Les conseillers font fausse route s’ils persistent à exclure les fonds communs des marchés émergents des placements de leurs clients. Leur rendement boursier a explosé de 217%, en quatre ans, contre 100% et 54% pour les indices nord américains. La prudence s’impose néanmoins : au plus, 10% du portefeuille en actions des investisseurs devrait y être placé, estiment des analystes financiers.Pas une semaine ne passe sans que les rendements des fonds des marchés émergents, notamment ceux du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine, connus aussi sous l’appellation BRIC, défraient les manchettes.

Leurs rendements font la joie de leurs détenteurs, mais soulèvent aussi la suspicion de certains investisseurs. La raison? Ils préfèrent des titres jugés plus sûrs, dont des fonds nord-américains et européens.

Investir ou pas dans ces marchés, par le truchement des fonds communs de placement, est une question qui continue à diviser la communauté d’investisseurs et celles des conseillers.

Les partisans des marchés émergents se réconfortent dans leurs choix, en raison des rendements élevés de leurs placements. L’indice Morgan Stanley Capital Index (MSCI) des marchés émergents, qui mesure la performance de 26 économies émergentes, a littéralement explosé au cours des quatre dernières années.

Le MSCI marchés émergents a bondi de 217% entre le 30 juin 2003 et le 30 juin 2007, écumant au passage la performance des principaux indices nord-américains. En comparaison, le S&P/TSX a grimpé de 100% tandis que le S&P 500 a augmenté de 54% durant la même période de référence.

De leur côté, les opposants de ce type de placements font valoir que ces titres demeurent très risqués, puisque la probabilité d’y perdre toute sa mise est élevée. Ils rappellent à cet égard que la crise mexicaine, en 1994, ainsi que la crise financière asiatique de 1997 ont littéralement sapé les mises de fonds de certains investisseurs.

Les deux parties ont partiellement raison, ont affirmé les analystes financiers interrogés par le Journal de l’assurance. Bien que les marchés émergents demeurent très volatiles, les investisseurs et les conseillers auraient tort de les exclure de leurs portefeuilles, puisqu’ils se priveraient alors d’outils qui favorisent la croissance et la diversification, ont-ils dit.

Attention : c’est risqué!

Les marchés émergents demeurent risqués en raison de la fluctuation extrême, autant à la hausse qu’à la baisse, de leurs rendements. L’instabilité de l’environnement politique et économique de ces marchés sont autant de facteurs structurels qui en font des placements plus risqués que les titres européens ou nord-américains, explique Suresh Goyal, professeur en management à la John Molson School of Business, affilié à l’Université Concordia, à Montréal. « De ce fait, les probabilités de faire d’importants gains de même que les probabilités de réaliser d’importantes pertes sont très élevé », affirme-t-il.Le rendement en dents de scie de ces marchés est jusqu’à un certain point comparable à celui de l’industrie de l’assurance de dommages, avance pour sa part Michele Gambera, économiste principal de la firme conseil Ibbotson Associates, une filiale de Morningstar, joint à Chicago.

« Par exemple, tant que les assureurs de dommages perçoivent des primes de leurs assurés, année après année, ils demeurent rentables. Mais il suffit d’une catastrophe naturelle majeure pour qu’ils versent une grande partie de leurs profits en réclamations », illustre-t-il.

Les risques ne sont pas que théoriques puisque nombre d’investisseurs s’y sont déjà cassé les dents. « Durant la crise asiatique de 1997, il n’était pas rare de voir des investisseurs perdre jusqu’à 95% de leurs investissements dans ces marchés. Des épargnants ont ensuite perdu jusqu’à 50% de leurs investissements lors du ralentissement économique qui a secoué la région au début des années 2000 », rappelle Gavin Graham, vice-président et directeur des investissements chez Guardian Group of Funds. « La seconde fois, les pertes n’ont pas été aussi importantes que la première, mais elles ont été néanmoins très élevées », ajoute-t-il.Les marchés émergents présentent aussi un autre risque important : celui d’être des marchés très peu liquides, explique pour sa part

Paul Vaillancourt, vice-président principal et gestionnaire de portefeuille chez Fiduciary Trust, filiale pour clients fortunés de Franklin Templeton. Il est aussi président du comité de la répartition d’actifs de la société.

Alors qu’un marché liquide se caractérise, notamment, par la possibilité de permettre aux investisseurs de vendre et d’acheter rapidement des placements, un marché peu liquide ne leur permet pas cette possibilité, explique M. Vaillancourt. De ce fait, les investisseurs risquent d’éprouver d’importantes difficultés à vendre un titre qui ne cesse de plonger en bourse, dit-il.

