La vague de consolidation que connait le courtage actuellement est loin d’être terminée. Elle se poursuivra pendant encore un bout de temps, tant du côté des assureurs que de celui des courtiers, croit un avocat spécialisé en fusions et acquisitions interrogé par le Journal de l’assurance.

Stephen Kerr, associé chez Fasken Martineau à Toronto, conseille des assureurs et des firmes de courtage depuis plusieurs années en matière de fusions et acquisitions. Il a notamment conseillé les firmes Dale Parizeau et Morris Mackenzie lors de leur fusion à la fin de 2006.

Lorsqu’il a débuté sa carrière à la fin des années 1990, le marché de l’assurance de dommages était très fragmenté au Canada, rappelle-t-il. « Les assureurs y présentaient un rendement de l’avoir des actionnaires horrible année après année. Puis, au début des années 2000, il y a eu une certaine consolidation. La crise financière est ensuite survenue, ce qui a ramené les multiples d’acquisition à des niveaux normaux. Certains assureurs ont pris la décision de quitter le Canada, incertains de la direction que le marché prenait. Celui-ci s’en est toutefois bien tiré, se montrant plus résiliant que ceux de l’Europe ou des États-Unis », dit M. Kerr.

Au cours des dernières années, il y a eu des transactions significatives, souligne-t-il, mais la plupart étaient le résultat d’enchères. « Il y a eu très peu de transactions où on a vu un assureur payer un prix indécent pour acquérir une cible qu’il avait à cœur. Ça s’est aussi reflété du côté du courtage. Les assureurs ont commencé à acheter le réseau de distribution. Ils ont été très actifs auprès des courtiers. Le marché s’est stabilisé à ce moment », dit-il.

L’impact d’Ontario auto et de la démographie

Mais maintenant, quel est l’appétit des courtiers, des assureurs et d’autres groupes qui voudraient acheter des entreprises d’assurance au Canada? « Qui veut jouer dans le marché de l’assurance automobile en Ontario? Combien une compagnie est-t-elle prête à payer pour un concurrent qu’elle veut vraiment? On peut s’attendre à ce que les compagnies d’assurance agissent comme elles l’ont fait à la fin des années 1990. Il y a encore une différence entre ce qu’un assureur est prêt à payer et ce qu’il veut pour se mettre en vente », dit M. Kerr.

Un autre facteur entraine une accélération de la consolidation : le vieillissement des dirigeants de cabinets de courtage. « C’est un défi auquel ce secteur fait face. On voit que la prochaine génération ne veut pas relever le défi de diriger une entreprise. C’est quelque chose qu’on voit d’un bout à l’autre du Canada. Ça amène une consolidation, et certains grands cabinets, comme Hub, en profitent. Ils sont d’ailleurs constamment à la recherche de telles occasions », dit-il.

Ce phénomène pousse aussi les assureurs à vouloir sécuriser leur distribution. « Ils sont prêts à payer pour cela. Ça amène aussi un autre avantage pour les assureurs. Ils regagnent une partie du commissionnement qu’ils versaient aux courtiers », dit-il.

Les multiples demeurent élevés

Vu que de plus en plus de cabinets se mettent en vente faute de relève, on serait tentés de croire que leur prix va en baissant. Ce n’est toutefois pas ce qui se produit, dit M. Kerr.

« Ce qui est merveilleux au sein de la communauté du courtage, c’est que les gens se parlent. Ils connaissent donc les multiples de vente sur le bout des doigts. Ils savent à quel prix leur concurrent a été vendu et sont capables de déterminer la valeur des multiples propres à leur cabinet Ça stimule aussi leur appétit pour vendre, ce qu’ils sont souvent prêts à faire », dit-il.

M. Kerr dit porter une attention particulière à la transaction qui a fait passer le réseau de courtage Noraxis de RSA à Arthur J. Gallagher. « C’est un grand joueur qui vient marquer sa présence au Canada et qui n’y était pas très présent jusqu’à maintenant », dit-il.

