Le téléphone intelligent s’imposera comme l’outil de santé numérique par excellence, grâce à sa versatilité, que n’offrent pas les montres et autres bracelets connectés.
Cette vision est celle de Roger Simard, pharmacien-entrepreneur. Il est notamment connu pour sa participation à l’émission Entrée principale de Radio-Canada. Le 18 avril dernier, il a participé au Congrès collectif 2018, organisé par Segic. Le Journal de l’assurance y était.
M. Simard a été le premier pharmacien canadien à utiliser un logiciel de soins pharmaceutiques en 2008, puis à effectuer des tests de pharmacogénomique en pharmacie à l’aide du Spartan Rx. En 2014 il fondait Pharmacie 3.0, une solution de santé mobile pour le suivi à distance des paramètres biométriques chez une cohorte de personnes âgées de 65 à 89 ans.
Récompenser les comportements sains
Lors de sa présentation, il a défini la santé connectée comme une gamme étendue de technologies qui fait appel aux télécommunications. Ces technologies visent à faciliter l’échange de données et la prestation de services de santé, généralement à distance.
Elles permettent selon lui de mieux gérer les pathologies chroniques et de favoriser la prévention. Cette approche de la santé permet entre autres de « récompenser » les gens qui ont des comportements sains ou de les inciter à changer les comportements qui créent une pathologie ou détériore leur santé, estime M. Simard.
L’écosystème de la santé connecté a commencé avec les bracelets et montres qui ont envahi le marché en quelques années. « Avec l’avènement des téléphones intelligents, plusieurs de ces produits disparaitront. Avec les applications gratuites, il devient de plus en plus le premier objet de captation de données biométriques dans la population », observe le pharmacien.
Roger Simard observe que des employeurs ont commencé à intégrer des éléments de cette santé connectée dans leurs programmes de prévention. « C’est par les employeurs et les programmes de prévention en entreprise que nous verrons la santé connectée s’implanter », croit-il.
M. Simard se dit convaincu que le téléphone intelligent sera le catalyseur de cette révolution, par sa puissance d’analyse et la sécurité des données. « Il permet d’accéder à l’intelligence artificielle et aux données massives, de faire de l’analyse prédictive, ce qui était impossible il y a cinq ans. La réalité virtuelle fera partie des soins dispensés en santé numérique. »
Un téléphone vous surveille
Le pharmacien a d’ailleurs cité une étude du CEFRIO, selon laquelle le tiers des utilisateurs de téléphone intelligent disposent d’applications mobiles pour suivre leur état de santé.
Les médecins y trouvent aussi leur compte dans leur pratique. « Une étude à laquelle participent des personnes atteintes de la maladie de Parkison permet de déterminer l’efficacité du traitement, en fonction des tremblements qu’enregistre leur téléphone intelligent quand ils le prennent. »
Le GPS d’un téléphone intelligent permet de contacter les gens pour optimiser leur traitement. « Vous pouvez télécharger des applications qui vous permettent de jumeler un appareil avec votre téléphone, pour en faire un dispositif de santé connectée. Nous ne sommes plus dans le monde du portail informatique. Nous sommes dans le monde de l’appareil mobile », lance le pharmacien.
Roger Simard signale que les patients de 100 hôpitaux aux États-Unis peuvent désormais télécharger directement l’ensemble de leurs données biométriques dans leurs téléphones intelligents. L’évolution des données peut être suivie avec des dispositifs connectés et des applications. « Ces données vont de la tension artérielle à l’activité physique, en passant par la prise du taux de sucre dans le sang, le pèse-personne connecté et le suivi des heures de sommeil. »
En 2014, Pharmacie 3.0 réalise un projet avec 40 patients de 65 à 89 ans, dont il suit l’évolution de pathologies chroniques sur un tableau de bord. « Par exemple, la prise de tension artérielle à domicile par un patient avec un tensiomètre connecté se transfère automatiquement à mon tableau de bord. Ces transferts de données biométriques permettent de prendre des mesures de prévention pour éviter des incidents catastrophiques », dit M. Simard.
