De 70 à 80 % des fonds fédéraux consacrés à l’aide en cas de catastrophe sont désormais consacrés aux inondations.
La valeur des dommages a aussi quadruplé depuis 1980, indique le professeur Mathieu Boudreault, professeur en actuariat au département de mathématiques de l’UQAM. Les inondations ne se limitent plus désormais au débordement d’un cours d’eau. Elles peuvent survenir à tout moment durant l’année, pas seulement au printemps.
M. Boudreault s’intéresse d’ailleurs particulièrement au partage des risques financiers en assurance inondation. Comme membre du Réseau Inondations Intersectoriel du Québec (RIISQ), ses activités touchent principalement les impacts biologiques, psychosociaux, sanitaires et économiques, de même que le partage des couts associés. Il a dévoilé de grands pans de ses travaux à la Journée de l’assurance de dommages 2020.
M. Boudreault travaille à modéliser les impacts des changements climatiques sur l’assurance et la réassurance. Les inondations qui ont frappé le sud de l’Alberta en 2013, notamment à Calgary, ont couté quelque 2 milliards de dollars (G$) de dommages, tandis que celles survenues au Québec en Ontario en 2017 ont couté quelque 500 millions de dollars (M$).
Avant 2013, le débordement de cours d’eau n’était toujours pas un risque assurable au Canada. Le sinistre de Calgary a forcé les assureurs à s’occuper de ce créneau. Sur le volume total des primes en 2018, quelque 80 % des assureurs offraient l’avenant couvrant le risque de débordement, mais il est toujours facultatif. À peine un tiers des assurés disposent de la couverture complète, laquelle inclut aussi le refoulement d’égout.
Désormais, le risque d’inondation représente une plus grande part des indemnités versées en assurance habitation que celle associée aux incendies, souligne le chercheur. Les assureurs doivent désormais mener un test de résistance climatique afin de mesurer l’effet du climat sur leurs besoins de liquidités.
Des modèles tournés vers le passé
Les actuaires travaillent à modéliser les couts des inondations à court terme pour déterminer la prime, à moyen terme pour évaluer la solvabilité sur cinq ans et à long terme pour la stratégie sur dix ans. M. Boudreault juge que les outils dont disposent les actuaires sont rétrospectifs et mal conçus pour ce travail prospectif, car les approches classiques ne fonctionnent pas pour les inondations.
Un banc d’essai a été mené avec l’aide du Consortium Ouranos à Sainte-Marie-de-Beauce, où l’on a intégré les données sur le climat, l’hydrologie et l’ingénierie pour déterminer le meilleur tarif d’assurance. « On a pu le faire pour cette municipalité, mais le faire pour l’ensemble du pays, c’est un autre défi », dit-il.
La cartographie des risques demeure alimentée par des données historiques et ne permet pas vraiment de prévoir le risque associé aux changements climatiques, qui est en constante évolution.
Les assureurs doivent prouver qu’ils ont la capacité financière de dédommager leurs clients en cas de sinistre. Cependant, plus les probabilités de sinistre augmentent, plus il devient difficile de mutualiser ces risques, note le professeur Boudreault. Désormais, la divulgation des résultats aux tests de résistance climatique fait partie de l’évaluation faite par les agences de notation.
Le Groupe de travail sur les divulgations financières liées au climat (GTDFC) demeure à adhésion volontaire, mais il réunit déjà quelque 1 000 sociétés publiques dont la capitalisation boursière dépasse les 13 000 G$.
Au Canada, le Groupe d’experts sur la finance durable a publié un rapport en 2019. Il comporte plusieurs recommandations qui visent à mettre en œuvre au pays les avis du GTDFC et à intégrer le risque climatique à la surveillance, à la réglementation et à la supervision du système financier.
Au Royaume-Uni, ce test de résistance climatique est déjà largement reconnu et sera mis en œuvre dès 2021, poursuit le professeur Boudreault.
Parmi les projets de recherche qu’il supervise, Mathieu Boudreault revient sur le cas de Sainte-Marie-de-Beauce. Il a modélisé les impacts des émissions de GES sur les inondations dans cette municipalité en fonction des différents scénarios discutés lors de la Conférence de l'ONU sur le climat à Paris en 2015. Le sinistre qui survient aux 50 ans pourrait couter entre 6,2 M$ et 11,3 M$ entre 2021 et 2050, selon l’ampleur du réchauffement. Ce même sinistre ayant une récurrence aux 50 ans pourrait couter jusqu’à 17,6 M$ entre 2041 et 2070, si le scénario pessimiste se concrétise.
Limite à vie
En 2019, le gouvernement du Québec a ajouté plusieurs indemnités au programme d’aide financière, incluant les frais de déplacement et de relocalisation. Avant avril 2019, chaque sinistre était traité de manière indépendante à l’étape de l’indemnisation. Désormais, la première réclamation seulement est ainsi traitée.
Pour la deuxième réclamation et les suivantes, le Québec a établi une limite à vie pour les inondations multiples, d’une valeur de 100 000 $ ou 50 % du cout neuf pour la réparation et la reconstruction. « Cette limite peut être atteinte très rapidement », dit-il.
Le professeur Boudreault a analysé l'impact de la limite des 100 000 $, et il note une augmentation importante du risque d’insolvabilité. Ailleurs dans le monde, d’autres pays ont adopté des mesures pour partager les risques financiers associés aux inondations. Aux États-Unis, l’assurance offerte par l’organisme fédéral contre les risques liés aux inondations dans les zones à haut risque devient obligatoire dès le moment où un prêt hypothécaire grève la propriété.
En France, la couverture contre les inondations est incluse dans toutes les polices en habitation. La garantie est financée par une surprime de 12 % imposée à tous les bénéficiaires, peu importe où ils habitent. Au Royaume-Uni, une telle assurance existe aussi, mais elle est tarifée en fonction du risque de chaque propriété.
« Dans l’avenir, si l’on veut établir un régime de partage des risques ici au Canada, il faudrait limiter l’anti-sélection, offrir un produit abordable et qui encourage les bons comportements, et maintenir un régime viable à long terme malgré les changements climatiques », dit-il.
La contribution des assureurs
Selon M. Boudreault, les assureurs peuvent contribuer à faire adopter des mesures profitables à l’ensemble de la société. Les règles du Code du bâtiment, la présence de casernes de pompiers dans les quartiers densément peuplés et les mesures de sécurité dans la conduite automobile sont autant d’exemples de changements qui ont été adoptés grâce aux pressions des assureurs.
À son avis, les gouvernements doivent investir massivement dans la réfection des infrastructures pour limiter les risques liés aux inondations et surtout investir dans la mise à jour de la cartographie des zones inondables. Les assureurs ne peuvent payer seuls tous les dommages, et les gouvernements non plus. Le mécanisme de partage des risques financiers public-privé doit être créé si l’on veut instaurer cet esprit de prévention, conclut-il.