L’industrie est de plus en plus sollicitée par différents intervenants qui souhaitent la voir jouer un rôle de premier plan dans la transition vers un avenir où les innovations technologiques accéléreront l’atteinte des objectifs climatiques.
« Le rôle des assureurs dans l’évaluation, la tarification et la gestion des risques inéprouvés qu’on associe aux nouvelles technologies et aux nouveaux processus sera fondamental pour une mise en œuvre à grande échelle et la mobilisation de capitaux privés », affirme Maryam Golnaraghi, directrice des changements climatiques et de l’environnement à l’Association de Genève. L’Association de Genève est un regroupement mondial de dirigeants de compagnies d’assurance et de réassurance dont la mission est d’étudier les principaux risques susceptibles d’avoir une incidence sur le secteur des assurances, de formuler des recommandations et de fournir une plateforme pour en discuter.
Mme Golnaraghi a fait ce commentaire dans le cadre d’une conférence virtuelle organisée par l’Association de Genève, Future-Proofing Technological Innovations for a Resilient Net-Zero Economy.
Un monde de plus en plus non assurable
Les experts réunis à la conférence ont expliqué que les enfants nés cette année vivront deux à sept fois plus d’événements liés au climat que ceux nés en 1960. « Et ils vont vivre des conditions que les générations plus âgées ont rarement, voire jamais vécues », indique Patricia Espinosa, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
« De notre point de vue, le défi est de plus en plus clair et net : il faut réduire les émissions de moitié, environ, pendant les années 2020, qui sont une décennie critique. Ensuite, il faut décarboniser la planète rapidement et atteindre la carboneutralité d’ici 2050. » « Si nous n’y arrivons pas, nous risquons de voir notre avenir et celui des générations futures se dégrader et, de toute évidence, de connaître un environnement très difficile pour les affaires, notamment un monde de moins en moins assurable », ajoute Leonardo Martinez-Diaz, directeur principal du financement climatique auprès de l’envoyé spécial du président américain pour le climat, John Kerry.
« Je vous encourage à ne prendre en charge que les portefeuilles conformes aux objectifs de l’Accord de Paris. Tout le reste est un mauvais investissement pour l’avenir. » – Patricia Espinosa
Aucun secteur ne devrait être épargné. Il suffit de jeter un œil à l’acier, au ciment, aux produits chimiques lourds, au camionnage, à l’expédition et à l’aviation pour comprendre l’ampleur du travail à accomplir, pour avoir une idée de ce qu’il faut faire.
« Dès qu’on retrace une chaîne de valeur – depuis la matière première jusqu’à la consommation, et même, jusqu’à la gestion des déchets –, on commence à voir l’ampleur de la tâche à venir », indique Peter Bakker, président du World Business Council for Sustainable Development.
Entre-temps, on a déjà déjà commencé à investir une importante quantité de capitaux dans des solutions en cours de création. Mme Golnaraghi mentionne d’ailleurs une tendance intéressante, à savoir la « convergence » des fonds de capital-risque et des grands fonds dirigés par des investisseurs, qui vient ainsi créer une « nouvelle » catégorie d’actifs (le capital de risque d’entreprise), un mariage entre fonds qui ont l’habitude de financer de gros projets (les fonds de pension, par exemple).
« L’accent a toujours été mis sur les solutions de rechange pour la production d’énergie et le captage du carbone. Mais on observe une nette tendance à investir dans de nouvelles technologies climatiques pour l’alimentation, l’agriculture, la mobilité, l’eau, les biens de consommation, les industries lourdes comme la métallurgie, etc. »
Toutefois, comme elle l’a mentionné, les nouvelles technologies s’accompagnent d’une myriade de risques inéprouvés, soit des risques liés à la sécurité opérationnelle, à l’environnement, à l’élimination des déchets, à la construction et au marché. « Comment les assureurs peuvent-ils collaborer avec les technologues, les sociétés d’ingénierie et les autres intervenants pour mieux évaluer et gérer les risques? », demande-t-elle.
Transformer l’industrie
Si l’on veut une industrie transformée, équipée pour relever le défi, plusieurs caractéristiques seront nécessaires, pense M. Martinez-Diaz.
