Les outils numériques ne suffiront pas pour contrer le déclin des ventes d’assurance vie, selon trois experts de l’industrie. Mais ils peuvent certainement aider le conseiller financier à optimiser sa productivité et à mieux servir ses clients.
Lors du récent Congrès de l’assurance de personnes tenu à Montréal, ces experts étaient invités à répondre à la question : « Les technologies peuvent-elles livrer des solutions en productivité et en service aux clients ? »
Clément de Laat, conseiller en sécurité financière et président-directeur général du Cabinet de services financiers GTS+, agissait à titre d’animateur. Il a rappelé les données de LIMRA qui confirment la diminution constante des polices vendues au pays. De nombreux Canadiens se disent inquiets pour leur sécurité financière.
En se présentant au début de la séance, François Levasseur, vice-président, alliances mondiales et acquisitions d’Equisoft, explique que les fonctions qu’il occupe depuis 2018 lui permettent de se promener un peu partout et de découvrir les nouvelles technologies disponibles ailleurs.
« Au Canada, on a quand même un oligopole avec peu d’assureurs. L’innovation est peut-être moins rapide que dans d’autres pays. Cela permet d’avoir une perspective un peu différente et de voir comment on peut amener les changements pour le marché canadien qui, je pense, en a grandement besoin », indique M. Levasseur.
De son côté, Marc-Antoine Mainville, associé et cofondateur du Groupe Consilium, est conseiller en sécurité financière depuis 18 ans. Il a aussi cofondé la plateforme technologique OneWallet. « On travaille depuis quatre ans à développer une nouvelle solution pour nous, les conseillers, à travailler et à rapprocher le client du conseiller. »
M. Mainville ajoute que depuis son entrée dans la carrière en 2006, « je n’ai vu aucune avancée technologique pour nous, les conseillers, dans nos pratiques d’affaires ». Certes, les assureurs offrent une multitude d’outils à l’intention des conseillers et de leur équipe administrative, « mais le client est toujours un peu laissé de côté. Il n’y a pas vraiment d’outils où le client peut avoir en tout temps accès à ses données financières », poursuit-il.
Roddy Awad est président et chef de la direction de Lavvi. Cofondateur de l’entreprise créée en 2007 sous le nom de TKS, cette plateforme de distribution vise à aider les assureurs à se démarquer. Depuis 2020 en raison de la pandémie, les technologies de distribution ont connu une expansion intéressante. « On n’a jamais eu accès à une meilleure technologie, mais les ventes de polices continuent de descendre », dit-il.
Les assureurs évaluent leurs besoins technologiques par la lentille des produits, tandis que les conseillers sont occupés à faire grandir leur entreprise et à servir leurs clients. « Ça prend quelqu’un entre les deux pour attacher les ficelles. Les agents généraux ont un rôle à jouer. La technologie existe déjà, mais ça ne suffit pas », ajoute M. Awad.
La fluidité du processus de vente et de souscription d’un produit n’a pas beaucoup évolué, reprend Marc-Antoine Mainville. « Tout le monde manque de temps », dit-il en mentionnant notamment le questionnaire médical, un processus qui gagnerait grandement à être automatisé.
Le consommateur n’a pas vu d’évolution dans le processus d’affaires des conseillers, contrairement à ce qu’il a pu observer dans d’autres secteurs, souligne M. Mainville en parlant des investissements importants des assureurs et des institutions financières en technologie. « Personnellement, je trouve qu’ils ne le font pas de la bonne façon. »
Évolution démographique
François Levasseur constate que la démographie a beaucoup changé au Canada ces dernières années, avec l’apport de l’immigration, et les produits offerts doivent évoluer pour répondre aux besoins de ces nouvelles clientèles. « Les modes de distribution doivent évoluer pour mieux rejoindre les plus jeunes générations et les nouveaux arrivants. »
Le défi des ventes d’assurance vie doit être relevé par l’ensemble de l’industrie, ajoute M. Levasseur. Il estime que la technologie est un accélérateur, « mais ce n’est pas un moyen qui va régler la situation ».
Selon lui, les organismes de régulation doivent aussi faire preuve de plus de souplesse afin de favoriser la distribution des produits d’assurance. Si on peut distribuer certains produits sans l’aide d’un représentant, pourrait-on envisager, comme cela se discute aux États-Unis, de permettre à un agent virtuel de vendre de l’assurance comme le fait une personne physique ?
M. Levasseur insiste sur le fait que tous les intervenants de l’industrie, incluant l’Autorité des marchés financiers au Québec et les autres régulateurs au pays, doivent collaborer afin d’augmenter le niveau de sécurité financière des Canadiens.
Marc-Antoine Mainville souligne deux facteurs qui peuvent expliquer le déclin des ventes de polices. Premièrement, les 45 ans et moins fondent leur famille à un âge plus avancé qu’auparavant. Or, c’est souvent l’arrivée d’un premier enfant dans un couple qui provoque le besoin de se doter d’une assurance vie. « Prendre une assurance vie ou une protection contre l’invalidité, ce n’est pas obligatoire », contrairement à l’assurance de biens en automobile et pour l’habitation, dit-il.
