L’assurance des activités industrielles est une activité particulière requérant une grande compétence de la part des souscripteurs. Pour les polices dont la prime est déterminée par le volume de ventes à l’étranger, les variations du dollar canadien ont une réelle importance.François Jean, de Forum Risques & Assurances, juge que le contrôle de qualité dans les usines est beaucoup plus serré qu’avant. Les fabricants surveillent davantage ce qu’il se passe en usine, au lieu d’attendre que le produit défectueux soit livré chez son utilisateur final. Jean-François Beaulieu, de Hub International Québec, souligne que plusieurs entreprises font produire leurs composantes à l’étranger durant deux ou trois ans, puis achètent les installations de leur fournisseur pour les intégrer à leurs opérations.
Pour certains produits, le contrôle de la qualité est une obsession. M. Beaulieu cite en exemple toutes les composantes servant à fabriquer un produit destiné aux enfants, comme une couchette ou un produit alimentaire. « On le voit dans le bois : s’il n’y a qu’une mince partie du volume de l’usine qui finira dans les lits pour enfant », dit-il.
François Jean fait observer que les assureurs posent plus de questions lorsqu’un sinistre dans un secteur industriel fait les manchettes. Rappelant l’incendie chez BEM, à Coteau-du-Lac, le 20 juin 2013, il lance : « Assurer ce genre d’installation, ce n’est pas la saveur du mois. C’est déjà une classe difficile, ce genre d’entreprise où l’on entrepose des pétards, alors, après un tel sinistre... »
Il y a le marché américain, et il y a le reste du monde. Les assureurs américains sont très frileux pour une multitude de produits
– Charles Proulx
La destination des produits fabriqués en usine détermine aussi le montant de la prime. Certains assureurs n’aiment pas que les produits desservent la clientèle américaine, car les couts de litige aux États-Unis sont très élevés. « Il y a le marché américain, et il y a le reste du monde. Les assureurs américains sont très frileux pour une multitude de produits », dit Charles Proulx, de GPL Assurance. « On a des clients dont une partie des ventes se font de chaque côté de la frontière, et les primes d’assurance évoluent en conséquence », ajoute M. Beaulieu.
Daniel Binette, de BFL Canada, confirme que le pourcentage du chiffre d’affaires par pays est inscrit dans la police et détermine la tarification. D’autre part, la lourdeur règlementaire varie d’un territoire à l’autre. Selon lui, démarrer une usine dans l’État de New York est pratiquement impossible à faire tant les couts d’assurance sont élevés.
« C’est quand même le rêve de tout fabricant, grossiste ou distributeur, de prendre de l’expansion aux États-Unis. C’est un énorme marché. Quand les clients me demandent si l’assurance fera la différence, je leur réponds : “Si cela apporte une grosse augmentation de volume, allez-y, sinon, ça ne vaut pas la peine!” », relate M. Jean.
L’expertise à l’étranger
Le courtier doit fournir des renseignements utiles à son client qui veut exporter, précise François Jean. « La législation peut parfois être assez surprenante, comme au Mexique. Il existe là une clause de résiliation de la police en cas de problème de paiement de la prime. Si tu n’as pas payé ta prime au bout de 30 jours, l’assureur n’a même pas besoin de t’aviser que la police est résiliée. Ce n’est pas tout le monde qui est au courant », dit-il. En cas de résiliation, la loi mexicaine va même plus loin, comme si la police n’avait jamais été souscrite.
« Le temps pour obtenir les permis est très long dans plusieurs États. Il faut produire des documents dans la langue du pays où les clients font des affaires. Il faut planifier les risques des produits. Ça prend des gens capables de bien conseiller les clients », explique Charles Proulx.
« Pour les grands risques, les contrats se signent en face du client. On ne peut pas négocier au téléphone quand on parle d’une prime de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Pour monter le dossier du client, on doit connaitre son industrie; c’est une expertise qui s’acquiert au fil des ans, sauf si on l’a déjà. Le courtier doit savoir de quoi il parle », ajoute Daniel Binette.
Dans le secteur forestier, l’assureur Lumbermen’s Underwriting Alliance (LUA) a fermé sa division canadienne au printemps 2012. D’autres assureurs lui avaient grugé des parts de marché en baissant leurs primes. Des courtiers ont tenté de percer le marché, raconte M. Beaulieu, car LUA n’assurait pas la responsabilité civile des exploitants. « On a chacun notre stratégie. Plein de gens se sont essayés, mais ce n’est pas du risque facile à placer; ça prend des contacts avec les assureurs. » Son cabinet, tout comme celui de M. Binette, a récupéré d’anciens souscripteurs de LUA.
Glen Bates, de RSA Assurances, dit que ce secteur est rentable, mais rappelle que chaque assureur doit prendre sa décision en fonction des réalités économiques. « Après le départ de LUA, RSA était là avec un certain capital sélectif et une approche conservatrice. » LUA a été victime de la férocité du marché de l’assurance, souligne M. Beaulieu.
Le secteur manufacturier demeure rentable
Les assureurs font-ils de l’argent en couvrant les entreprises de fabrication? « Ça varie selon les secteurs d’une année à l’autre, mais oui, c’est un secteur que nous aimons », répond M. Bates. « Est-ce qu’il y a des sinistres? Oui, bien sûr. Mais, habituellement, c’est assez rentable », ajoute M. Proulx.
« On peut affirmer qu’il nous en coute plus cher qu’avant pour bien servir le client, tient à préciser M. Binette. On ne facture pas tout. Par exemple, les entrepreneurs nous demandent des plans d’action pour l’interruption des affaires à la suite d’une inondation ou d’un tremblement de terre. C’est correct, ça nous permet de montrer notre valeur comme courtier. »
La tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic, en juillet 2013, a bien démontré l’importance d’une bonne couverture d’assurance responsabilité pour les dirigeants d’une société de transport. Jean-François Beaulieu note que la concurrence est très vive entre les petites flottes de transport, et que la rentabilité des opérations est minimale. Cette industrie est très influencée par l’assurance.
« Les employeurs sont très ouverts à la formation, car l’exploitant qui a deux ou trois accidents la même année verra sa prime doubler. Les marges sont tellement minces qu’ils essaient tous les moyens d’économiser », dit-il. Selon lui, au Québec, seuls quatre ou cinq cabinets sont spécialisés dans le secteur du transport de marchandises.
Les employeurs de ce secteur sont très actifs en matière de prévention et de santé et sécurité au travail, ajoute M. Beaulieu. « Il y a des primes aux employés dans les entreprises où les dossiers sont bons en santé et sécurité, et à la SAAQ, les gens font généralement attention. Il y a des galas de fin d’année avec des récompenses. La prévention fonctionne bien, mais il y a des erreurs humaines », dit-il.
M. Beaulieu cite le cas de l’accident survenu le 10 avril, à Orland (Californie). Un camion de dix roues de FedEx a traversé le terreplein de l’autoroute pour aller frapper de plein fouet un autobus rempli d’étudiants d’une école secondaire qui allaient visiter le campus de l’université Humboldt. Bilan : dix morts, dont cinq étudiants, trois accompagnateurs et les deux conducteurs. Le camion de FedEx était couvert par une assurance responsabilité de 5 millions de dollars, tout comme l’autobus nolisé.
M. Binette souligne que les plus grandes flottes sont couvertes par des captives par l’entremise de leur association sectorielle. Les courtiers sont quand même mis à contribution pour couvrir les installations.