L’annonce de la formation de la Fédération des courtiers d’assurance indépendants du Québec (FCAIQ) ne fait pas l’unanimité auprès des courtiers et des assureurs. Elle a néanmoins relancé le débat sur la définition du courtage indépendant.C’est ce qui ressort d’une tournée de l’industrie menée par le Journal de l’assurance. Autant chez les courtiers que chez les assureurs, certains se disent en faveur de la nouvelle association créée par le cabinet Invessa Assurances et services financiers, tandis que d’autres s’y opposent ou sont indécis. Robert Beauchamp, président d’Invessa et président par intérim de la Fédération, se donne jusqu’au 1er décembre 2008 pour décider de poursuivre ou non le projet.
La Fédération aura comme mission « de supporter les cabinets de courtage d’assurance indépendants membres et de promouvoir leur identité auprès du consommateur ». Les cabinets de courtage qui voudront faire partie de la Fédération devront répondre à quelques critères. Ils devront n’avoir aucun assureur actionnaire de leur cabinet et en détenir le contrôle total. Ils devront prouver qu’ils ne sont pas dans une position où un assureur exercerait une influence indue sur leurs décisions. La Fédération ouvre toutefois la porte aux cabinets de courtage qui obtiennent du financement d’un assureur.
M. Beauchamp se défend d’attaquer les autres modèles d’affaires en lançant la Fédération. « Nous voulons plus être un promoteur du courtage indépendant qu’un défenseur. On ne veut pas faire du lobbying pour défendre des causes devant les gouvernements. Notre focus est mis sur le consommateur », dit-il.
Un premier appui
Un premier cabinet de courtage a annoncé au Journal de l’assurance vouloir faire partie de la nouvelle association. Il s’agit du cabinet Deslauriers et associés. Ses dirigeants Stéphane Bernatchez et Robert Bournival avaient pris position pour que le courtage indépendant en IARD soit redéfini dans une entrevue donnée au Journal de l’assurance en mai 2007.
« On se doit, depuis le temps qu’on en parle, mettre en place un endroit privilégié où on pourra se parler entre courtiers indépendants. Ce n’est pas au Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) qu’on peut le faire. Le RCCAQ a le mandat de représenter la majorité des courtiers. La Fédération nous permettra de faire entendre notre voix », explique Robert Bournival, vice-président de Deslauriers et associés.
Ce dernier ajoute que son cabinet ne s’identifie pas dans les campagnes de promotion que fait le RCCAQ. « On veut trouver un moyen de vendre le courtier indépendant. C’est difficile de le faire au RCCAQ, bien que ça n’enlève rien à l’organisme. Il y aura toujours un acheteur d’assurance qui va décider de faire affaires avec un courtier indépendant. On veut trouver ce client et s’adresser à lui. Je veux aussi qu’il soit capable de me trouver », précise-t-il.
Perplexité
Les autres courtiers interrogés par le Journal de l’assurance sont plus perplexes face à l’arrivée de la Fédération. John Morin, président de Morin Elliott et associés, dit comprendre d’où vient la frustration qui a mené à la formation de l’association, mais n’est pas prêt à lui donner son appui pour le moment.
« La question des modèles d’affaires amenée par la FCAIQ se discute un peu partout depuis quelques années. Je suis l’un de ceux qui croient que le courtier doit être indépendant du manufacturier et de l’assureur. Je me vois comme un acheteur d’assurance et non un vendeur. Je dois être indépendant pour faire des achats pour mon client. La seule solution qu’a trouvée l’Autorité des marchés financiers à ce problème est la divulgation. Ça n’a pas réglé le problème pour autant », fait-il remarquer.
M. Morin dit craindre de voir une multiplicité d’image de marque des courtiers avec l’arrivée de la Fédération. « Le courtage fait du branding depuis un bon bout de temps. Si on ajoute une autre idée ou un autre logo, est-ce que ça diluera le message? Quand je vais à Toronto en avion et que l’agente de bord voit mon bipper en épinglette et qu’elle me dit que je suis courtier, ça me fait toujours un petit velours. Est-ce que j’en aurai une autre qui viendra distinguer que je suis indépendant? C’est à faire attention », prévient-il.
