Malgré les efforts d’Aviva Assurance pour obtenir le rejet sommaire de la poursuite d’une entreprise manufacturière liée à l’interruption des affaires en mars 2020, la Cour supérieure de l’Ontario a certifié l’action collective du fabricant Nordik Windows. Le tribunal devra déterminer si la police d’assurance couvre les dommages des établissements qui ont dû fermer leurs portes en raison de la pandémie de COVID-19.
Le 22 mars dernier, le juge E.M Morgan a tranché le débat qui lui a été soumis le 30 janvier et le 1er février par les parties au litige. De nombreuses requêtes soumises par les parties ont alors été étudiées. Le tribunal ne rejette pas les arguments de l’assureur qui nient la couverture, mais il estime que ceux-ci doivent être débattus lors d’un procès.
Dès le 1er mars 2020, les autorités de santé publique de l’Ontario rendaient obligatoire la déclaration des cas d’infection. La fermeture de tous les commerces jugés non essentiels par le gouvernement de l’Ontario a été annoncée le 23 mars 2020, six jours après la déclaration de l’état d’urgence décrétée par le parlement à Toronto.
Nordik Windows est une entreprise manufacturière de portes et fenêtres qui exploite des établissements en Ontario et au Québec. L’entreprise et les autres firmes concernées par l’action collective ont acheté le même produit d’assurance couvrant l’interruption des affaires auprès d’Aviva.
Nordik Windows et les autres membres du groupe au départ ont présenté leur réclamation le 15 mai 2020. L’assureur a refusé leurs demandes le 1er juin 2020.
Les trois clauses
Aviva explique sa négation de la couverture par l’interprétation des trois types de clauses standards associées à l’interruption des affaires : 1° les dommages physiques directs, 2° les dommages liés à la publicité négative et 3° les dommages liés à l’accès restreint aux installations.
Dans son refus, l’assureur explique que le virus de la COVID-19 ne constitue pas un dommage physique direct aux biens de l’assurée. Aviva ajoute que les deux autres clauses ne couvrent pas les pandémies comme celle qui a frappé en mars 2020. La même réponse a été fournie à toutes les entreprises membres de l’action collective.
Dès le 22 mai 2020, Aviva avisait tous les courtiers de son réseau de distribution que « dans la très vaste majorité de nos polices, il n’y a pas de couverture de l’interruption des affaires pour les pertes liées à la COVID-19 ». Dans cette même lettre, l’assureur ajoutait que « si la garantie s’applique, les courtiers concernés ont déjà été avertis ».
Au paragraphe 17, le juge Morgan souligne que cette négation de la couverture a été généralisée. Aucune forme d’analyse particulière du dossier de chaque compagnie assurée n’a été mise en preuve.
Trois commerces de plus
Le 20 décembre 2021, la Cour supérieure de l’Ontario avait accepté d’entendre l’action collective. Le tribunal avait décidé de regrouper plusieurs litiges et autorisé une nouvelle audition pour définir les règles d’admissibilité à l’action collective.
La demande de certification entendue par le juge Morgan visait à ajouter de nouveaux représentants au litige initial de Nordik Windows. Les entreprises assurées estimaient être couvertes par leur police souscrite auprès d’Aviva, qui a nié leur réclamation respective.
Le détaillant Cash and Carry (C&C) est associé à Nordik Windows. Établi à Ottawa, ce commerce rapporte avoir subi de nombreuses annulations de commandes dès le début du mois de mars 2020, avant d’être forcé à fermer le 23 mars 2020.
Le 4 avril 2020, la province ordonne la fermeture des chantiers de construction, ce qui empêche les installateurs de portes et fenêtres de C&C d’avoir accès aux produits fabriqués par Nordik Windows. La réclamation du détaillant pour les pertes de revenus est de 1,3 million de dollars (M$).
Dans le cas de C&C, il y avait eu au moins un cas de COVID-19 rapporté par les autorités sanitaires dans un rayon de 25 km de l’établissement, ce qui couvre largement la municipalité d’Ottawa. La publicité négative associée au virus a fait chuter la demande, estime le détaillant.
Un autre détaillant non membre de l’action collective initiale, Hangar9 Studios, vend des vêtements pour femmes au centre-ville de Toronto. D’autres fermetures ont été imposées par le gouvernement ontarien en novembre 2020, puis encore en avril 2021. Seulement en 2020, la réclamation du commerçant est estimée à 125 000 $.
Le troisième commerçant est le traiteur Real Food for Real Kids (RFRK) qui dessert la clientèle des garderies et des camps d’été. Dans son cas, la fermeture de toutes les garderies imposées dès le 17 mars 2020 a évidemment fait chuter ses revenus. Son action collective a été intentée le 7 juillet 2020.
Selon le juge Morgan, ces trois commerces partagent la même identité de cause que Nordik Windows et pourraient être meneurs de l’action collective si le juge qui dirige le procès réfute la réclamation du fabricant.
Définition du groupe
Les requérants ont défini leur groupe en ciblant toutes les entreprises ayant subi des pertes liées à l’interruption des affaires provoquée par les mesures sanitaires.
L’assureur et défenderesse s’objecte à ce que des entreprises n’ayant fait aucune réclamation soit partie à l’action collective. La condition pour être comprise dans le groupe doit être basée sur une réclamation qui aurait été niée par l’assureur, selon Aviva.
Les déclarants associés à Nordik Windows rappellent qu’ils ont tous reçu la même réponse d’Aviva à leurs réclamations. Le tribunal constate que l’assureur a publiquement nié la couverture et demandé aux courtiers d’en avertir leurs clients, ce qui a probablement eu pour effet de réduire le nombre de demandes de réclamation.
Quelque 44 000 entreprises auraient souscrit ces produits au Canada. Ce sera au juge du procès de déterminer s’il fallait soumettre une réclamation et subir un refus de la part de l’assureur pour être admis au sein du groupe.
Après avoir entendu les parties, le tribunal a redéfini les conditions d’admissibilité à l’action collective. Le juge Morgan a également réfuté les arguments avancés par Aviva concernant la représentativité de Nordik Windows et de son PDG, Philippe Béchard, comme meneurs de l’action collective. Aviva estimait que la plaignante a pu finalement redémarrer sa production, laquelle avait été considérée comme un service essentiel.
Le tribunal rappelle que c’est le juge au procès qui déterminera si la réclamation de Nordik Windows est recevable et si les pertes subies sont réelles. Si tel n’est pas le cas, l’entreprise ne sera plus membre du groupe et ne pourra plus le représenter.
De son côté, le fabricant rappelle qu’il lui a fallu six semaines pour reconfigurer ses installations de manière à respecter les consignes sanitaires et offrir la distance recommandée entre chaque employé.
Le tribunal conclut que la demande de rejet par jugement sommaire demandée par Aviva ne peut être acceptée à ce stade de la procédure et que les arguments avancés doivent au moins être débattus lors d’un procès où l’identité de la cause des plaignantes sera discutée.