Mais le portrait n’est pas que sombre. Le revers de la médaille présente même plusieurs avantages, ajoute-il. Et les risques, bien que présents, ne devraient nullement effrayer les investisseurs au point de les inciter à exclure les fonds émergents de leurs placements.

Démographie

Au premier chef, l’aspect démographique favorise les marchés émergents par rapport aux économies plus développées, dont le Canada, les États-Unis et la France. La population y est plus jeune et plus entrepreneuriale. Les fonds de pensions, qui sont ici déficitaires et qui sont devenus des boulets aux chevilles des grandes sociétés, sont pratiquement absents dans les économies émergentes.

L’essor de ces économies a aussi favorisé l’apparition et la montée d’une classe moyenne, qui consomme de manière effrénée année après année. « Lorsque les revenus par tête grimpent dans ces marchés, ils ne grimpent pas de façon progressive. Le nombre de personnes qui achètent un Big Mac, qui achètent des produits d’assurance vie et des téléphones portables a plutôt tendance à exploser », constate gavin Graham de GGOF.

Et il y a moyen de mettre la main sur les dividendes des entreprises de services qui profitent de la montée de cette classe moyenne, dont les banques, les compagnies d’assurance et les compagnies de télécommunications, dit-il.

Par exemple, Financière Manuvie, la Hong Kong Bank, la State Bank of India et la coréenne Kookmin Bank sont autant de sociétés qui profitent de la montée de la classe moyenne, affirme M. Graham. « Ces sociétés sont aussi rentables et aussi stables que les sociétés à grande capitalisation canadiennes, américaines et européennes. Elles paient des dividendes tout comme le font les autres grandes sociétés », fait valoir M. Graham.

« Les risques ne devraient pas effrayer les investisseurs. Ils devraient tous avoir des marchés émergents dans leurs portefeuilles », opine pour sa part Michele Gambera d’Ibbotson Associates.

« Ces fonds représentent de bons outils pour accroître la diversification dans les portefeuilles », ajoute-t-il. Il rappelle qu’une bonne diversification est cruciale pour la santé d’un portefeuille de placements. « Avoir une bonne diversification est le moyen le plus économique et le moyen le plus logique pour éviter d’importantes pertes financières », illustre M. Gambera.

Jusqu’à 10%

La prudence s’impose donc au moment de se tourner vers les marchés émergents, affirment les analystes. Pas plus de 10% de la pondération du portefeuille en actions ne devrait y être investie, affirme le professeur Suresh Goyal, de la John Molson School of Business, qui se targue d’investir avec succès, depuis douze ans, sans l’aide de conseillers financiers.

« La proportion idéale demeure 10% ou moins. Les marches émergents ont bien performé au cours des dernières années et demeurent volatiles par nature », dit-il. Il est d’avis qu’au-dessus de ce seuil, les risques deviennent alors trop importants, du moins pour un investisseur moyen. M. Goyal estime néanmoins que les plus jeunes et les audacieux pourront porter cette proportion à 15%.

Les autres analystes lui donnent d’ailleurs raison. Michele Gambera, d’Ibbotson Associates, affirme qu’une proportion de 10% est une proposition sensée. Pourquoi? « La capitalisation boursière des économies représentée par l’indice MSCI marchés émergents équivaut à 10% de la capitalisation boursière des économies développées. Il paraît sensé de diversifier son portefeuille en fonction de la pondération mondiale », répond-il.

Chez GGOF, cette proportion oscille entre 5 à 10%. Chez Fiduciary Trust, cette proportion est cependant plus proche de 5%, explique Paul Vaillancourt. « Notre portefeuille standard pondéré ressemble à ceci : 36% en obligations canadiennes, 33% en actions canadiennes, 13% en actions américaines et 18% en actions internationales. De ce 18%, nous investissons 5% dans les marchés émergents », explique Paul Vaillancourt. « Pour un portefeuille croissance, cette proportion sera de 10% », dit-il.

À la Banque Scotia, on se fait un peu plus prudents. Selon Vincent Deslisle, gestionnaire de portefeuille à la plus internationalisée des cinq grandes banques canadiennes, la répartition mondiale d’actifs est la suivante : « pour 100$ en actions, nous suggérons d’en placer 30% en américaines, 40% en actions européennes, incluant l’Australie et l’Extrême-Orient, et 30% en actions canadiennes », dit-il.

