Les conseillers financiers qui ne s’intéressent pas à la demande croissante pour les fonds d’investissement socialement responsable courent le risque de perdre des ventes au profit des professionnels qui en offrent déjà. La mise en garde est servie par de nombreux experts en matière d’investissement.L’investissement socialement responsable identifie les fonds communs de placement qui investissent dans des entreprises évaluées non seulement pour leur rendement financier, mais aussi pour leurs pratiques environnementales et sociales ainsi que pour leur gouvernance.

Les fonds communs de placement représentent le principal point d’entrée de l’investisseur sur le marché canadien des investissements socialement responsables. Les Canadiens ont actuellement accès à plus de 70 fonds d’investissement socialement responsable. Ces fonds cumulent un actif total d’un peu plus de 12 milliards $, selon les plus récentes données de l’Association canadienne pour l’investissement responsable (AIR), appelée en anglais la Social Investment Organization. Il s’agit d’un organisme à but non lucratif, établi à Toronto, qui se consacre à la promotion des investissements socialement responsables.

Parmi les grands manufacturiers et distributeurs de produits d’investissement socialement responsable au Canada, on compte les Inhance Investment Management, Ethical Funds Company et Acuity. Great-West et London Life offrent aussi des fonds distincts d’investissement socialement responsable.

Tendance émergente

Selon l’Association et divers observateurs, le marché canadien des fonds communs de placement de détail deviendra vraisemblablement « vert » dans les prochaines années, puisque les investisseurs institutionnels se sont déjà tournés vers ce type d’investissement.

Ces dernières années, l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, la Caisse de dépôt et placement du Québec et la British Columbia Investment Management Corp., se sont officiellement engagés à considérer les questions sociales et environnementales comme une partie intégrante de leur processus de placement. À cet effet, ils ont signé les Principes pour l’investissement socialement responsable, une initiative gérée par les Nations-Unies.

Leur adhésion exprime fortement leur assentiment en faveur de ce secteur financier, fait observer Gary Hawton, chef de la direction chez Meritas Mutual Funds Inc. de Cambridge, en Ontario.

« Les investisseurs institutionnels sont souvent à la fine pointe des grandes tendances émergentes, comme ce fut le cas pour l’industrie des fonds de couverture», souligne M. Hawton. « Les caisses de retraite ont été les premières à investir dans les fonds de couverture, bien avant que les investisseurs individuels n’y prêtent attention », rappelle-t-il.

Au tour du marché de détail

Or, cette reconnaissance des caisses de retraite retient de plus en plus l’attention des investisseurs individuels.

« Nous ne sommes pas surpris de constater que nos activités ont connu une croissance de 50 % l’année dernière en raison du marché institutionnel », affirme M. Hawton. « À la fin de 2006, l’actif sous gestion de Meritas avait doublé, passant de 70 M$ l’année précédente à 140 M$. »

L’entreprise est confiante de presque doubler encore son actif sous gestion pour atteindre 250 M$ d’ici la fin de 2007.

Selon M. Hawton, les caisses de retraite canadiennes reconnaissent maintenant que les questions environnementales, sociales et de gouvernance peuvent avoir une incidence sur le rendement global d’un portefeuille.

Les conseillers financiers devraient y voir une indication claire que le marché des fonds au détail se dirigera vers l’investissement socialement responsable au cours des deux prochaines années.

« Les conseillers doivent être prêts dès maintenant à répondre à la demande croissante pour ces fonds», prévient Michael Jantzi, fondateur de Jantzi Research Inc., une société de recherche sur le placement, de Toronto. Elle évalue les entreprises en fonction de leur rendement en matière d’environnement, d’engagement social et de gouvernance. La société réalise également l’indice social Jantzi Social Index, un indice repère pour les fonds d’investissement socialement responsable.

M. Jantzi joint d’ailleurs M. Hawton sur le fait que le marché de détail adopte souvent des tendances observées sur le marché institutionnel.

Eugene Ellmen, directeur général de l’Association, partage le même avis. Il considère l’accession du grand public à l’investissement socialement responsable comme l’élément clé du succès de ce secteur. La niche que représentait le placement éthique se transforme en une approche grand public, affirme M. Ellmen.

Les Canadiens sont favorables au fait que leur caisse de retraite investisse dans des entreprises socialement responsables. Ils croient que la communauté financière devrait se préoccuper davantage des questions sociales et environnementales, avance-t-il.

M. Jantzi anime régulièrement des séances d’information sur l’investissement socialement responsable pour les conseillers dans tout le pays. Selon lui, ceux-ci devraient profiter du désir des investisseurs canadiens d’effectuer des placements qui ont une influence.

