Le transport international de marchandises comporte des règles particulières qui s’appliquent en cas de litige. Même si les dommages et la perte assurée ont été constatés au moment de décharger la marchandise au Québec, cela ne signifie pas automatiquement que la poursuite doit y être entendue. 

Le litige dans le présent dossier trouve son origine dans le cadre d’une entente ratifiée en juin 2021, Bolloré Logistics accepte de transporter des marchandises produites, fabriquées ou distribuées par Chanel en France et ses sociétés liées. 

En 2022, Chanel Canada procède à une commande de produits de la Chanel ltée d’une somme de 697 806,94 $. La marchandise est mise dans un conteneur et transportée par camion, puis par bateau de la France jusqu’à Candiac par Bolloré. Une partie de la marchandise ne s’y trouve pas lors du déchargement, ayant été volée. 

Chubb du Canada compagnie d’assurance indemnise Chanel Canada pour une somme de 184 876,53 $. Subrogée dans ses droits, elle intente un recours contre Bolloré, mené conjointement avec Chanel Canada, qui réclame 12 489,50 $. Les demanderesses reprochent à la défenderesse de ne pas avoir respecté son obligation de livrer la marchandise et de la remettre intacte.

Les sociétés Bolloré Logistiques Canada et le transporteur maritime, MSC Mediterranean Shipping Company S.A., sont aussi poursuivies. Elles ne sont cependant pas concernées par la requête présentée par Bolloré Logistics et qui a été entendue en Cour supérieure le 10 septembre dernier à Montréal. 

Cette dernière présente un moyen déclinatoire et une demande de déclaration d’abus à l’encontre des demanderesses. La « clause d’élection de for », contenue dans l’entente qui lie les parties, attribue la compétence exclusive aux tribunaux d’Angleterre et du pays de Galles. Cette clause facilite la prévisibilité des relations commerciales internationales, car elle permet aux parties de prévoir le forum auquel elles soumettront leur litige. 

Bolloré allègue que le tribunal doit rejeter la poursuite intentée contre elle et réclame que les demanderesses soient condamnées pour cet abus de procédure, car leur recours « est frivole et manifestement voué à l’échec ». 

Les demanderesses contestent cette interprétation de l’entente et affirment qu’il est impossible de conclure que les parties ont convenu de soumettre leurs litiges à la juridiction exclusive des tribunaux britanniques. 

Analyse du tribunal 

Dans son jugement daté du 24 septembre dernier, le juge Bernard Larocque de la Cour supérieure du Québec donne partiellement raison aux défenderesses. Il rejette la demande introductive d’instance des demanderesses pour défaut de compétence de la Cour supérieure du Québec. La demande en déclaration d’abus soumise par Bolloré est toutefois rejetée. 

Bolloré réclame le rejet de la demande en justice en s’appuyant sur une disposition du Code civil du Québec, qui prévoit la compétence des tribunaux québécois. « Le défendeur est une personne morale qui n’est pas domiciliée au Québec, mais y a un établissement et la contestation est relative à son activité au Québec », peut-on lire au deuxième alinéa de l’article 3148 du Code. 

En présence d’une clause d’élection de for « librement consentie qui attribue compétence à une autorité étrangère et qui est claire, précise et impérative, la jurisprudence enseigne que les tribunaux québécois perdent compétence ». 

L’analyse proposée par la Cour d’appel du Québec dans un litige tranché en 2007, qui s’appuyait sur une autre affaire tranchée par la Cour suprême du Canada en 2005. « Avant de se livrer à un exercice d’interprétation, il faut d’abord en arriver à la conclusion que le contrat est ambigu », précise le juge Laroque. Si les termes du contrat sont clairs, le tribunal se contente de l’appliquer. 

Selon les demanderesses, le titre de la clause en litige est libellé « Governing Law ». Son contenu ne comprend pas les termes liés aux disputes, réclamations, poursuites ou actions. Elles plaident aussi que la clause ne fait pas référence de manière spécifique aux litiges nés ou à naître.

Le tribunal souligne que la clause comporte deux volets. Le premier concerne le choix des lois applicables. Le second établit, de manière explicite, la compétence exclusive des tribunaux de l’Angleterre et du pays de Galles. Les parties à l’entente consentent à son contenu. 

« Une simple lecture permet de constater que la clause distingue clairement deux éléments différents, de sorte que son titre ne saurait être considéré comme source d’ambiguïté », ajoute le juge. Les termes « exclusivement » et « tribunaux » sont très précis. Dans une autre décision rendue en 2018, la Cour supérieure avait déjà fait une lecture semblable de la clause d’élection de for. 

Enfin, l’entente inclut Chanel ltée et les sociétés affiliées, et Chanel Canada fait partie de la liste des compagnies mentionnées à l’annexe A2 du contrat. La clause d’élection de for s’applique, estime le tribunal. 

Si la clarté et le caractère impératif de la clause n’avaient pas été établis, le tribunal aurait pu s’interroger sur la pertinence de confier le litige aux tribunaux du Québec afin de considérer s’ils étaient mieux placés pour le trancher. Ce n’est pas le cas ici. 

Abus de procédure 

Bolloré réclame une indemnité de 10 000 $ en raison du caractère abusif de la procédure intentée par les demanderesses. Elle invoque les articles 51 et suivants du Code de procédure civile et les décisions qui ont permis d’appliquer les principes de ces dispositions.

Le tribunal ne partage pas cette analyse. Même si les chances de succès des demanderesses « étaient minces ou fragiles », celles-ci existaient néanmoins et l’exercice d’interprétation demeurait nécessaire.

La contestation faite du moyen déclinatoire par Chubb et Chanel ne saurait être sanctionnée, conclut le tribunal, car le seuil élevé requis pour conclure à un abus n’a pas été atteint. 

Il s’agit d’un deuxième litige en un mois où un tribunal du Québec doit intervenir en lien avec la clause d’élection de for. La Cour d’appel a récemment confirmé un jugement rendu en Cour supérieure en décembre 2024.