M. Morin juge qu’il est trop tôt pour juger de la pertinence d’avoir une association pour les courtiers indépendants, mais concède que le modèle d’affaires a été mis à mal depuis quelques années, et ce, plus au Québec que dans les autres provinces. Il en impute la faute à la technologie des courtiers, qui n’a pas évolué aussi vite que celle des assureurs directs.
« On n’est pas capable de régler le problème assez rapidement et de façon satisfaisante pour le client de l’an 2000 en comparant les prix et les produits dans un temps comparable à celui qu’il attend au téléphone avec un direct. Les courtiers et les assureurs doivent en venir à une entente collégiale pour la profession, mais aussi pour les systèmes informatiques. Ce n’est pas facile à régler, mais ça demeure une grande frustration », dit-il.
M. Morin remarque aussi qu’il n’y a qu’au Québec que les assureurs ont une limitation quant à leur actionnariat d’un cabinet de courtage, mais que c’est au Québec que l’évolution vers les autres modèles d’affaires a été la plus rapide. Toutefois, il ne croit pas possible de faire une distinction entre courtiers.
Contre
De son côté, Serge Lyras, président du Groupe Lyras, est plus catégorique. Il ne croit pas que l’arrivée d’une association pour les courtiers indépendants soit une bonne chose.
« En tirant dans nos rangs, c’est la meilleure façon de se tirer dans le pied. Nous avons vu dans l’enquête de l’Autorité que les gens confondent facilement les choses et voient difficilement l’indépendance des courtiers. En laissant entendre que certains courtiers sont indépendants et d’autres pas, on amènera de la confusion dans leur esprit. De plus, il y aura un effet boomerang. Les gens ne sauront plus avec qui ils font affaires », dit-il.
M. Lyras ajoute que l’indépendance du courtier n’est pas quelque chose qui intéresse vraiment le consommateur. Il soutient que l’important est de divulguer ses liens d’affaires et la concentration de ses volumes. « Le courtier qui n’a pas de liens d’affaires et qui concentre est-il moins indépendant que celui qui a des liens et qui ne concentre pas? La divulgation mise en place par l’Autorité fait le travail, car elle dit exactement la situation des cabinets et des directs, qui doivent aussi divulguer. Ce n’est pas pour rien que Bélair a changé son nom pour BélairDirect. Il voulait marquer qu’il était un direct », fait valoir M. Lyras.
Ce dernier ajoute qu’il n’a pas l’intention de soutenir la Fédération. « Elle n’a pas la meilleure approche ni la bonne façon de faire. Les courtiers doivent rester unis et s’arrimer à la valeur ajoutée qu’ils offrent aux consommateurs. Ils ne doivent pas se catégoriser pour dire que certains courtiers sont meilleurs que d’autres. Ça va discréditer le courtage. C’est extrêmement dangereux », croit-il.
Trop permissif
BFL Canada n’a pas l’intention d’appuyer la Fédération. BFL croit que la Fédération ne va pas assez loin en acceptant dans ses rangs des cabinets qui ont des prêts avec des assureurs.
« Un courtier ne peut être totalement indépendant s’il a des liens avec un assureur. Une firme qui a des liens subira des pressions économiques d’une façon ou d’une autre. Par exemple, elle pourrait se faire offrir un taux d’intérêt moindre si elle place un certain volume chez l’assureur qui lui fait un prêt. Ce n’est pas l’indépendance telle qu’on la conçoit », indique Dominique Labelle, vice-présidente, solutions d’affaires, chez BFL. Elle croit néanmoins que la Fédération peut être une avenue intéressante pour un petit cabinet.
Hubert Brunet, vice-président assurance aux entreprises chez AssurExperts et ancien directeur général du RCCAQ, dit n’être ni pour ni contre la Fédération. Il se dit néanmoins heureux de voir le débat de l’indépendance des courtiers se faire ailleurs qu’au RCCAQ.
