucle de rétroaction. Est-ce qu’on a vraiment fait ce qu’on voulait faire ? A-t-on obtenu les résultats escomptés ? Tout ça est itératif », dit M. Adams. 

Fait intéressant, il ajoute que l’intégration de l’IA est un bon test pour déterminer à quel point une entreprise est cloisonnée. « Vous allez découvrir vos silos de données. Vous allez découvrir très rapidement à quel point votre plateforme de données est unifiée, ajoute-t-il. Si vous avez des données séparées, si vous avez des équipes séparées, vous allez vous heurter à ce problème très tôt. » 

L’aspect éthique 

L’aspect éthique en IA, qui consiste à s’assurer que la technologie prend les bonnes décisions, et non pas qu’elle introduit de nouveaux biais ou ne permet pas d’éliminer d’anciens biais. C’est également un travail évolutif. « Pouvez-vous expliquer comment fonctionne cette évaluation ? », a demandé Bryan Falchuk, animateur du webinaire, fondateur et associé directeur de Insurance Evolution Partners

« Ces considérations d’ordre éthique ne vont pas disparaître. Je pense que nous pourrions peut-être éliminer ces biais ou, du moins, arriver à un point où nous les jugeons acceptables, en tant qu’industrie, mais c’est toujours un processus en cours à l’heure actuelle. Je ne sais pas s’il y a une réponse pour l’instant », admet M. Adams. 

« Je pense que c’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous sommes un peu en retard, parce qu’il a été difficile d’expliquer le processus décisionnel, ajoute-t-il. Il faut être en mesure de le décrire avec un degré de certitude très élevé. Nous y arriverons un jour. Je pense que c’est un obstacle que nous pourrons surmonter. » 

Le côté humain 

La gestion du côté humain dans tout cela, la formation et la rétention des talents obligent les entreprises à trouver un certain équilibre. « Ce n’est pas tout le monde qui veut devenir gestionnaire. Ce n’est pas tout le monde qui veut travailler sur ces choses vraiment difficiles et traumatisantes 24 heures sur 24. Les gens ont besoin d’une certaine variation. Est-ce qu’on a pensé à ça ? Si nous éliminons des cas moins graves, donnons-nous au côté humain la chance de se rétablir ? C’est vraiment fascinant et, bien sûr, ça varie d’une personne à l’autre », explique M. Falchuk. « Ce sont des choses intéressantes, et je ne pense pas que nous ayons jamais pensé à nous y attaquer en tant qu’industrie. » 

La valeur des données 

Selon M. Adams, une fois qu’une entreprise se rend compte que les données qu’elle conserve ont beaucoup de valeur, un changement commence à se produire. « Je pense que c’est l’un des premiers signes qu’une entreprise est prête pour l’IA : elle peut voir la valeur que renferment ses données », dit-il. 

M. Mannoochahr, quant à lui, dit que la maturité d’une entreprise, et l’étape où elle se trouve dans son parcours avec l’IA, détermineront sa façon d’envisager la mise en œuvre. « Au départ, il y a habituellement une équipe distincte qui se concentre sur certains cas d’utilisation stratégique, sur la validation de principe, dit-il. Mais ce que nous avons appris au cours des dernières années, c’est qu’il faut que toutes les fonctions fassent équipe pour que nous puissions non seulement créer les modèles, mais aussi les intégrer à nos flux de travail, à nos systèmes transactionnels et aux premières lignes. On ne peut pas vraiment faire ça en vase clos. Il faut collaborer étroitement avec ses fonctions d’affaires. » Il ajoute que l’entreprise fait des essais auprès du personnel de première ligne d’une façon ou d’une autre, avant même d’avoir terminé sa modélisation. « Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il faut avoir une approche intégrée. »

Dans son entreprise, la plupart des cas d’utilisation (sauf quelques-uns) ont pour but d’aider les employés à devenir plus productifs et à améliorer l’expérience des clients et des courtiers. 

« Débarrassons-nous de cette perception antagoniste selon laquelle c’est l’un ou l’autre, convient M. Adams. Essayons de faire comprendre aux gens que c’est un outil qui va vraiment les aider. Un peu comme les téléphones intelligents, les ordinateurs et Internet. Comme tous ces changements de paradigme que nous avons vécus professionnellement au cours de notre vie », dit-il. « C’est un parcours intéressant. »