S’ils le voulaient, les assureurs de dommages canadiens pourraient assurer les dommages causés par les inondations. Aucun obstacle majeur ne les empêche de le faire, croit le réassureur Swiss Re. S’ils ne le font pas, ils courent le risque que le gouvernement leur impose une solution déplaisante dans le futur, ajoute-t-il.
Ce sont les propos qu’a tenus Jens Mehlhorn, chef de la division inondations du réassureur au siège social de Swiss Re, lors d’un webinaire sur la question, tenu le 16 février dernier. Plus de 300 personnes ont pris part à l’évènement organisé par le réassureur et par le magazine Canadian Underwriter.
En 2010, le réassureur avait publié un rapport sur la possibilité d’assurer les inondations au Canada. Trois grandes conclusions en étaient ressorties : le Canada est un pays à risque, il est le seul pays industrialisé dans le monde où ses assureurs n’offrent pas de couverture, et il est pourtant possible d’offrir une telle protection aux Canadiens.
Le réassureur n’a pas changé d’avis depuis. « Tout ce qu’il faut est de réunir un grand ensemble de risques. Ce problème peut être surmonté et ce risque doit devenir accessible. La technologie en place permet de bien l’évaluer », croit M. Mehlhorn.
Il dit aussi croire que proposer une telle solution aux Canadiens serait économiquement viable. « Aucun obstacle ne peut l’empêcher. Les assureurs doivent toutefois s’entendre, mais ils doivent aussi assumer leurs responsabilités en tant que preneurs de risques », dit-il.
M. Mehlhorn dit aussi que cette couverture doit être offerte à grande échelle. Toutefois, les zones à haut risque d’inondations doivent être exclues.
« Ça peut se faire par des exclusions ou en demandant une prime adaptée au risque. Les zones à haut risque doivent être tarifées très lourdement, au point où le consommateur ne pourra probablement pas se la payer », dit-il.
Rôle du gouvernement
Le gouvernement a aussi un rôle à jouer dans l’équation. Selon M. Mehlhorn, il se doit de sensibiliser le public au risque des inondations, tout en considérant le risque d’inondations dans sa planification, et de mettre au point des cartes le répertoriant. Il lui faut aussi garantir les investissements visant à contrôler les inondations, mais aussi permettre à l’industrie de bâtir des réserves pour y faire face. « Le gouvernement interviendrait alors seulement dans les zones à haut risque », dit-il.
M. Mehlhorn reconnait qu’il n’y a pas de système parfait. Néanmoins, il y en a plusieurs qui fonctionnent bien, dit-il.
Certains pays comme le Royaume-Uni, l’Australie et l’Allemagne ont recours à l’industrie de l’assurance pour couvrir ce risque. Au Royaume-Uni, il est même obligatoire de souscrire une protection contre les inondations. Pour ces trois cas, c’est le marché qui décide des tarifs.
En France et en Espagne, c’est plutôt une solution provenant du secteur public qui a été mis en place, obligatoire dans les deux cas. La Suisse a un système à mi-chemin entre les deux. Pour ces trois cas, c’est le gouvernement qui fixe les tarifs. Ainsi, si une inondation majeure survient, les primes sont à la hausse.
Les États-Unis ont aussi une option avec leur National Flood Insurance Program. Ce système est toutefois à rejeter selon M. Mehlhorn, compte tenu de ses nombreuses lacunes. Tous les autres modèles pourraient toutefois être applicables au Canada, dit-il.
Royaume-Uni : impensable de ne pas offrir de protection
Il donne en exemple le Royaume-Uni, qui revoit son modèle dont l’échéance se termine en 2013. Toutes les options sont sur la table, dit M. Mehlhorn, sauf celle de ne pas offrir de protection d’assurance.
« La responsabilité des assureurs est de plus en plus élevée en assurance habitation. Il coute maintenant plus cher de reconstruire une maison. Le changement climatique joue aussi un rôle. C’est pourquoi les assureurs se sont déjà engagés à maintenir une offre abordable et accessible d’assurance contre les inondations. Ils évaluent différentes solutions de pools pour éliminer les défaillances du système actuel. Ils ont choisi d’être proactifs dans leur approche pour améliorer le système et garder le tout abordable pour tous les propriétaires d’habitations au Royaume-Uni », dit-il.
En Allemagne, les assureurs ont décidé d’offrir une protection contre les inondations pour que le gouvernement ne s’immisce pas dans le dossier. D’ailleurs, ceux-ci font une promotion intensive de cette couverture et le succès est au rendez-vous. Son taux de pénétration est en hausse dans les régions où de telles campagnes ont été lancées.
En Australie, peu de propriétaires avaient une protection contre les inondations au début de 2011. Toutefois, les inondations qui ont touché la région du Queensland en décembre 2010 et en janvier 2011 ont changé la donne. Plusieurs assureurs ont alors décidé d’inclure le risque d’inondations dans leurs calculs là où des données sur le risque d’inondations étaient disponibles.
Paul Kovacs, directeur général de l’Institut de prévention des sinistres catastrophiques, participait aussi au webinaire. Selon lui, les assureurs canadiens ne peuvent plus jouer à l’autruche. « Les inondations n’ont plus trait aux années passées. C’est quelque chose qui se passe maintenant », dit-il.
Il donne en exemple les inondations qui ont frappé le sud de l’Alberta et la Saskatchewan en 2010, qui ont causé des dommages dépassant le milliard de dollars. Viennent ensuite celles qui ont touché le Manitoba en 2011 et forcé l’évacuation de 3 623 personnes. Sans oublier l’inondation de la vallée du Richelieu, au Québec, qui a inondé 2 663 habitations.
Le gouvernement canadien en discute
M. Kovacs dit noter que les assureurs discutent de la problématique entre eux, mais qu’ils demeurent prudents en ce qui a trait à ce risque. De plus, il souligne que le gouvernement fédéral investigue présentement à savoir ce qui peut être fait au chapitre des inondations.
M. Kovacs rappelle que le premier ministre Stephen Harper a survolé la région du Richelieu en hélicoptère pour y constater de visu les dégâts. Des mesures d’assistance aux sinistrés ont suivi. Il a ensuite mandaté ses ministres de rencontrer leurs collègues provinciaux pour discuter des problématiques découlant des inondations, dont la question des contrats d’assurance.
Il affirme que le gouvernement accueillera favorablement toute solution provenant de l’industrie. Il rappelle qu’il y a très peu de règles en place présentement en assurance habitation, d’où le danger d’intervention du gouvernement si l’industrie ne fait rien. M. Kovacs dit néanmoins croire que le gouvernement a un rôle à jouer.
« Le travail du gouvernement est de protéger la population, de cartographier le risque d’inondations dans chaque région et d’informer les gens. Il peut aussi les inciter à contracter de l’assurance, comme il l’a fait à l’époque pour le feu », dit-il.
M. Kovacs ajoute que son Institut étudie la problématique des inondations. Celle-ci se concentre sur les risques des quatre provinces les plus populeuses du pays, soit l’Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique et l’Alberta.
Prêt à réassurer ce risque au Canada
Questionné par le Journal de l’assurance au terme du webinaire, Jenh Mehlhorn de Swiss Re, dit que son entreprise serait prête à réassurer des risques liés à l’inondation au Canada si jamais l’industrie décidait d’assurer le risque. « Tant que les termes et conditions sont acceptables, nous le ferions. Nous le faisons déjà dans d’autres pays. Nous le faisons déjà au Canada, puisque les assureurs couvrent certains grands risques en assurance des entreprises contre les inondations », dit-il.