Les employeurs qui magasinent un meilleur prix pour leur régime confronté à la hausse des couts risquent d’obtenir des économies de courte durée. Ils risquent de plus de s’aliéner les assureurs en retournant au marché trop souvent.

Des assureurs acceptent de couper les couts pour aller chercher des clients dans un marché spécifique, d’autres non. Des spécialistes de l’industrie s’accordent toutefois sur une chose en matière d’appel d’offres : les économies durables sont rares.

L’appel d’offres ne sera donc plus la solution miracle à la hausse des couts des régimes d’assurance collective, pense le premier vice-président, assurance collective de SSQ Groupe financier, Carl Laflamme. « La vive concurrence touche à sa fin. 2015 sera l’année des remises en question », dit-il. Les promoteurs de régimes qui veulent vraiment réduire les dépenses de leur régime devront selon lui « travailler davantage sur les réclamations ».

Attention au leurre

Autrement, l’économie qu’obtient un groupe en appel d’offres peut s’avérer un leurre, ajoute M. Laflamme. « La concurrence s’essouffle et les joueurs qui réduisent les prix pour arracher des parts de marché approchent du plancher. J’ai toujours cru que la compétitivité en assurance collective allait diminuer lorsque les assureurs feraient moins de profits. Nous approchons de ce point », dit-il.

La consolidation de cabinets d’assurance collective en est un signe, d’après lui. Les acquisitions se sont en effet multipliées dans ce réseau de distribution récemment.

La concurrence demeure tout de même vive pour le moment, estime la directrice des ventes d’assurances collectives de Financière Manuvie pour la région du Québec, Paola Pasquale. Elle dit observer encore des écarts de prix. Certains sont raisonnables… d’autres pas, dit-elle.

« Certains écarts de prix entre assureurs m’inquiètent. Je ne pense pas que ceux-ci soient dus simplement au fait qu’un joueur vise un créneau spécifique. Il y a peut-être d’autres facteurs, comme la pression du marché », dit-elle.

De leur côté, les employeurs ne sont pas des experts en assurance collective, rappelle Mme Pasquale. « Les entreprises tendront à traiter l’assurance collective comme un poste de dépense et rechercheront des économies à court terme. Si un client ne cherche qu’une réduction, nous considérerons qu’il n’est pas raisonnable d’aller chercher ce client puisqu’il recherchera probablement la même chose dans un an ou deux », dit-elle.

Rôle crucial du conseiller

Le rôle du conseiller devient alors crucial, affirme Mme Pasquale. Il doit expliquer la tarification de l’assureur et justifier les hausses. Bien connaitre le cahier des charges et bien évaluer la situation du client, son environnement d’affaires, sa stratégie et sa vision d’affaires. Elle croit qu’un l’appel d’offres peut amener plusieurs solutions favorables au client s’il n’est pas uniquement axé sur le prix. « Réduire les couts sans apporter de solutions, c’est créer un problème encore plus gros l’an prochain », résume-t-elle.

Directeur du développement des affaires et service à la clientèle pour l’est du Canada de Solareh, Gaétan Lamoureux dessert à la fois les clients des assureurs et des conseillers, avec des programmes de prévention et d’aides aux employés. Il explique que les assureurs ne sont pas chauds au magasinage parce qu’ils n’ont pas le temps de couvrir leurs frais lorsqu’un client saute d’un assureur à l’autre chaque année.

Souvent, les escomptes que peut obtenir le groupe en appel d’offres n’en sont pas vraiment, explique M. Lamoureux. Dans la foulée de la transition, certaines réclamations en cours d’année seront assumées par l’ancien assureur. Le nouvel assureur en fera crédit au client. « L’assureur vous fera un crédit de peut-être 5 % à 10 % la première année, et le récupérera dans deux ou trois ans », dit-il.

M. Lamoureux rappelle que la variation à court terme d’une prime d’assurance collective tient surtout à l’expérience. Celle-ci est dictée par les réclamations qui surviennent en vertu de la couverture médicaments et soins de santé, dentaire, et invalidité de courte durée.