La valeur motivationnelle de ces programmes est très importante, insiste-t-il. « Les gens sont prêts à être suivis par leur professionnel de la santé, dit-il. Ils veulent être guidés sur le droit chemin, surtout les gens qui ont des pathologies chroniques. Les 98 % du temps que nous passons à l’extérieur du système de santé, nous n’avons aucune donnée. La santé connectée permettra de pallier ce vide et d’avoir des données de santé sur une base continuelle pour ces gens affectés de maladies chroniques. »
Alors que les hôpitaux des années 1960 ont été créés pour traiter sur place des pathologies aigües, les maladies chroniques évoluent au travail, à la maison et il sera important de pouvoir les suivre, dit M. Simard. Aux États-Unis, il observe que le concept d’hôpital virtuel, capable de traiter par exemple 100 000 patients disséminés dans différents territoires, fait son chemin. Ces programmes ont la cote au sud de la frontière, où les assureurs ont intérêt à maintenir les gens hors des hôpitaux. « Ce qui n’est pas nécessairement le cas chez nous », reconnait-il.
« Une clinique de La Nouvelle-Orléans a commencé à utiliser des balances connectées pour des gens qui souffrent d’insuffisance cardiaque, a-t-il observé. Lorsque vous décompensez, il y a accumulation de liquide dans les poumons et vous prenez du poids rapidement. La balance indique à un pharmacien que vous êtes en train de décompenser. Il vous recommandera de doubler sa dose de diurétique pendant deux semaines et potentiellement éviter une hospitalisation. »
Plus précis qu’à l’hôpital
Roger Simard donne aussi l’exemple de l’hypertension, une maladie chronique dont on peut modifier le risque, entre autres par l’exercice et en perdant du poids. Il ajoute que la prise de tension à domicile avec un tensiomètre connecté tend à être plus précise qu’à l’hôpital.
Il constate aussi une évolution effarante aux États-Unis des technologies pour le traitement du diabète. « La montre d’Apple pourra mesurer de façon précise le taux de glycémie, par photo-sismographie, sans avoir à se piquer tous les jours », rapporte M. Simard.
En ce qui touche les maladies pulmonaires, un capuchon muni d’une puce Bluetooth avertit le patient asthmatique lorsqu’il ne prend pas la bonne pompe. « Chaque fois que vous utilisez un de vos inhalateurs, l’application communique avec le téléphone cellulaire ou le iPad, saura où vous vous trouvez, estimera la qualité de l’air en fonction du taux d’humidité », explique M. Simard. Le patient pourra ainsi recevoir des recommandations sur une meilleure utilisation, au besoin.
« Un simple texto personnalisé à la personne qu’on veut aider à changer de comportement fonctionne », signale M. Simard. À Boston, des diabétiques qui recevaient des textos ponctuels après réception des données par le laboratoire ont affiché une modification de leurs comportements.
Une demande à des patients en chimiothérapie de donner des renseignements sur leur état de santé générale par texto a créé une secousse en oncologie, relate M. Simard. Elle a révélé que l’espérance de vie s’était améliorée de six mois chez cette population. Cela avait aussi eu un effet sur la qualité de vie de ces gens. L’expérience a révélé qu’il est très important d’avoir des échanges bidirectionnels avec les patients, particulièrement pour des maladies chroniques.
À l’international
Un des exemples que devrait suivre le Canada, estime M. Simard, est celui du gouvernement anglais, qui prend la santé connectée de façon très sérieuse. Le National Health Service a développé une bibliothèque d’applications mobiles et offre entre autres un centre de triage 811 robotisé, qui décide à l’aide de l’intelligence artificielle si vous verrez un médecin ou une infirmière.
Au Japon, le facteur peut prendre vos données biométriques pour les envoyer chez le médecin. En France, l’équivalent de Postes Canada offre gratuitement à la population une application mobile de santé connectée.
Peu d’études existent pour démontrer le rendement sur l’investissement des programmes de santé connectée, reconnait M. Simard. En adopter n’en demeure pas moins une bonne idée, selon lui.
« Aux États-Unis, 64 % des 100 entreprises considérées comme les employeurs les plus performants au niveau de la santé en milieu de travail ont inclus des dispositifs de santé connectée dans leurs programmes », ajoute M. Simard.
Plusieurs de ces employeurs utilisent la télémédecine. « La télémédecine en entreprise a été le cheval de Troie de la santé connectée. » M. Simard a observé qu’elle est entrée de cette façon au Canada et au Québec.