Parmi la jurisprudence intéressante qui attire l’attention en droit des assurances, une décision concerne un appel de l’assureur qui refusait de dévoiler le contenu du rapport de l’expert en sinistre découlant d’une réclamation en vol automobile. 

Le 13 décembre dernier, l’Institut d’assurance de dommages du Québec présentait un webinaire sur la jurisprudence nouvelle de 2022. L’avocat Pierre-Alexandre Fortin, du cabinet Tremblay Bois Avocats, avait préparé sa présentation grâce à la collaboration de Me Camille Mercier

L’une des décisions commentées par Me Fortin a été rendue le 16 mars 2022 par le juge Steve Guénard de la division administrative et d’appel de la Cour du Québec. Le tribunal a donné raison à la Compagnie d’assurance Bélair qui en appelait d’une décision rendue par la Commission d’accès à l’information du Québec (CAI).

En avril 2021, la CAI avait donné raison au demandeur Ross Wood et ordonné à l’assureur de communiquer plusieurs sections d’un rapport d’intervention préparé par son unité spéciale d’enquête, laquelle est composée d’experts en sinistre.

L’assuré est propriétaire d’un véhicule de marque Cadillac couvert par Bélair en vertu d’une police d’assurance automobile. Il soumet une réclamation en août 2018 en alléguant le vol du véhicule. Le premier expert en sinistre qui enquête sur le vol transmet le dossier à l’unité spéciale de l’assureur, laquelle est chargée d’analyser plus rigoureusement les réclamations que l’on soupçonne d’être illégitimes. 

Enquête 

L’expert en sinistre de cette unité produit un rapport d’intervention. L’assureur se sert du document pour refuser la réclamation en décembre 2018. Le même jour, l’assuré fait une demande d’accès à l’information. Bélair refuse de transmettre le document et décline par écrit la réclamation. 

L’audition devant la CAI a eu lieu le 24 mars 2021. L’assureur affirme que le rapport ne peut être communiqué à l’assuré. La CAI rend sa décision le 27 mai 2021 et affirme que le privilège relatif au litige, invoqué comme premier motif de refus par Bélair, ne s’applique pas au rapport d’intervention, car ce document n’a pas comme objet principal de servir dans le cadre d’un litige.

La CAI conclut aussi que l’article 39 (1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP) ne s’applique pas, ce qui était le deuxième motif de refus de l’assureur. Selon Bélair, le rapport se qualifiait à cet égard parce que sa divulgation « risquerait vraisemblablement de nuire à une enquête menée par son service de sécurité interne ayant pour objet de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions à la loi ». 

L’assuré Wood répète qu’il veut avoir accès au rapport afin de connaître les motifs qui ont permis à Bélair de lui refuser l’indemnité qu’il réclamait. 

Erreur de droit 

Selon le tribunal, la CAI a commis une erreur de droit en « dénaturant » le critère juridique lié au privilège relatif au litige « tout en occultant la jurisprudence de longue date et particulièrement constante sur le sujet », lit-on au paragraphe 37 du jugement. 

Concernant les rapports préparés par un expert en sinistre, le tribunal cite la décision rendue en 2012 par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt L’Union canadienne c. Saint-Pierre. Le rapport d’enquête a un caractère confidentiel et appartient à la partie qui a payé pour l’obtenir. « De tels documents renferment bien souvent des informations confidentielles sur la valeur morale des déclarants ou encore soulèvent des soupçons sur des personnes visées par l’enquête », indiquait la Cour d’appel. 

Cette jurisprudence, pourtant suivie à de nombreuses reprises par les tribunaux, est ignorée par la CAI. L’assureur aurait pu renoncer à la confidentialité du rapport, mais il ne l’a jamais fait. 

Par ailleurs, la CAI a considéré dans plusieurs décisions que le législateur avait mis de côté les critères entourant le privilège relatif et qu’il avait été intégré dans la LPRP. L’erreur de droit de la CAI est manifeste, selon le tribunal, car elle néglige les enseignements de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel.

Dans le paragraphe 14 de sa décision, la CAI écrit que « l’objet principal de la confection de ces documents le fut dans le but d’analyser le bien-fondé d’une réclamation résultant d’une police d’assurance souscrite par le demandeur ».

Bélair postule que si la CAI se réfère au critère de l’objet principal, elle applique plutôt celui de l’objet unique. En réalité, ce rapport peut servir à plus d’un objet. En l’espèce, la prévisibilité du litige au moment de la demande d’accès par M. Wood est manifeste et laisse peu de place à l’interprétation. Le risque de procédures était palpable, ajoute le juge Guénard. 

« La CAI a considéré, à tort, que le document ne pouvait avoir été confectionné principalement dans le cadre d’un litige parce qu’il avait également servi, en amont, à nier la couverture », lit-on au paragraphe 66. En conséquence, la CAI ne pouvait ordonner la communication même partielle du rapport. 

Trois autres jugements 

Durant sa présentation, l’avocat Pierre-Alexandre Fortin a aussi souligné trois décisions rendues par les tribunaux en 2022 qui ont été résumées par le Portail de l’assurance

La première concernait un transporteur contre Aviva et était reliée à l’avenant F.A.Q. no 27, lequel vise les conséquences financières que peut subir l’assuré lorsqu’il est civilement responsable de fait d’un dommage causé à un véhicule. 

La deuxième était une requête de type Wellington par un entrepreneur en construction qui poursuivait son assureur pour l’obliger à le défendre en responsabilité civile. L’affaire était reliée à des travaux réalisés sur la route 185, au Bas-Saint-Laurent. 

La troisième était une autre requête de type Wellington d’un homme contre l’assureur Traders, dans une histoire de batterie de vélo électrique qui avait explosé et provoqué un incendie.