« La plupart des conseillers ne semblent pas comprendre qu’une occasion en or se présente, affirme-t-il. Ils peuvent augmenter leurs affaires en misant sur le désir des investisseurs d’agir au plan de l’environnement. »

Cet avertissement a commencé à porter fruit pour de nombreux conseillers qui favorisent ce type d’investissement. Sucheta Rajagopal, une conseillère financière de Toronto, travaillant pour Hampton Securities Ltd., en est un exemple parfait.

Il y a sept ans, Mme Rajagopal s’est spécialisée dans les fonds communs de placement éthique. Elle dit avoir misé directement sur le fait que certains de ses concurrents n’en n’offriraient pas à leurs clients.

«Plusieurs de mes clients faisaient affaire avec d’autres conseillers mais, ils ont décidé de les quitter, admet Mme Rajagopal. Ils me disent habituellement qu’ils se sont intéressés à l’investissement socialement responsable après en avoir entendu parler mais, que leur ancien conseiller ne leur offrait pas la possibilité d’acheter ces fonds. » Aujourd’hui, la totalité de ses clients investissent dans ce type de fonds.

Johnny Fansher, un représentant en fonds qui traite avec Ten Star Financial Inc., et président de Johnny Fansher Financial, en Ontario, est du même avis. Certains de ses clients ont également quitté leur ancien conseiller parce qu’il ne leur offrait pas cette option.

En août 2004, M. Fansher s’est engagé à offrir exclusivement des investissements socialement responsables à ses clients. «Depuis que j’ai pris cette décision, mes affaires ont fait une bond et ont rapidement prospéré», affirme-t-il. Il a toutefois refusé de révéler le montant de l’actif sous gestion qu’il compte.

À Montréal, Kenneth Thorpe, représentant inscrit chez Triglobal Capital Management Inc., est un autre conseiller qui profite de la réticence de certains de ses concurrents.

Il ignore combien de ses clients sont venus le voir faute de trouver des fonds chez leurs fournisseurs. Il dit toutefois recevoir aujourd’hui un grand nombre de clients à cause de son engagement.

Des clients potentiels intéressés à ce type d’investissement proviennent aussi du site internet de l’Association www.socialinvestment.ca. Ce site permet aux conseillers spécialisés d’y afficher leur profil.

Devenir vert

Comment fait-on pour devenir un conseiller « vert »? « Un intérêt imminent pour ces questions fait partie de la réponse, affirme M. Thorpe. Autrement, ne serait-il pas hypocrite de vendre des produits auxquels on ne croit pas? Devenir un membre de l’Association est une bonne façon de mieux se renseigner sur l’investissement socialement responsable. »

L’intérêt de M. Thorpe pour ce sujet l’a incité à cofonder un club de placement qui se spécialise dans le domaine. Connu sous le nom de Groupe d’investissement éthique (GIÉ), le club compte maintenant 49 membres. Il s’agit soit de jeunes gens ayant une implication sociale, soit de baby boomers ayant un héritage à placer.

Objections fréquentes

Si le secteur suscite un intérêt croissant, il n’échappe pas encore aux objections. L’une d’elle est que ce type de fonds communs restreint la répartition du portefeuille de l’investisseur, ce qui limite ses choix de placements et augmente par conséquent le risque.

Une autre critique stipule qu’il y a un prix à payer pour être socialement responsable et que cela diminue forcément le rendement.

Mais ces allégations ont été largement contrées à la lueur de nouveaux faits, répondent ceux qui privilégient l’investissement socialement responsable.

Certains de ces fonds se sont avérés aussi concurrentiels que leurs homologues conventionnels. Le Ethical Special Equity Fund, un fonds d’actions canadiennes à faible capitalisation, parrainé par le Ethical Funds Company, a été reconnu parmi les fonds gagnants lors du Canadian Investment Awards de 2006, en septembre dernier.

De plus, les indices de l’investissement socialement responsable, sur de longues périodes, ont obtenu des rendements similaires ou supérieurs à ceux des indices financiers traditionnels comme le TSX et le S&P.

L’indice social Jantzi, par exemple, a augmenté de 4,30 % au cours du mois de novembre 2006. Pendant la même période, l’indice composé S&P/TSX et l’indice S&P/TSX 60 ont respectivement augmenté de 3,52 % et de 4,30 %.

De sa création le 1er janvier 2000 jusqu’au 30 novembre 2006, l’indice social Jantzi a obtenu un rendement annualisé de 8,48 %, tandis que l’indice composé S&P/TSX et l’indice S&P/TSX 60 ont connu des taux de rendement annualisés de 7,98 % et de 7,56 % respectivement pendant la même période.