Deuxièmement, la pénurie de main-d’œuvre fait en sorte qu’il y a de moins en moins de jeunes qui se lancent dans l’entrepreneuriat. Ce phénomène touche aussi la carrière de conseiller en sécurité financière, constate M. Mainville.
Des cabinets arrivent à se distinguer en distribuant les produits de manière entièrement numérique. François Levasseur cite l’exemple de la plateforme Emma qui arrive à joindre les jeunes générations par l’entremise des réseaux sociaux et à leur offrir des produits temporaires. Selon lui, l’expérience d’achat par la proposition électronique contribue à élargir le bassin de clients du conseiller, dont le premier réflexe est de vendre des produits plus complexes et mieux rémunérés à des clients très nantis.
Littératie financière
Selon Marc-Antoine Mainville, les outils technologiques permettent au conseiller d’augmenter sa proximité avec la clientèle, notamment par l’éducation financière. « En prenant son café le matin, le consommateur ne se demande pas quel produit d’assurance il pourrait acheter. »
Par l’entremise de leur téléphone, qu’ils ont toujours en main ou presque, les clients peuvent avoir accès à de l’information lorsqu’ils pensent à leur sécurité financière. Si le conseiller fournit plus d’information en amont du processus de vente, il aura plus de temps utile à leur consacrer au moment de la souscription, indique M. Mainville.
De son côté, Roddy Awad estime que l’industrie doit éliminer toute la friction reliée aux exigences de conformité qui freine la productivité du conseiller. Ce dernier peut alors mettre l’accent à bâtir sa relation avec le client et à mieux comprendre ses besoins.
Quand le conseiller doit passer d’une plateforme à l’autre pour offrir des produits auprès de divers assureurs, le processus manque de fluidité. « Les distributeurs ont une grosse responsabilité dans tout ça pour être le pont entre les assureurs et les conseillers », poursuit M. Awad. « Je pense qu’on peut trouver un juste milieu entre l’efficacité et l’expérience humaine. »
La relation client
Selon Marc-Antoine Mainville, « ce que le conseiller aime d’abord et avant tout est la relation avec son client ». Peu importe l’âge qu’il a et les outils qu’il utilise, la technologie continuera d’évoluer rapidement et le conseiller devra s’adapter afin de toujours mieux satisfaire les besoins du client.
« On voit des outils technologiques qui offrent plusieurs options aux conseillers, mais malheureusement, on ne va s’en servir peut-être qu’à 20 % », dit-il.
« Je suis très familier avec la technologie, mais je veux que ça soit simple, je veux qu’on amène une automatisation dans le processus au niveau des documents de proposition, de souscription, de conformité », ajoute M. Mainville.
Le conseiller n’a pas besoin de comprendre le fonctionnement de la technologie. Une fois que les renseignements sur le client et les proches ont été saisis dans le système, le conseiller doit pouvoir offrir les produits et les expliquer sans reprendre l’exercice de saisie chaque fois.
François Levasseur dit avoir accompagné directement ou indirectement plus de 1 000 conseillers en sécurité financière ayant réalisé leur migration numérique au fil des ans. Le système de gestion de la clientèle (CRM) doit combiner tous les renseignements recueillis, peu importe leur provenance.
« Ce qui importe, c’est d’avoir un CRM qui centralise toutes les communications pour la conformité, mais pas juste pour la conformité. Éventuellement, c’est ce qui prend plus de valeur quand le dossier est bien documenté : tous les contacts et tous les documents sont au bon endroit. Quand le client appelle, on peut avoir facilement une vue à 360 degrés », souligne M. Levasseur.
On peut ensuite ajouter des algorithmes basés sur l’intelligence artificielle qui génèrent des contenus, des alertes pour les rappels, etc. L’industrie prend un certain temps avant de s’adapter, mais il y a du progrès. « Je vois beaucoup d’ouverture de la part des distributeurs et des assureurs. Je pense que le conseiller va être gagnant à la fin. Je suis quand même optimiste là-dessus », poursuit-il. À son avis, les conseillers ont fait énormément de progrès depuis 20 ans en matière d’utilisation des outils technologiques.
De son côté, Roddy Awad estime que même les conseillers plus âgés peuvent s’adapter, comme le font les consommateurs de produits technologiques en général. Avec la formation adéquate et des outils améliorés, même les gens les moins ferrés arrivent à faire le premier pas. En intégrant les technologies dans les relations entre les partenaires de l’industrie, l’important est de créer un environnement qui permet au conseiller d’être plus efficace, insiste M. Awad.
Productivité
Malgré les progrès technologiques, le déclin des ventes se poursuit en assurance vie. Que peut-on faire pour y remédier ? Marc-Antoine Mainville donne l’exemple de la technologie adoptée depuis la pandémie qui lui permet de rencontrer plus de clients sur une base quotidienne.