« Dans le volet Extrême-Orient, nous investissons avant tout dans les grandes capitalisations européennes comme l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Il est ensuite possible d’accorder une plus grande exposition dans cette catégorie à des titres de marchés émergents, dont la Russie et la Pologne ou encore l’Inde ou la Chine », dit-il

Le directeur groupe conseil en portefeuilles chez Valeurs mobilières Desjardins, Luc Girard, souhaite quant à lui lancer un appel à l’ordre à l’industrie. Il exhorte les conseillers financiers à ne pas céder à la tentation des rendements élevés ni aux pressions des clients appâtés par la performance des fonds émergents. Il rappelle à cet égard les règles à la base de l’investissement : le respect du profil des clients. « La première chose à considérer demeure le profil d’investisseur des clients. Les conseillers financiers doivent respecter le profil, notamment la tolérance aux risques, de leurs clients », rappelle-t-il.

« L’allocation d’actif est fondamentale. C’est ce qui explique 93% de votre rendement. La chasse aux aubaines : en dernier lieu. Cela vaut pour l’achat d’actions et pour l’achat de fonds communs », dit-il.

La prudence s’impose!

Les autres analystes financiers abondent dans le même sens : il ne faut pas investir dans les fonds émergent par appât du gain. Il faut avant tout les percevoir comme une source de diversification des actifs, affirment-ils.

Vincent Delisle de la Banque Scotia se méfie néanmoins de l’engouement causé par les marchés émergents. « Le fait que les médias s’intéressent désormais de très près aux fonds émergents devrait sonner une clochette d’alarme. Souvent, quand les journalistes nous appellent pour s’informer de la performance d’un secteur, cela annonce que nous nous approchons plutôt du haut que du bas de la courbe. Le même phénomène s’est aussi produit avant la débâcle des titre techno, au début des années 2000 », dit-il.

M. Delisle affirme qu’il existe des moyens plus prudents de tirer profit des rendements des marchés émergents qu’en y investissant directement une partie de son portefeuille. Comment? Il suffit pour cela de continuer à placer ses billes dans les fonds communs d’actions canadiennes, répond-il.

« Depuis 2000 et 2001, la bourse canadiennes est fortement corrélée à la performance des pays émergents, lesquels importent énormément de matières premières qui leur exportées par le Canada. Donc, la performance du S&P/ TSX est fortement liée au dynamisme des pays émergents », dit-il.

« Il y a donc moyen de tirer profit par la bande de la croissance chinoise et de la croissance indienne, puisque près de 50% de notre indice est sensible aux prix des matières premières », fait-il valoir.

L’indice canadien S&P/TSX est en effet composé à 46% de compagnies canadiennes productrices de ressources naturelles, dont le pétrole, l’énergie et les produits forestiers. Les institutions financières, notamment, composent à 30% le reste de cet index.

De plus, fait-il valoir, la croissance de ces marchés ne pourra pas se maintenir à ce rythme de manière indéterminée.

Savoir choisir

Michele Gambera, de chez Ibbotson Associates, persiste néanmoins à affirmer que les fonds émergents contribuent à accroître la diversification dans les portefeuilles. Encore faut-il savoir choisir le marché émergent dans lequel investir. En effet, il est faux de croire que tous les fonds émergents sont de bons outils de diversification, nuance-t-il.

Puisque l’indice canadien est fortement corrélé à la performance des marchés émergents, qui consomment nombre de ressources naturelles, les investisseurs canadiens devraient plutôt miser sur les marchés émergents qui sont de grands producteurs de biens industrialisés, dit-il.

« Si le portefeuille d’un investisseur est déjà fortement investi dans l’industrie canadienne des ressources naturelles, il faudra alors éviter de l’investir davantage dans ce secteur », explique M. Gambera.

« Il faudra alors éviter de placer de l’argent dans des pays comme le Chili ou le Venezuela. Tout comme le Canada, ces deux pays sont d’importants producteurs de cuivre et de pétrole. Il n’y aura donc pas d’effet de diversification. Par contre, il faudra investir une partie du portefeuille dans les fonds de la Chine et de l’Inde, pour faire profiter les investisseurs de l’essor de ces économies. Contrairement au Canada, ces deux pays ne produisent pas de ressources naturelles, mais produisent des biens industrialisés en masse », dit-il.

Gavin Graham de GGOF abonde exactement dans le même sens. « Dû au fait que le Canada est un important producteur de ressources naturelles, les conseillers canadiens ne voudront pas placer l’argent de leurs clients dans d’autres producteurs de ressources. Il faudra alors opter pour l’Asie plutôt que pour l’Amérique latine », dit-il.

Les deux analystes affirment néanmoins être d’accord relativement à la croissance future de ces marchés. « C’est important de penser à ces marchés avec la perspective du long terme, avance Michele Gambera. Parce que, bien qu’au cours des trois ou quatre dernières années ces marchés aient explosés, cela ne veut pas dire qu’ils continueront à générer de pareils rendements au cours des cinq prochaines années. »