« Jusqu’à maintenant, nous avons surclassé l’indice composé S&P/TSX et l’indice S&P/TSX 60 », dit M. Jantzi. « Alors, ces résultats prouvent-ils que l’investissement socialement responsable génère de meilleurs rendements? Pas nécessairement, mais ils démontrent qu’ils peuvent produire des rendements concurrentiels. »

« Aux gens qui me disent que l’on peut soit investir de manière à respecter ses valeurs soit investir pour faire de l’argent... je dis que l’on peut investir de façon responsable et rentable à la fois. »

D’autre part, les sociétés de fonds communs de placement éthique ont aussi diversifié leurs catégories d’actif. Par exemple, Acuity détient plus de 8,5 milliards $ d’actif sous gestion pour le compte de clients à valeur nette élevée et de caisses de retraite, investis dans des fonds communs de placement qui couvrent la majorité des catégories d’actif.

Acuity, qui vend aussi des fonds conventionnels, offre trois fonds communs de placement dans le domaine de l’environnement et deux dans le domaine des valeurs sociales.

La société Ethical Funds Company parraine une famille de 14 fonds qui couvre également presque toutes les catégories d’actif, en dépit du fait qu’elle filtre les entreprises quant à leurs relations industrielles, à l’équité raciale, à la production de tabac ou de matériel militaire, à l’énergie nucléaire et aux pratiques environnementales. Voici certains exemples seulement.

En 2004, la pénétration du marché de l’investissement socialement responsable, évaluée à 65,5 milliards $, ne représentait que 3,6 % de l’actif sous gestion individuel et institutionnel total du pays, constate la Canadian Social Investment Review publiée récemment par l’Association. Il s’agit d’une augmentation par rapport aux 3,3 % observés en 2002.

L’AIR estime qu’entre 300 000 et 500 000 Canadiens ont investi dans ces produits. Son rapport pour 2006 n’était pas encore prêt au moment d’imprimer.

« À 3,6 %, nous croyons qu’il reste assurément un potentiel non exploité pour l’investissement socialement responsable ainsi que de nombreuses occasions pour les conseillers et le secteur financier », dit M. Ellmen.

Malgré tout, la plupart des conseillers financiers demeurent réticents à l’idée même d’offrir des produits de placement éthique à leur client, déplore Kerry Ho, chef de la direction chez Inhance Investment Management.

M. Ho préfère l’expression fonds de placement à caractère environnemental, social et axé sur la gouvernance – une expression plus à jour que « fonds d’investissement socialement responsable ».

« Ceux qui ont rapidement adopté ces fonds sont devenus des chefs de file dans ce secteur, affirme-t-il. Mais la principale raison qui fait hésiter les conseillers, c’est que nous sommes encore vus comme une niche. Il nous faut sensibiliser et informer.»

Selon lui, bon nombre de conseillers continuent de croire que l’investissement socialement responsable est synonyme de sacrifier les rendements sur un placement pour une bonne cause.

Mais, ce n’est pas le cas. Une société de fonds de placement à caractère environnemental, social et axé sur la gouvernance doit, à l’instar de toute autre société de fonds de placement, fournir un rendement si elle désire demeurer dans la course. Et fournir un rendement requiert une « bonne gestion ».

« Bref, tout est question de bonne gestion et les gens ont tendance à l’oublier, estime M. Ho. D’abord et avant tout, nous sommes des gestionnaires qui avons du flair et qui utilisons ces fonds pour limiter les risques et offrir une plus-value. »

« La plupart des investisseurs ne sont pas au courant de ce type de fonds », déplore aussi Elaine McHarg, première vice-présidente et chef du marketing de The Ethical Funds Company, de Vancouver qui détient 2,2 milliards $ d’actif sous gestion.

« C’est presque normal, dit-elle, parce que les fonds conventionnels sont très nombreux. Ils sont les principaux moteurs.»

Elle affirme que la mission des sociétés de fonds communs socialement responsables n’est pas de convaincre les conseillers et les investisseurs d’abandonner complètement leur fonds traditionnels.

« Nous souhaiterions voir les conseillers ajouter de la durabilité aux portefeuilles de leurs clients », dit-elle, en ajoutant que l’an dernier, la société a lancé un fonds éthique cycle de vie portant le nom de Life Cycle Ethical Funds Series. « Ceci est la preuve que nous sommes une société de fonds de placement normale et que nous nous maintenons à la hauteur des tendances du marché, indique-t-elle. Mais, au-delà de tout ceci, nous tenons compte des critères de durabilité auxquels les autres sociétés de fonds de placement ne portent aucunement attention. »