« Dans ma pratique d’affaires, au lieu d’avoir des rendez-vous avec trois ou quatre clients, je peux en appeler sept ou huit », dit-il. La signature électronique des documents permet également d’accélérer le processus de vente et, en fin de compte, la croissance du chiffre d’affaires du conseiller, selon M. Mainville.
Malgré les progrès réalisés en matière d’automatisation et de numérisation des processus d’affaires, le déclin des ventes est notable depuis une décennie en assurance de personnes, insiste Philippe Le Roux, des Éditions du Journal de l’assurance. « La pénétration du marché en assurance vie a baissé de 30 %. Où est le problème ? », lance-t-il lors des échanges avec la salle.
Marc-Antoine Mainville répète que les outils de qualité ne manquent pas, mais le conseiller doit arriver à les utiliser dans un seul et même environnement de travail, ce qui n’est pas encore le cas. « Il faudrait avoir une architecture plus ouverte, avec une plateforme qui permet d’agréger les applications pertinentes », dit-il. Il souligne également que le poids de la conformité a été alourdi depuis le début de sa pratique en 2006, alors que la technologie devait simplifier les choses.
Roddy Awad renchérit en disant que les normes conformité sont plus lourdes qu’auparavant. Par ailleurs, s’il est vrai que les assureurs développent des outils pour aider les conseillers, les applications sont conçues pour répondre d’abord aux besoins de l’assureur. « C’est pour cela, je me répète, que les agents généraux ont la responsabilité de forcer tous les partenaires à travailler ensemble. »
François Levasseur soulève plusieurs questions auxquelles il faudrait répondre pour mettre fin au déclin des ventes de polices. « Est-ce que les taux de commissionnement sur les produits temporaires sont bien adaptés pour que les conseillers aient un incitatif à les vendre et servir le client ? Est-ce qu’on rejoint bien le client avec les bons produits ? Est-ce qu’on a besoin de produits plus innovants ? Est-ce qu’il faut des réseaux de distribution un peu différents ? »
Les raisons du déclin
Une conseillère dans l’assistance souligne que l’entrée en carrière a beaucoup évolué depuis son arrivée dans la profession en 2001. À l’époque, la recrue était accompagnée par un mentor qui lui apprenait les rudiments du métier. Le débutant cognait aux portes et une fois la police vendue, il demandait des références. Les temps ont changé et les clientèles plus jeunes sont rébarbatives à cette approche. Les conseillers plus expérimentés s’occupent de leurs clients et font moins de prospection. Les plus jeunes cherchent les clients ayant des actifs élevés auxquels ils peuvent vendre des produits qui offrent une meilleure rémunération.
Se disant d’accord avec ce résumé, Marc-Antoine Mainville raconte qu’à ses débuts, les mentors qui l’accompagnaient vendaient entre 300 et 500 polices par année. « Je ne suis pas certain qu’il y en ait beaucoup dans la salle qui atteignent cela de nos jours », dit-il. Cependant, le fait de pouvoir discuter avec des clients en mode virtuel, au lieu de passer des heures dans le trafic afin de les rencontrer à leur domicile, contribue certainement à la productivité du conseiller.
Le conseiller qui a déjà son bassin de clients vise à leur vendre d’autres produits selon l’évolution de leurs besoins et il n’a pas nécessairement besoin de faire de la prospection. S’il fait bien son travail, le bouche-à-oreille lui suffit, poursuit M. Mainville. Il reconnaît que les familles de la classe moyenne et les petits salariés sont délaissés par l’industrie.
Le vice-président de Consilium a acheté cinq volumes d’affaires au fil des ans. Pour conserver les clients, même les plus petits comptes, il utilise la technologie pour maximiser son temps. « Si la police me rapporte 500 à 600 dollars de commission, je ne vais pas passer trois heures sur la route. » Et les clients sont de plus en plus ouverts au mode virtuel. À son avis, en donnant un meilleur service et de bonnes recommandations, le conseiller peut entretenir la relation d’affaires durant plusieurs décennies, ce qui lui rapportera davantage que la revente du portefeuille.
Selon François Levasseur, l’intelligence artificielle permettra bientôt de créer un agent virtuel à partir des caractéristiques d’un vrai conseiller et qui pourra s’occuper de vendre les produits moins complexes, comme les polices temporaires. « Est-ce que les clients sont prêts à cela ? Il faut se poser la question », dit-il.
Roddy Awad pense que M. Mainville pourrait déjà avoir son assistant virtuel. « C’est déjà là, c’est juste qu’on ne l’utilise pas encore. » À son avis, l’un des aspects à ne pas négliger est l’utilisation des réseaux sociaux. Le conseiller peut consacrer du temps à préparer des capsules éducatives sur les questions financières, afin d’augmenter sa notoriété.