À plusieurs reprises durant sa carrière d’actuaire, Claude Garcia a sonné l’alarme sur les problèmes de capitalisation des fonds distincts. En 2012, il ne peut que constater que le caractère plus strict des règles à ce sujet fait en sorte que l’industrie canadienne de l’assurance est en santé. Ce qui ne l’empêche pas d’être inquiet devant les défis actuels.Dirigeant de l’assureur Standard Life Canada, de 1983 à 2004, M. Garcia est aussi connu pour ses prises de position publiées par l’Institut économique de Montréal (IEDM), notamment sur l’intervention de l’État dans l’économie. Dès 1996, il tirait à boulets rouges sur ce qui risquait de « devenir le fléau de la prochaine décennie » : les fonds distincts.
En entrevue au Journal de l’assurance, il a dit constater que trop d’assureurs ont mésestimé l’impact négatif des mauvais rendements boursiers jumelé à une longue période de taux d’intérêt très bas, plus bas encore que dans les années 1930. Combinée avec un marché boursier peu dynamique, cette situation pèse lourdement sur le passif des assureurs.
Selon lui, les misères des marchés boursiers, depuis 2000, montrent bien la nécessité de renforcer l’application des règles touchant la capitalisation des fonds distincts. « Je me souviens avoir vu un texte de Mercer où l’on disait que sur une période de 10 ans, le rendement boursier des fonds distincts avait toujours été positif. Les auteurs avaient oublié de regarder ce qui s’était passé avant la Seconde Guerre mondiale. Si on regarde ce qui s’est passé en 1929, la Bourse de New York avait baissé de 91 % entre son sommet de 1929 et le plancher de 1932. Et ça lui a pris 25 ans pour revenir au niveau de 1929 », dit-il.
L’indice du Nasdaq a atteint environ 5 200 points en 2000, au pic de la bulle Internet. Douze ans plus tard, il plafonne à 2 800 points, une baisse de près de 50 %. « Des gens de l’industrie ont vendu des produits où l’on garantissait le rendement du Nasdaq sur 10 ans. Ça a dû leur couter pas mal cher. »
M. Garcia note toutefois que le système de régulation est très efficace au Canada et qu’il oblige les assureurs à respecter les règles de capitalisation, ce qui protège les clients.
« Ça prouve que le système canadien fonctionne. Et les règles de capitalisation sont ainsi faites, que même si vous faites un appel de capital, vous êtes toujours très solvable. Si l’assureur, pour une raison ou une autre, n’est pas en mesure de lever du capital, là, c’est inquiétant. Le fait qu’il soit en mesure de le faire montre que le régulateur fait son travail. Pour les actionnaires, c’est sûr que c’est moins intéressant. »
Les assureurs canadiens vivent des moments difficiles, note M. Garcia, mais ils passent au travers la crise, ce qui est une bonne nouvelle, selon lui. « Ce sont les nouveaux clients des institutions financières qui devront payer plus cher pour rétablir la situation, après des années de mauvais résultats », dit-il.
M. Garcia se dit toutefois très inquiet des répercussions de la crise économique en Europe et de son influence sur les marchés financiers et sur les résultats des assureurs. « Les institutions financières sont basées sur la confiance. Il ne faut jamais oublier que notre matière première, c’est l’argent du public et des clients. Quand les gens nous prêtent leur argent, ils veulent être sûrs de le ravoir quand ils en auront besoin un jour. »
Il attribue une grande part des problèmes de l’Europe à la mise en place de l’euro. Selon M. Garcia, sa création a eu pour effet de faire baisser les taux d’intérêt dans les pays où le taux d’inflation était élevé, dont l’Espagne et l’Italie.
« Ça a facilité l’acquisition de propriétés immobilières dans ces pays. Toutefois, aujourd’hui, les banques espagnoles se trouvent avec 7 % de prêts hypothécaires non performants, ce qui est considérable. Cette bulle immobilière découle de la création de la monnaie unique, mais on laisse les Espagnols avec le problème, au lieu de le régler à l’échelle de l’UE. » Il importe donc de créer rapidement un système bancaire fédéral afin d’éviter l’éclatement de la zone euro, dit-il.
Au pire de la crise financière, en 2008, on n’a pas dit à l’État de New York d’aider seul les banques de Wall Street, souligne M. Garcia. « Tous les instruments du gouvernement fédéral américain ont été mis à contribution pour soutenir les banques de Wall Street. »
Si rien n’est fait, prévient-il, les épargnants retireront leurs dépôts des institutions financières. « Aucune banque ne peut résister longtemps à des retraits massifs. Les institutions de dépôt doivent conserver une certaine partie de l’épargne en liquidités, mais il y a une limite, car si tout est liquide, vous n’êtes pas compétitifs pour les taux que vous allez offrir aux épargnants », dit-il.
Opposé à la vente d’assurance dans les banques
Au Canada, M. Garcia se dit opposé à tout changement qui permettrait aux banques d’offrir de l’assurance en succursale ou sur Internet. « Les banques ne renonceront pas aussi facilement à la vente d’assurance en succursale, dit-il. Il faut voir aujourd’hui comment elles se servent du prêt hypothécaire pour aller chercher un client et leur vendre d’autres produits. »
Les banques n’attirent pas leur client avec une prime d’assurance, mais avec le taux d’intérêt hypothécaire, ajoute-t-il. « Les marges sont très bonnes pour les banques quand elles vendent cette assurance. C’est clairement une vente croisée, et comme c’est toujours le cas en la matière, c’est rarement dans l’intérêt du consommateur, mais plutôt dans celui du vendeur. » La législation actuelle n’empêche pas les banques canadiennes de faire de bonnes affaires, précise-t-il.