Depuis cinq ans, les voitures se sont transformées en ordinateurs sur roues. Et les voleurs d’automobiles n’ont pas tardé à en tirer profit !
Comment s’y prennent-ils ? Pour réparer un véhicule, les mécaniciens automobiles se branchent désormais au port OBD (pour on-board diagnostic), similaire aux prises USB des ordinateurs. Les voleurs font pareil.
Une recherche sur le Web permet de constater qu’il est facile pour tout particulier de se procurer un dispositif branchable dans le port OBD. Cette technologie est particulièrement utilisée par les voleurs sur les voitures qui ont des systèmes d’entrée sans clé, affirme Freddy Marcantonio, vice-président, développement des affaires et distribution, de Tag Tracking.
Yvon Morin, ex-enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) spécialisé en vol automobile, souligne que le petit voleur de coin de rue est disparu. « Maintenant, ce sont des réseaux plus organisés qui volent les voitures. Ils utilisent des ordinateurs portables pour commettre leur délit, » explique.
M. Morin explique qu’auparavant, les voleurs n’avaient qu’à utiliser des clés de valet pour s’introduire dans une voiture et d’aller chercher une clé à puce chez le concessionnaire pour pouvoir partir avec la voiture. Maintenant, ils sont en mesure de se procurer un logiciel qui peut déprogrammer et reprogrammer l’ordinateur de bord d’une voiture. « Ils achètent un logiciel qui coute à peine 500 $. Ensuite, ils se branchent dans le port OBD et reprogramment l’ordinateur de la voiture pour que celui-ci reconnaisse la puce du voleur. Cette procédure prend une vingtaine de minutes. Les voleurs partent avec le véhicule sans y causer de dommage. »
L’ex-enquêteur du SPVM cite en exemple les véhicules de marque Toyota comme cibles faciles, puisque les codes des puces se trouvent à deux endroits plutôt qu’un dans le véhicule : dans le manuel du conducteur et dans la serrure du côté conducteur. Avec ce code en main, ils n’ont qu’à le copier sur une clé vierge.
De son côté, M. Marcantonio témoigne de la facilité avec laquelle les voleurs s’adaptent aux technologies. Depuis des années, il les décrit comme des doctorants en vol. Son inquiétude est encore plus grande en ce moment. Il craint que les malfaiteurs n’aient plus besoin de se brancher à la voiture pour copier la clé. « Les ondes émises par les clés pour système d’entrée sans clé sont captées par les voleurs avec un appareil approprié. Elles transfèrent les codes sur des clés vierges. »
Cyberrisques importants
Pour Jean-Philippe Racine, président du Groupe CyberSwat, plus les voitures sont connectées, plus elles donnent l’opportunité à des pirates informatiques d’infiltrer leur système.
En 2015, le magazine américain Wired a fait l’expérience d’infiltrer le système informatique d’un Jeep Cherokee en piratant son système de divertissement. Deux ingénieurs informatiques pouvaient contrôler à distance l’air conditionné, le volume, en plus de l’accélérateur et les freins de la voiture. En dessous d’une certaine vitesse, les ingénieurs contrôlaient aussi le volant et la direction du VUS. Après avoir averti le manufacturier Fiat-Chrysler, celui-ci a mis leur système à jour et a averti ses clients.
Une Tesla piratée
Plus récemment en 2016, des chercheurs chinois ont réussi à pirater le système informatique d’une voiture Tesla. Dix jours après avoir été mis au fait, la compagnie a réparé la faille de son système pour les modèles touchés.
« Ce qui distingue Tesla de Fiat-Chrysler à la suite de ces expériences, c’est que Tesla est en mesure de mettre son système informatique à jour en utilisant les ondes cellulaires, ce qui n’est pas le cas de la majorité des constructeurs automobiles. Les conducteurs doivent se rendre chez un concessionnaire pour sécuriser le système informatique de leur voiture », déplore M. Racine. « Si des personnes, qui ont des connaissances informatiques quelque peu avancées, peuvent prendre le contrôle d’une voiture à distance, il est aisé de croire qu’ils pourraient la voler assez facilement, » ajoute M. Marcantonio.
La solution revient aux manufacturiers, selon M. Racine. Leur cybersécurité, et celle de leurs véhicules, passe par l’instauration de requis de sécurité lors du cycle de développement du logiciel de divertissement. Les vulnérabilités diminuent lorsque les risques sont appréhendés dans la phase de design du logiciel.
De leur côté, les assureurs devraient valider si les constructeurs ont de bonnes pratiques en matière de cybersécurité. « Les façons dont les infrastructures informatiques des manufacturiers sont sécurisées ne sont pas uniformes d’une entreprise à l’autre. Les assureurs pourraient mieux évaluer le risque en étant au fait des pratiques des manufacturiers », ajoute M. Racine. Il suggère aussi aux assureurs qu’ils avisent leurs clients de rester à l’affut des rappels des constructeurs.
Des voitures plus technos, mais pas plus volées
Si les voleurs s’adaptent à la technologie des véhicules pour les voler, les voitures dites intelligentes ne sont pas spécifiquement ciblées. La technologie aide-t-elle à prévenir le vol ? Jason Collard, vice-président et cofondateur de Vin-lock, croit que oui. « En 2005, c’était peut-être plus facile de voler un véhicule qui n’avait pas un ordinateur de bord aussi complexe qu’aujourd’hui. La technologie a sans doute été une barrière aux voleurs au début, lorsqu’elle venait tout juste d’arriver sur le marché. Mais dès qu’une solution est apportée pour protéger un véhicule, les voleurs trouvent comment la contourner. »
Qu’ont fait les entreprises de marquage ou de repérage pour s’adapter aux nouvelles technologies automobiles ? Rien, avancent plusieurs représentants de ces compagnies, avec raison à l’appui.
« Si nous numérisons nos dispositifs, les voleurs trouveront le moyen de les déjouer. Ce n’est pas ce que l’on veut », dit M. Marcantonio.
M. Collard partage sa réflexion. « La beauté derrière le marquage, c’est que c’est permanent. Son efficacité continue d’être prouvée. »
Lorsqu’un voleur vole un véhicule, son intention est de déparer le véhicule de son identité pour finalement l’exporter, le démanteler ou le maquiller, affirme Anne-Marie Jodoin, présidente de Sherlock. « Que la voiture soit intelligente ou non, l’intention du malfaiteur ne change pas. Ce qui va changer c’est la méthode qu’il utilisera pour la voler. »
D’ailleurs, le nombre de vols auto continue de diminuer au Québec, ce qui s’inscrit dans la tendance des dix dernières années. Le Groupement des assureurs automobiles (GAA) a dévoilé qu’en 2015, le taux de vol se situait à 0,12 %, comparativement à 0,45 % en 2005.
« La baisse des taux de vols est attribuable aux assureurs qui ont dit “ça suffit !” il y a dix ans et qui ont exigé que les consommateurs fassent marquer leur voiture. Il est important que les assureurs continuent d’exiger cette mesure antivol même si on remarque qu’il y a eu des progrès, » conclut M. Collard.