Les investisseurs doivent être plus attentifs quand l’économie se rapproche de la fin de son cycle de croissance.

Toutefois, les experts invités à en débattre par le Cercle finance du Québec s’entendent pour dire que la croissance pourrait durer encore un peu et que l’atterrissage de l’économie canadienne sera moins mouvementé que l’on pense.

Le titre de l’atelier, « Investissement en fin de cycle », laissait croire que nombreux sont ceux qui pensent que la récession approche. La discussion, qui se passait au récent Colloque sur la retraite à Québec, était animée par Clément Gignac, économiste en chef de l’Industrielle Alliance Groupe financier.

Le cycle boursier ne meurt pas de vieillesse, indique M. Gignac. « C’est tendancieux, parce que ça laisse entendre qu’on sait déjà que l’on est à la fin du cycle », dit-il. Si l’on s’entend pour reconnaitre que le cycle actuel est plus long que la moyenne et que l’on est rendu à la phase avancée, les indicateurs montrent que la croissance est encore au rendez-vous.

Répartir l’actif

Patrice Denis, vice-président de Pimco, note que la durée moyenne des cycles de croissance économique est de cinq ans et demi (66 mois) aux États-Unis, depuis 1951. Après dix années de croissance, les marchés deviennent plus nerveux. « Ça fait longtemps que ça dure, ça coute cher, il me semble qu’on est dus », dit-il.

Les indicateurs reliés à l’endettement, tant le cours des obligations de sociétés privées que le niveau élevé de la dette publique, sont en nette tendance vers le haut. Pendant ce temps, les taux d’intérêt, qui sont un mécanisme de protection naturel contre la nervosité des marchés, restent très bas. Les obligations d’État sur 10 ans offrent, dans les pays du G7, un rendement allant de 1,7 % aux États-Unis à -0,4 % en Allemagne. Les banques centrales ont donc moins d’espace pour intervenir par leur politique monétaire, juge-t-il.

On veut toujours savoir si la récession est imminente, mais il est sans doute un peu pour le dire, estime Patrice Denis. Déterminer la durée de la croissance économique n’est pas une science exacte, poursuit-il. Les dix années de croissance aux États-Unis représentent un cycle anormalement long, mais si l’on compare cela avec l’Australie, où la croissance dure depuis 28 ans, on voit que la croissance peut durer encore si les conditions sont favorables.

D’ailleurs, de nombreux indicateurs avancés sont toujours encourageants. Les investisseurs ont toujours confiance, les chefs d’entreprise estiment que la conjoncture est bonne, les consommateurs sont optimistes et, surtout, le taux des créances en souffrance dans les institutions financières reste faible.

Chez Pimco, on dresse un tableau des indicateurs actuels que l’on compare à ceux qui étaient enregistrés lors d’autres périodes de fin de cycle. Patrice Denis confirme ainsi que l’économie se situe entre le stade avancé et la fin du cycle, ajoutant que la croissance peut durer encore un moment. Le risque général de récession demeure faible, selon le modèle de prévision de Pimco.

Le modèle ne sert pas seulement à prédire une récession, mais à prévoir la réaction des banques centrales. En juin 2019, la Réserve fédérale américaine (Fed) a reconnu que la courbe inversée des taux est généralement le signal le plus évident d’une récession, et depuis, elle a réduit le taux directeur à trois reprises.

Une correction hors récession

Si l’on analyse les 11 dernières récessions aux États-Unis survenues depuis 1951, la durée moyenne est de 12 mois et la correction boursière est en moyenne de 27 %. Les investisseurs ont généralement besoin de 13 mois pour récupérer cette perte. « Mais ce ne sont pas les seuls moments où ça fait mal d’investir au mauvais endroit et au mauvais moment », poursuit Patrice Denis.

Toujours depuis 1951, il y a eu 16 corrections boursières importances sans que l’on se trouve en récession aux États-Unis, dont la plus récente (-18 %) est survenue au dernier trimestre de 2018. Ces replis sont en moyenne moins sévères (-17 %), mais sont de plus courte durée et les investisseurs mettent le même temps à s’en remettre (5 mois).

Pour les investisseurs, la récession est un indicateur tardif, car la correction du prix des actifs précède généralement le ralentissement économique. Chez Pimco, on pense que sur un horizon de 10 ans, les rendements seront plus faibles et la volatilité sera plus élevée. Quand on analyse le rendement des principales classes d’actifs lors des différentes phases du cycle économique, on peut ajuster la répartition du portefeuille.

Pour les actions, l’investisseur doit surveiller les bénéfices des sociétés, surtout dans un environnement où les taux sont bas et la volatilité élevée. Si l’on se départit des actions et des actifs risqués au bon moment, on évite les pires dégâts associés à la première moitié de la récession, précise M. Denis.

Toutefois, il ne faut pas rester un investisseur défensif trop longtemps, si l’on veut profiter de la deuxième moitié de la récession, là où il en coute moins cher d’acquérir plusieurs classes d’actifs, à l’exception des matières premières. « Ça prend du courage pour revenir dans le marché et profiter des occasions », reconnait Patrice Denis.

Quelques mois font la différence

Jean-Pierre Cadorette, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez PH&N, une filiale de RBC Gestion mondiale d’actifs, pense aussi que le cycle actuel se prolongera encore. En mars 2019, plus personne ne parlait de la hausse des taux d’intérêt, alors que tous les experts la disaient imminente cinq mois plus tôt.

Oui, on est en fin de cycle, ajoute-t-il, mais la dégradation des indicateurs économiques a fait une pause, ce qui prolongera le cycle haussier actuel. Chez RBC, on tient une grille des risques macroéconomiques, avec la tendance à la hausse ou à la baisse. Depuis septembre, certains nuages noirs sont moins menaçants : les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis ont baissé, l’hypothèse du « hard Brexit » au 31 octobre a été reportée, la Chine a assoupli les règles du crédit à la consommation, etc.

Les banques centrales ont passé une bonne partie de l’année 2018 à resserrer leur politique monétaire. La nouvelle vague d’assouplissement lancée par la Fed a été suivie par plusieurs autres banques centrales. Le Canada pourrait connaitre de nouvelles baisses de son taux directeur, selon Jean-Pierre Cadorette.

Chez RBC, on estime que chaque baisse du taux de 25 points de base correspond à un stimulus du PIB d’environ 0,15 %. Il juge qu’il est encore trop tôt pour déterminer si ces nouvelles baisses des taux suffiront à relancer la croissance économique mondiale.

« Tout a été dit sur l’inversion de la courbe de taux comme signal de récession imminente », poursuit-il. Or, les obligations 10 ans du gouvernement américain offrent désormais un rendement de 25 points de base supérieur aux obligations deux ans, et l’écart entre les taux se rapproche d’une situation plus normale.

Les banques centrales ont recommencé à procéder à des mesures d’assouplissement quantitatif, par exemple en achetant plus d’obligations des sociétés privées. « Le coffre à outils est encore assez plein pour leur permettre de stimuler l’économie », dit-il.

L’incertitude économique provoquera plus d’instabilité sur les marchés. Il faudra s’habituer à plus de volatilité. Par contre, le marché obligataire ne reprendra pas des couleurs pour autant, ajoute Jean-Pierre Cadorette. Les investisseurs n’y trouveront pas du rendement, mais plutôt de la protection.

Quelque 25 % des obligations souveraines sur le marché offrent un rendement négatif, et certaines grandes sociétés privées se permettent même d’émettre des titres de dettes offrant un rendement négatif. M. Cadorette ne s’attend pas à ce que le Canada ou les États-Unis en viennent à faire de même.