Président du cabinet Sage Conseillers en avantages sociaux, Denis Plante distingue deux taux de primes différents en fonction de ces garanties. Plus stable, le taux qu’il qualifie de démographique s’apparente aux garanties d’assurance vie et invalidité de longue durée. Reflet des garanties médicaments, dentaire, et invalidité de longue durée, le taux lié à l’expérience est celui qui exerce la plus grande pression sur les couts d’un régime.

« Le premier dépend de l’âge du groupe et nous pouvons le faire garantir par l’assureur jusqu’à 28 mois. Par contre, le taux lié à l’expérience pourra changer au bout de 15 à 16 mois. Il faut s’assurer que ce taux tienne la route. C’est là qu’on distingue les bons conseillers de ceux qui cherchent le plus bas prix », explique M. Plante.

Tester le marché

M. Plante ne voit pas la concurrence prendre fin demain. Au contraire, il croit que tester le marché régulièrement demeure un exercice sain, mais pas trop souvent. Sinon, le groupe sera taxé de manquer de sérieux, dit-il. « Pour rentabiliser un groupe, l’assureur doit le garder au moins trois ans », estime-t-il. La concurrence permet de remettre les pendules à l’heure avec l’assureur existant, estime-t-il.

C’est aussi l’avis de Martin Papillon, PDG de Groupe financier AGA. « Le marché est encore très compétitif et on s’en rend compte lorsqu’on y va », observe-t-il. M. Papillon n’abuse toutefois pas du procédé. « Nous protégeons la réputation de nos clients. Si un dossier va au marché tous les deux ans, au bout d’un certain temps, aucun assureur n’en veut, car il n’a pas le temps de rentabiliser le groupe. »

M. Papillon suggère d’aller au marché tous les trois à cinq ans pour négocier un meilleur taux avec l’assureur actuel. « Il peut être bon de tester le marché à cette fréquence, sans nécessairement changer d’assureur. L’assureur fera une meilleure proposition dans une situation d’appel d’offres. Cet exercice permet d’avoir une vue objective du marché », explique M. Papillon.

Un changement d’assureur motivé par les économies ne remplira pas ses promesses à long terme, croit-il. « Ce n’est pas comme l’assurance auto ou habitation que l’on renouvelle tous les ans. L’assurance collective est une garantie à haut taux de réclamation et les couts augmentent chaque année. Un groupe qui a réclamé 100 000 $ de soins médicaux cette année ne réclamera pas moins l’an prochain, il réclamera 110 000 $ », dit M. Papillon.

Le marché dicte les économies que les assureurs sont prêts à offrir, croit pour sa part Denis Plante. Tout dépend de l’agressivité de l’assureur dans le segment qu’il cible, dit-il.

M. Plante estime que les économies seront de courte durée dans 90 % des cas. « L’assureur proposera des taux plus bas selon son intérêt d’avoir le groupe et se montrera alors très concurrentiel, observe-t-il. Mais si la prime qu’il propose ne parvient pas à couvrir les couts de la première année, il devra la hausser l’année suivante. »

Président du consultant Saddik International et vice-président du développement de l’assurance voyage d’Optimum réassurance, Pierre Saddik témoigne du haut taux de roulement des groupes assurés. Il estime la durée de vie d’un groupe avec un même assureur entre 3 à 5 ans en moyenne.

Les plus petits groupes iront selon lui au marché tous les trois ans, alors que les très gros iront tous les 7 ans, en moyenne. Les groupes ne laissent pas tomber leur régime, mais demeurent très mobiles. « Selon mes discussions avec les cabinets d’assurance collective et les conseillers, le taux de persistance des affaires d’assurance collective atteint environ 92 %, mais le taux de roulement demeure élevé », souligne M. Saddik.

Il est vrai que magasiner trop souvent peut entacher la réputation d’un groupe. Or, le consultant sait aussi qu’un assureur ne peut fermer la porte à un groupe qui retourne fréquemment au marché, s’il ne le fait pas pour tous les autres. Il doit accepter ou refuser pour tous, soutient-il.

La mode qu’il observe : le recours à l’anonymat. « Les groupes entreront au marché avec l’aide de leur cabinet d’assurance collective, par l’entremise d’un regroupement d’entreprises d’un même secteur, par exemple des centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD), des hôtels ou des firmes comptables », explique M. Saddik.