Y aura-t-il une montée vertigineuse du prix de l’assurance vie à la suite de l’adoption du projet de loi sur la non-discrimination génétique ? Oui, affirme l’Institut canadien des actuaires (ICA).
L’organisme estime que le prix des produits d’assurance vie temporaire pourrait augmenter jusqu’à 50 %, si la loi prenait effet. Les assureurs pourraient même retirer certaines maladies de l’assurance maladies graves. Or, certains autres affirment que la souscription a tellement évolué qu’il n’y a plus lieu de compter sur un simple examen pour établir l’admissibilité d’une personne à l’assurance.
Au début mars, la Chambre des communes a fait adopter le projet de loi S-201, la Loi sur la non-discrimination génétique, qui interdit à un assureur ou un employeur d’obliger une personne à subir un test génétique ou à en communiquer les résultats pour obtenir une assurance ou toute autre entente contractuelle. La transmission des résultats d’un test génétique sans autorisation écrite serait aussi illégale, sauf de la part des professionnels de la santé et des chercheurs.
Au lendemain de l’adoption du projet de loi, la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould a annoncé que le gouvernement souhaite demander à la Cour suprême d’en vérifier la constitutionnalité.
Ce sont les provinces, et non le gouvernement fédéral, qui s’occupent de l’assurance maladie, si bien que diverses organisations, dont l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), ainsi que trois provinces — soit le Québec, la Colombie-Britannique et le Manitoba — s’opposent à la loi.
Promesse des assureurs
Avant de faire quoi que ce soit, l’ACCAP attend de recevoir une réponse claire d’Ottawa quant à ses intentions. L’ACCAP affirme que les assureurs se sont déjà engagés à ne jamais demander à une personne qui souscrit une assurance vie de passer un test génétique. Pas plus qu’ils ne demanderont, ou utiliseront, des données génétiques dans les demandes d’assurance vie de 250 000 $ ou moins, à partir du début de 2018. L’ACCAP précise que cette mesure couvre plus de 85 % des nouvelles demandes d’assurance vie.
Dans un mémoire de recherche, l’Institut canadien des actuaires dit que l’impact qu’aurait l’interdiction de laisser les souscripteurs accéder aux résultats de tests génétiques ainsi imposée à l’industrie de l’assurance dépend de la valeur de l’assurance envisagée. L’Institut signale que les conséquences pour l’industrie seraient limitées et progressives si la limite était fixée à 100 000 $, mais qu’elles seraient considérables si on la plaçait à un million de dollars. Elle toucherait plus particulièrement les titulaires de produits d’assurance vie temporaire, les augmentations de prix potentielles se situant à 30 % du côté des hommes et à 50 % du côté des femmes, mentionne Jacques Boudreau, président de la Commission sur les tests génétiques de l’Institut.
Assurance maladies graves
L’assurance maladies graves pourrait elle aussi être fortement touchée, surtout dans le cas des polices de 250 000 $ ou plus. « Cet impact est beaucoup trop prononcé pour que l’on puisse s’attendre à ce que les sociétés d’assurance l’assument sans augmenter les taux de primes », précise l’Institut canadien des actuaires dans un deuxième mémoire.
Étant donné que les tests génétiques liés aux maladies graves continuent d’apparaitre, on peut s’attendre à ce que l’impact soit grandissant, estime l’Institut. Si on établit une relation particulièrement solide entre une maladie quelconque et un certain gène, les compagnies d’assurance peuvent décider de retirer cette maladie de leur liste de maladies graves couvertes et en faire un risque non assurable.
Si on fixe la limite à 100 000 $, soit juste au-dessus de la couverture moyenne des assurances maladies graves actuellement en vigueur, l’incidence sur les primes sera moindre, mais vraisemblablement pas nulle, selon l’Institut.
À l’étranger
Or, Bev Heim-Myers, présidente de la Coalition canadienne pour l’équité génétique, a déclaré qu’on n’avait pas vu d’augmentation de primes dans les autres pays où le dépistage génétique est protégé en vertu de la législation sur le droit à la vie privée.
« Dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni, dans l’Union européenne et à Israël, le marché de l’assurance est prospère, a affirmé Mme Heim-Myers en entrevue au Journal de l’assurance. Il faut dire que [dans ces pays], les gens ne se sont pas précipités pour augmenter leur assurance. Dans leur esprit, ce n’était pas un bon placement, puisqu’ils ne savaient vraiment pas de quoi ils allaient mourir. Ils ont donc plutôt demandé une couverture d’assurance normale – ce qui est super. Toutefois, ils ont aussi posé des gestes proactifs, soit en traitant leur maladie, soit en l’empêchant de progresser. Dans les faits, le Royaume-Uni affiche maintenant une meilleure santé, tant sur le plan collectif qu’individuel. »
Elle a aussi mentionné qu’un certain nombre d’organisations avaient entendu des experts de haut niveau en matière constitutionnelle affirmer, avant le vote sur le projet de loi, que la législation relevait bien de la compétence du gouvernement fédéral. Elle ajoute que son organisme a aussi sondé l’ensemble des provinces avant le vote pour savoir si elles étaient en faveur de la législation. Celles-ci se sont alors déclarées soit pour, soit indifférentes.
Pas de comparaisons possibles
À l’Institut canadien des actuaires, Jacques Boudreau soutient toutefois qu’on ne peut pas comparer la réalité du monde de l’assurance au Canada à celle d’autres pays. Il faut comparer des pommes avec des pommes.
D’abord, bon nombre des pays qui ont adopté une législation contre la discrimination génétique ne se sont pas donné le temps de voir leurs assurés atteints d’une maladie d’origine génétique en présenter les symptômes. Pensons à cet égard à la maladie de Huntington, dont les symptômes pourraient se manifester dans 20 ans, voire plus, illustre-t-il.
Deuxièmement, il est beaucoup plus courant d’avoir une assurance vie individuelle en Amérique du Nord qu’en Europe. Au Royaume-Uni, dit M. Boudreau, la norme veut plutôt que l’on se procure moins d’assurance, et ce, bien souvent pour une moins longue période de temps – par exemple pour couvrir une hypothèque.
Troisièmement, l’assurance vie nord-américaine est assortie d’une garantie correspondant à la durée du contrat. Si le titulaire peut mettre fin au contrat, l’assureur ne le peut pas. « Les contrats européens ont moins tendance à être garantis. Ils sont souvent ajustables. Ils vont être de plus courte durée. »
Assurance collective
L’assurance collective sera probablement moins touchée par la nouvelle législation. Elle répartit déjà le risque parmi un grand nombre de personnes. Les prix ne tiennent compte que de la catégorie professionnelle de l’assuré : cadre, direction ou employé, fait remarquer Dave Patriarche, propriétaire de Mainstay Insurance et fondateur du regroupement de courtiers en assurance collective Canadian Group Insurance Brokers (CGIB). L’assurance collective est aussi associée à des montants moins élevés que l’assurance individuelle. Elle se situe souvent entre 25 000 $ et 100 000 $.
M. Patriarche affirme espérer que la loi, si elle prend effet, ne fasse pas grimper les taux en flèche. Cela réduira le nombre de personnes à prendre une assurance, alors qu’une grande partie de la population canadienne est déjà insuffisamment assurée, dit-il.
« Par ailleurs, ce n’est pas une mesure qui fera pencher la balance de façon décisive dans l’acceptation d’une personne. On est la somme de ses parties. Autrement dit, si une personne présente un surplus de poids, fait de l’hypertension artérielle ou a des antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires – tous ces éléments sont réunis pour que la compagnie d’assurance analyse le risque. Cela ne tient pas toujours à une seule considération. »
La question de l’augmentation des prix de l’assurance vie et de l’assurance maladies graves peut poser problème chez certains assureurs. Ce ne sera pas le cas chez ceux qui ont déjà adapté leur processus de souscription, fait remarquer David Stewart, vice-président à la direction de l’agent général Groupe Financier Horizons.
M. Stewart se dit d’accord avec la nécessité de protéger la vie privée de chacun. Il ajoute que les assureurs ont recours à un processus de plus en plus perfectionné pour évaluer leurs risques. Elle est loin l’époque où l’assureur exigeait qu’une personne subisse des radiographies pour que l’on consente à lui procurer une assurance vie, dit-il.