Même s’il parait peu glorieux, le congédiement administratif visant un employé en congé de maladie est un droit auquel l’employeur ne devrait jamais renoncer lorsque l’invalidité dure depuis longtemps, selon l’avocat Dominique L’Heureux.

Me L’Heureux, avocat associé chez Fasken Martineau Dumoulin, a créé une légère commotion dans l’assistance du 16e colloque de Solareh en expliquant les bases du congédiement administratif utilisé par l’employeur pour rompre le lien d’emploi avec un travailleur frappé d’une invalidité de longue durée.

Le spécialiste en droit du travail rappelle l’obligation de fournir une prestation de travail régulière et soutenue, inscrite à l’article 2085 du Code civil du Québec : « Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur. »

Le droit de s’absenter pour cause de maladie est protégé en vertu de la Loi sur les normes du travail (26 semaines) ou du Code canadien du travail (12 semaines). En présence d’un contrat de travail ou d’une convention collective, le lien d’emploi est généralement conservé pour une durée plus longue, variant d’un à deux ans, parfois même davantage. Depuis 5 ans, dans les tribunaux du Québec, il y a environ 70 décisions par année reliées au congédiement administratif.

Un test en 4 étapes

L’employeur a le droit de mettre fin à l’emploi pour cause d’incapacité, sous 4 conditions, qui viennent du test juridique établi par la Cour suprême en 2008 dans un litige impliquant Hydro-Québec. Il faut d’abord déterminer le caractère excessif de l’absentéisme. « Ça fera bientôt 20 ans que je pratique le droit du travail, et on débat du sujet depuis mes débuts. Il n’y a pas de définition universelle de l’absence au travail. Les tribunaux diront qu’un taux de 20 % à 25 % est objectivement excessif, mais je pense que ça l’est bien avant cela », lance-t-il.

Les patrons attendent généralement de recourir à la solution du congédiement administratif dans les cas extrêmes, lorsque le taux dépasse les 60 %. Le taux d’absentéisme est en moyenne de 4 % à 7 % au Québec, selon les secteurs. On compare les absences de l’employé à la moyenne de l’entreprise ou à celle du personnel occupant le même emploi. On peut donc mesurer le taux en fonction des 5 années précédentes.

Peu importe la nature de l’absence, il faut déterminer ce taux d’absentéisme sur une période raisonnable, tout en distinguant ces absences des lésions professionnelles. « L’absentéisme se définit en fonction des périodes où l’on vous attend au travail et où vous n’y êtes pas. Si vous êtes en congé ou en vacances, on ne vous attend pas », dit-il.

Absences répétées

Deuxième condition du test établi par la Cour suprême : l’absence de prestation de travail sur une base régulière et soutenue dans un avenir prévisible. Le caractère répétitif des absences en est un bon indicateur, selon Me L’Heureux. Le pronostic est assez facile à établir dans la plupart des cas. Le passé étant garant de l’avenir, « l’employeur peut et a le droit de présumer » que le retour au travail de l’employé en invalidité est peu prévisible, ajoute-t-il. Si les périodes d’invalidité n’ont pas la même cause, par exemple une dépression liée à une blessure, qui provoque une consommation abusive d’alcool ou de médicaments, le pronostic sera établi par un expert externe.

L’envoi d’un avis préalable au salarié est la troisième condition requise qui mènera vers le congédiement administratif. L’employeur ne fait que mesurer le taux d’absentéisme, il n’y a pas de reproche là-dedans, insiste-t-il. « Cet avis est très important. L’employeur y reconnait le caractère légitime de l’absence. Le congédiement doit y être présenté comme une mesure purement administrative. La loi oblige l’employeur à le faire. »

La convention collective prévoit habituellement le délai requis avant d’envoyer cet avis administratif. Lors d’une absence pour une dépression majeure, l’employeur préfère souvent attendre le retour au travail. « Je suis d’avis que l’employeur a intérêt à dire les choses quand elles se produisent », dit-il.

Dans la cause chez Hydro-Québec, l’avis formel n’avait pas été envoyé, mais la Cour suprême a établi que les circonstances de l’affaire montraient que l’employée ne pouvait ignorer ce qui l’attendait, après des mois passés à négocier son indemnité de départ avec l’employeur. La plaignante avait manqué 960 jours de travail sur une période de 7 ans et demi.

L’accommodement raisonnable

Dernière condition établie dans le test juridique de la Cour suprême: l’employeur est tenu d’accompagner le retour au travail si les mesures d’accommodement demandées pour faciliter la réintégration sont raisonnables et ne posent pas une contrainte excessive à l’entreprise ou aux collègues de travail.

Offrir sa prestation de travail est la règle de base, rappelle-t-il. Selon lui, l’accommodement qui équivaut à dénaturer le contrat de travail ou à créer un poste qui n’existe pas n’est pas raisonnable. L’employeur pourra refuser cette contrainte si la transformation demandée représente des couts élevés, pose une entrave à l’exploitation de l’entreprise ou un risque pour la sécurité, ou devient une atteinte aux droits des autres employés et à la convention collective.

L’obligation d’accommoder découle des droits reconnus par les chartes qui interdisent la discrimination sur la base du handicap de la personne. En 2000, dans une décision touchant un employé de la municipalité de Boisbriand, la Cour suprême a donné une définition « extraordinairement large du handicap », lequel pouvait être « réel ou perçu ». Les procureurs de la municipalité, dont l’employé faisait partie, faisaient valoir que le handicap doit avoir un caractère permanent. La Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) maintient une définition bien plus étroite du handicap lorsqu’il est question de lésions professionnelles.

Me L’Heureux ajoute qu’il n’y a pas d’automatisme en matière d’accommodement et que le processus doit rester individualisé et flexible. « L’employeur n’est pas un assureur. Il n’est pas tenu de maintenir le lien d’emploi s’il n’existe aucune mesure raisonnable qui permettrait le retour au travail dans un avenir à court ou moyen terme », dit-il. Aucune loi ne prévoit clairement le délai requis avant de procéder au congédiement administratif. L’employeur peut conserver le lien d’emploi pour des raisons humanitaires, mais il y a de bonnes chances qu’il regrette sa décision lors du prochain dossier d’invalidité qu’il devra trancher, conclut l’avocat.