Premièrement, l’industrie devra avoir des modèles actuariels qui s’adaptent rapidement aux technologies émergentes. « Ce sera crucial, car les courbes technologiques commencent à changer. » Deuxièmement, l’industrie devra prendre le risque d’offrir des tarifs attrayants pour les technologies d’énergie renouvelable novatrices. « Cela sera essentiel pour stimuler ce marché critique. »
Troisièmement, l’industrie devra faire preuve de créativité et de souplesse pour faire face aux risques particuliers auxquels sont exposées les entreprises d’énergie renouvelable, et pas seulement les risques génériques qui s’appliquent à tous les secteurs. Quatrièmement, elle devra aller au-delà des énergies renouvelables et promouvoir la décarbonisation dans d’autres secteurs. Il sera très important que d’autres suivent l’exemple de ceux qui ont déjà cessé de souscrire sur le marché du charbon, dit M. Martinez-Diaz. « Les données scientifiques montrent qu’il s’agit d’un mauvais investissement à long terme. De nombreux assureurs manquent encore à l’appel. Nous avons besoin qu’ils prennent le même type de décisions. »
« Réfléchissez à ce que ça signifierait que de cesser de financer l’expansion du pétrole et du gaz », ajoute-t-il. « À long terme, nous n’avons pas besoin d’investir davantage dans les combustibles fossiles. Ces investissements, nous allons en avoir besoin dans le secteur des énergies renouvelables. Je pense que c’est un aspect crucial que les assureurs doivent commencer à prendre en considération à ce stade. »
Mme Espinosa est encore plus directe : « Chers collègues, vous ne pouvez pas affirmer que les combustibles fossiles sont un bon investissement à long terme, dit-elle. Je vous encourage à ne prendre en charge que les portefeuilles conformes aux objectifs de l’Accord de Paris. Tout le reste est un mauvais investissement pour l’avenir. »
L’influence de l’industrie
Le thème récurrent de la conférence est que l’industrie, avec ses rôles de souscripteur, de gestionnaire du risque et d’investisseur, peut être d’un grand soutien à la transformation technologique nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques. « Les assureurs peuvent offrir des produits qui réduisent les risques pour ceux qui investissent dans de nouvelles technologies comme les sources d’énergie renouvelable. Ils peuvent aussi offrir d’importantes solutions permettant d’atténuer les risques pour le développement d’infrastructures », affirme Jeffrey Schlagenhauf, secrétaire général adjoint de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
En plus des produits novateurs et du capital de démarrage, l’industrie devrait aussi fournir un « capital patient » à plus long terme pour encourager la recherche et le développement et appuyer la mise au point des technologies nécessaires.
« L’industrie jouera un rôle clé pour assurer le succès de ces nouvelles technologies », indique Denise Bower, directrice générale de la société d’ingénierie mondiale Mott MacDonald.
De son côté, Mark Versey, chef de la direction de Aviva Investors, souligne que les assureurs et les réassureurs se trouvent également dans une position unique en raison de leur part de marché. « Notre part de marché n’est pas assez importante pour que nous puissions imposer notre propre positionnement au monde entier, dit-il, mais elle est quand même de 12 % ou de 13 %. Alors, qu’est-ce qu’on peut faire? On peut donner l’exemple. »
Il ajoute qu’il faut rapidement réduire la consommation et la production de combustibles fossiles, éliminer le carbone, et remplacer le tout par des sources d’énergie renouvelable. « Nous mettons tout en œuvre pour évaluer les risques associés aux nouvelles technologies. C’est la plus grande contribution que nous pouvons apporter. »
« Enfin, permettez-moi de souligner que votre voix dans la société, en tant que gestionnaires de risques, est énorme », conclut M. Martinez-Diaz. « Votre capacité à sensibiliser les gens aux risques liés au climat est essentielle. Tout ce que vous pouvez faire sera essentiel – pas seulement en matière d’évaluation des risques, mais aussi en matière de communication, pour leur faire comprendre qu’il s’agit d’un risque à prendre au sérieux, même si nous réduisons les émissions. »