Autre avantage pour les courtiers : ils ont un don inné pour protéger leurs affaires des affres des régulateurs. « Si on les compare aux banques ou aux assureurs, ils s’en tirent mieux. Il ne faut pas oublier que plusieurs courtiers œuvrent dans des milieux ruraux. Ils sont habitués de s’impliquer au sein de leur communauté », dit-il.

Malgré cette force à se mobiliser, le réseau de courtage indépendant pourra-t-il passer à travers les 20 à 30 prochaines années avec tous les changements qui ont cours dans le marché? « Il y a beaucoup d’incertitudes pour eux. Le marché tend à aller vers un modèle plus direct. Les assureurs achètent le réseau de distribution. Sans compter l’intérêt des banques pour le marché de l’assurance de dommages. Combien de temps les courtiers peuvent-ils survivre à tout cela? Tout le monde prédisait leur fin il y a dix ans avec l’arrivée d’Internet, ce qui n’a pas été le cas. C’est un réseau très résilient. Toutefois, il ne faut pas oublier que plusieurs courtiers se disent que c’est le moment de vendre, et ça continuera », dit M. Kerr.

Les courtiers québécois désavantagés

Par rapport à leurs collègues des autres provinces, les courtiers québécois sont désavantagés, selon M. Kerr, vu les limites d’actionnariat qu’une institution financière peut posséder dans un cabinet de courtage. Au Québec, cette limite est de 20 %, alors qu’il n’y en a pas ailleurs au Canada.

« Un assureur ou une banque se demandera s’il vaut vraiment la peine d’acheter un cabinet s’il ou elle ne peut avoir le contrôle complet de son actionnariat. Ça pourrait avoir un gros impact sur le marché québécois. Les courtiers en viendront peut-être à se demander s’ils ne préfèreraient pas que cette limite disparaisse. Ça aura un impact définitif sur la valeur des cabinets au Québec », dit M. Kerr.

Du côté des assureurs, M. Kerr croit que la prochaine vague d’acquisitions sera déclenchée lorsque le Groupe Economical aura officialisé sa démutualisation. « Une fois qu’Economical aura l’indication d’aller de l’avant, les autres mutuelles présentes au Canada auront une sérieuse réflexion à faire. Ça exacerbera les activités de fusions et acquisitions au pays. On n’a qu’à penser à ce qui est arrivé du côté de l’assurance vie. Et le tout s’est fait rapidement! C’est ce que le marché attend, que l’on parle de banques, d’assureurs ou d’avocats se spécialisant, comme nous, en fusions et acquisitions. Il y aura une immense pression sur les autres mutuelles pour se démutualiser », dit-il.

Les assureurs d’origine européenne seront-ils aussi tentés de quitter le Canada, vu les fortes pressions qui leur sont imposées en matière de capitaux à maintenir sur le Vieux Continent? Pas nécessairement, croit M. Kerr.

« Il n’y a pas eu de sortie significative depuis trois ans. Certains doivent toutefois se demander s’il vaut la peine d’investir pour maintenir une part de marché ou pour la faire croitre de 5 %. Leur résilience est impressionnante. Ils semblent dédiés au marché canadien. On peut prendre l’exemple de l’assureur américain Travelers, qui vient de réaliser une importante transaction en achetant Dominion. Il ne faut donc présumer de rien », dit-il.

Trop de joueurs dans le marché

À quoi ressemblera le marché de l’assurance de dommages dans cinq ans? M. Kerr dit qu’une seule chose est certaine : il y aura moins de joueurs dans le marché, tant du côté du courtage que de celui des assureurs. « Pour les courtiers, avoir moins d’assurance sera un désavantage. Leur modèle d’affaires s’établit sur le choix qu’ils offrent. Si le courtier en offre moins, le consommateur pourrait bien se demander pourquoi il fait affaires avec lui », dit-il.

M. Kerr affirme aussi qu’il y a présentement trop de joueurs dans le marché, sur le plan tant des assureurs que des courtiers. « Ça affecte de façon importante leur efficacité. Le loup est resté trop longtemps hors de la bergerie. Bien que les courtiers soient forts au niveau de la représentation politique, ont-ils la résilience nécessaire pour faire face à des géants comme Marsh ou AON? C’est à voir », dit-il.