« Le problème, c’est la définition que donne la Fédération du courtier indépendant. L’indépendance est une notion personnelle. Ce n’est pas parce qu’un cabinet a vendu 20 % de ses actions qu’il n’est pas indépendant. Il peut aussi ne pas l’être. Il y a des cabinets pour qui avoir un actionnaire ne change rien, mais il y en a d’autres qui baissent leurs culottes. C’est très délicat. Il n’y a pas de critère absolu pour travailler dans le courtage », mentionne-t-il.
Les assureurs partagés
Du côté des assureurs, les avis sont partagés quant à l’arrivée de la Fédération. Le Groupe Economical se dit prêt à y donner son appui.
« C’est une bonne initiative, car les courtiers qui ne sont pas affiliés à un assureur ont des intérêts différents de ceux qui ont un assureur actionnaire, un plan de financement ou des liens contractuels, dit Ron Pavelack, vice-président exécutif et chef de l’exploitation de La Fédération et La Missisquoi. Je vois cela comme un complément au RCCAQ et non une menace. Il y a sûrement des items qui pourraient être amenés conjointement à la table par les deux organismes et d’autres où il y en a qu’un seul. Nous sommes une compagnie qui supporte les courtiers et s’il y a une initiative qui vient supporter et renforcer le réseau, nous allons être là. »
Louis Gagnon, premier vice-président Québec d’ING Assurance, se dit prêt à appuyer la nouvelle entité tant que le client est bien servi et bien représenté.
« On ne veut pas se battre sur les modèles d’affaires. C’est une initiative intéressante, car elle permettra de soulever des discussions. Si ça peut permettre de clarifier des choses, ce sera bien. La seule crainte que j’aie, c’est qu’il y ait trop de voix pour représenter les courtiers. Il ne faudrait pas qu’on perde de vue la croissance et le travail commun pour discuter de sujets plus difficiles », dit-il.
Aviva Canada dit avoir quelques questions à poser aux dirigeants de la Fédération avant de lui donner son appui. « Nous avons toujours prôné et encouragé le courtier indépendant. Pourquoi la Fédération existe et pourquoi nous en aurions besoin? Est-ce que les gens ne sont pas bien représentés par le RCCAQ? Est-ce que ce sera un complément au RCCAQ? Est-ce qu’ils seront en conflit avec la mission du RCCAQ? Est-ce un ajout au RCCAQ? Nous n’avons pas beaucoup d’infos », dit Ida Cerantola, conseillère marketing chez Aviva Canada.
En réflexion
AXA Assurances n’était pas prêt à émettre de commentaires sur le sujet au moment de mettre sous presse. Bernard Boiteau, vice-président exécutif assurances de dommages chez AXA, mène présentement une consultation avec les courtiers faisant affaires avec lui à ce sujet. Même chose à L’Union Canadienne. « Nous sommes en train d’évaluer la situation. Nous ne sommes pas prêts à prendre position encore. On pèse le pour et le contre de tout ça », affirme Jean Vincent, vice-président principal et chef de l’exploitation de L’Union Canadienne.
Au moment de mettre sous presse, le RCCAQ n’avait pas fait connaître sa position vis-à-vis la nouvelle association. Le conseil d’administration du Regroupement devait statuer sur la question le 11 juin dernier.
En entrevue avec FlashFinance.ca, une publication-sœur du Journal de l’assurance, Robert Beauchamp avait affirmé que la Fédération ne viendra pas faire contrepoids aux actions du RCCAQ. Toutefois, la Fédération prétend sur son site Internet « que la structure globale du Regroupement ne permet pas aux courtiers entièrement indépendants de débattre ensemble de sujets d’ordre confidentiel quant à l’avenir du courtage indépendant ».
« On ne voudrait pas que nos membres quittent le RCCAQ. D’ailleurs, les cabinets qui se joindront à nous auront un rabais sur leur adhésion s’ils sont membres du Regroupement. Les deux organismes vont combler des besoins distincts. Notre arrivée ne peut être qu’une bonne nouvelle pour le RCCAQ, car ça va les aider à regrouper tous les membres au Québec », dit M. Beauchamp.