Selon l'ex-ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, le Dr Philippe Couillard, il est possible pour le secteur privé, et particulièrement les assureurs, de participer davantage à la prestation des services sans pour autant remettre en question le caractère public et universel du système de santé canadien. Il pense que les régimes collectifs pourraient couvrir les activités associées au maintien à domicile et à la prévention des maladies.Philippe Couillard, qui a quitté la politique à l'été 2008 pour devenir associé du fonds d'investissement Persistence Capital Partners, était l'un des trois experts invités à s'interroger sur le thème de la place des assureurs privés dans le système de santé public. Le débat était l'un des ateliers offerts aux participants du Congrès de l'assurance et de l'investissement, le 13 novembre dernier à Montréal.
Les autres participants au débat étaient Claude Leblanc, premier vice-président de la Standard Life, et Yves Millette, vice-président principal des affaires québécoises à l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP). L'animation était confiée à André Vincent, vice-président Québec de la Croix Bleue Medavie.
Ministre d'avril 2003 à juin 2008 dans le gouvernement Charest, le Dr Couillard a été celui qui a été le plus longtemps titulaire de la Santé au Québec en un demi-siècle. Il a accepté de participer au débat car il s'est dit « très impressionné » par la qualité du mémoire récemment produit par l'ACCAP sur la politique en matière de soins de santé, intitulé Pour un système de santé public de qualité, accessible et viable (voir EXTRA).
Un débat mal parti
Selon M. Couillard, la vigueur du débat entourant la place du secteur privé dans le système public de santé s'explique par la confusion qui existe entre le problème très réel du financement des soins de santé et la prestation de services. « Ces deux enjeux doivent être traités de façon distincte et malheureusement, on a tendance à les confondre », observe-t-il.
Ensuite, il faut distinguer quels sont les services qui sont couverts par le régime public, dont le financement est assuré par les contributions fiscales, et ceux qui ne le sont pas, et qui sont couverts par les assureurs privés. Cette définition varie d'une province à l'autre, rappelle-t-il, en donnant l'exemple des examens en imagerie à résonnance magnétique (IRM) en cabinet privé, lesquels ne sont pas couverts par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ).
Selon lui, il est « extrêmement improbable » que les gouvernements au Canada fassent plus de place à l'assurance duplicative. « Et je suis d'accord avec cela. » Il ne voit rien d'immoral à la présence du privé dans les soins de santé, car un tel système existe dans bien des pays. Des régimes privés d'assurance devraient être préservés et servir de baromètre du taux de satisfaction des citoyens à l'égard de leur régime public. En Grande-Bretagne, 10 % des gens sont ainsi assurés, alors qu'ils ne sont que 2 % en Suède.
Notre système de santé est inspiré par celui élaboré par Lord Beveridge qui l'a instauré en Grande-Bretagne en 1942, et qui est basé sur la taxation générale. Or, il n'y a aucun endroit dans le monde où l'on est passé du système « beveridgien » à un régime fonctionnant entièrement de manière privée, même de manière régulée et subventionnée. L'inverse est arrivé, comme cela a été le cas en Espagne. Chaque pays, poursuit M. Couillard, a établi son système de santé en fonction de ses valeurs et de sa culture propres et il est très difficile, voire impensable de les transposer ailleurs sans adaptation.
Un système profitable
Il y a peu d'appétit dans la profession médicale pour l'ouverture au système privé de santé, observe-t-il, car les médecins ont largement profité de l'implantation des régimes publics. « Contrairement aux autres professionnels, observe M. Couillard, les médecins ont une garantie de revenus dès le début de leur pratique. »
Ailleurs dans le monde, des expériences fascinantes devraient néanmoins nous inspirer, dit-il. Aux Pays-Bas, on a supprimé le régime public et obligé tous les citoyens à obtenir leur assurance dans le secteur privé. Les assureurs privés sont ensuite compensés par un fonds public qui égalise les risques entre les assureurs. Les primes ont néanmoins augmenté de 10 % dans les deux premières années suivant l'implantation de la réforme hollandaise, et bien des assureurs ont préféré quitter le secteur, ce qui réduit la concurrence que l'on espérait créer entre eux.
La réelle diversification devrait se dérouler plutôt du côté de la prestation de services dans les zones urbaines, insiste M. Couillard, où des éléments liés à la dynamique du marché permettraient de créer de la concurrence entre les organisations chargées d'offrir les soins. Il a cité en exemple le cas de la clinique médicale Rockland, qui a une entente avec l'Hôpital du Sacré-Cœur pour s'occuper des patients qui ont besoin de certains soins. Les clients qui se présentent à cette clinique privée utilisent leur carte-soleil, et la facture de la chirurgie est expédiée directement à la RAMQ. Le projet-pilote, en cours depuis le printemps 2008, suscite cependant du mécontentement au sein de l'Agence régionale de la santé de Montréal.
Une place à prendre
Il existe des secteurs où l'industrie de l'assurance, qu'il considère « plutôt conservatrice », pourrait innover davantage. Il faudrait ainsi se préoccuper davantage des travailleurs de la génération « prise en sandwich », car occupée à élever des enfants tout en devant prendre soin de leurs parents vieillissants. Cette assurance du type « maintien à domicile » devrait être bien plus répandue.
M. Couillard juge que les assureurs privés ont un rôle à jouer du côté de la prévention en milieu de travail. Les programmes existants sont souvent réservés aux cadres supérieurs et il estime pertinent de les offrir aussi aux autres gestionnaires de même qu'aux employés clés dans l'organisation. « Pour les soins liés à l'invalidité, le privé pourrait en faire beaucoup plus. »
Un autre secteur où les assureurs privés pourraient en faire davantage est celui du tiers payeur. Peu de gens savent que les employeurs peuvent conclure une entente avec un médecin participant au régime public, pour assurer la prestation des services couverts par la RAMQ. « Ce n'est pas le patient qui paie. » Il y a donc une petite ouverture pour ce type de régime davantage lié à l'emploi.
Plus tard durant les échanges, le Dr Couillard a affirmé qu'il juge exagérées les prévisions de hausses des couts de soins de santé causées par le vieillissement de la population. « Si vous regardez les études sérieuses qui ont été faites là-dessus, le vieillissement a peu d'effets sur les couts des soins médicaux, voire des médicaments. Le gros des dépenses en soins médicaux que nous allons générer, chacun d'entre nous, va se faire dans les six derniers mois de notre existence. La bonne nouvelle, c'est qu'on ne meurt qu'une fois. Par contre, avant que cela arrive, il y a toute une cascade d'événements qui font en sorte qu'on a besoin d'aide à la maison. Parfois, ces soins sont relativement peu couteux. »