Économiste et stratège en chef de la Banque Nationale du Canada, Stéfane Marion a rassuré les investisseurs inquiets des effets de la récession européenne. Il y a toujours des mauvaises nouvelles, mais elles ne parviennent plus à freiner l’économie mondiale.
Stéfane Marion était de passage au 1er Colloque du conseil en fonds d’investissement organisé à Montréal, le 17 mai, par le Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ). D’emblée, il y a présenté l’indice des surprises économiques de la banque fondé sur des données de Bloomberg. L’indice compare les déviations entre les données économiques par rapport à un consensus des prévisions.
L’indice montre ces déviations sur deux courbes, l’une pour les États-Unis et l’autre pour les marchés émergents. À leur vue, on constate que le baromètre développé par la banque oscille allègrement entre surprise négative et positive depuis plusieurs années. En dix ans, l’abysse le plus prononcé figure à la jonction de 2008 et 2009 : le début de la crise.
M. Marion ne s’en inquiète pas, car ce genre d’indice bouge toujours ainsi, dit-il. « Depuis les dernières semaines, l’indice est négatif. Il l’était aussi l’an passé, alors qu’on craignait une répétition de la crise financière de 2009. Même si les surprises économiques étaient aussi mauvaises qu’en 2009, cela n’a pas empêché l’économie mondiale de croitre », lance l’économiste.
La production industrielle de l’économie mondiale demeure en expansion, menée de loin par une croissance fulgurante des pays émergents. Seule celle des pays avancés stagne. « La zone euro est en récession, mais il n’y a pas eu de contagion majeure de l’économie mondiale jusqu’à présent », ajoute M. Marion. La croissance mondiale devrait, selon lui, atteindre 3,2 % en 2012.
Grâce à l’Asie
Stéfane Marion attribue cette résilience de l’économie mondiale à l’émergence des pays asiatiques. Ils représentent maintenant une part importante de la production industrielle, surtout dans le secteur manufacturier.
« À sa formation en 1999, la zone euro était la plus importante en production industrielle au monde. En 2012, l’Asie représente une part aussi importante de la production industrielle mondiale que les États-Unis et la zone euro combinés. On a rarement vu un changement aussi fulgurant dans l’économie mondiale », dit M. Marion. Selon lui, c’est le concept de mondialisation des marchés mis en place il y a plusieurs années qui a permis cette transformation.
Les marchés du crédit favorisent aussi la croissance mondiale. En 2008, ces marchés étaient nocifs à cette croissance. Les taux obligataires corporatifs et ceux des pays émergents avaient explosé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. « Les taux corporatifs américains sont historiquement bas, tout comme ceux des pays émergents », dit l’économiste en chef de la Banque Nationale.
Les mauvais prêts et l’effondrement du marché résidentiel américain semblent appartenir au passé. La dette européenne prend toutefois le relais pour inquiéter les investisseurs. « Les conditions qui ont créé la crise de 2008 n’existent plus. Ce qui diffère maintenant, c’est la probabilité implicite de défaut des États », dit M. Marion.
Établie à 30 % pour la Grèce en avril 2010, cette probabilité atteint maintenant 100 %, selon les données qu’a tirées l’économiste du marché des swaps de défaillance. Quatre pays européens représentent maintenant un risque égal ou supérieur à celui de la Grèce deux ans plus tôt. L’Italie et l’Espagne affichent une probabilité de défaut autour de 30 %. En Irlande, c’est 40 % et au Portugal, 60 %.
Ce risque a des ramifications dans tout le secteur bancaire européen, dit M. Marion. Après l’ère des mauvais prêts, les banques ont recherché des titres sûrs à leur bilan. « Les banques européennes ont énormément de dettes souveraines dans leurs livres », dit-il.
Pour neutraliser le risque de défaut, les États doivent freiner leur endettement. La dette nette du gouvernement grec représente 165 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Au Portugal et en Italie, elle atteint plus de 100 % du PIB et en France, 81 %. À titre de comparaison, la dette nette du Canada équivaut à 35 % de son PIB. Elle flirtait avec les 80 % en 1995, époque où un risque de tutelle planait sur le pays, rappelle M. Marion.
Selon lui, les États européens doivent redéfinir leur contrat social pour réduire leur dette. « Par exemple, la France dépense 30 % de son PIB en charges sociales. Peut-elle se permettre de maintenir le contrat social intact, alors que la population vieillit et n’a mis aucun sou de côté pour le fonds de pension public? »
Les pays européens devront aussi restructurer un marché du travail dysfonctionnel. Une réforme nécessaire s’ils souhaitent se donner la base de taxation nécessaire pour financer les charges sociales, dit M. Marion. Un grand défi pour ces pays, où moins de 50 % de la population active paient des impôts, souligne l’économiste.
De concert, ces gouvernements doivent mettre des politiques en place pour aider les jeunes. Le taux de chômage frise les 50 % chez les jeunes de 18 à 34 ans en Grèce et en Espagne. Il gravite autour de 30 % au Portugal, en Italie et en Irlande.
M. Marion prévoit donc des bouleversements dans les politiques sociales et une volatilité des taux de change. Les pays émergents apparaissent donc comme une porte salutaire pour l’économie mondiale. Il invite les investisseurs à ne pas sous-estimer le pouvoir de dépenser de ces pays.
Ils ont d’ailleurs égalé cette année la part du PIB mondial que détiennent les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Selon les données de l’organisme, la population de la classe moyenne des pays émergents se dirige vers 3,2 milliards d’individus en 2020. Ils étaient 1,8 milliard en 2009. Leur pouvoir de dépenser s’établissait alors à 4,9 mille milliards de dollars. Il passera à 14,8 mille milliards de dollars en 2020.
Les États-Unis en hausse
Du côté des États-Unis, la situation s’améliore. « Après plus de 16 trimestres, la récession américaine est terminée », dit M. Marion. Bien que leur gouvernement se soit endetté, les ménages américains se sont désendettés. Le ratio des obligations financières des ménages en pourcentage du revenu disponible est passé de 18,8 %, au début de la récession, à moins de 16 % maintenant.
Un changement majeur, estime M. Marion. « Aucun pays ne s’est désendetté aussi vite que les États-Unis, ce qui explique la résilience de la consommation », dit-il.
Pour leur part, les entreprises américaines enregistrent des profits records. Les bénéfices avant impôt ont atteint 13 % du PIB, presque autant que le dernier grand sommet des années 1950.
Le taux d’emploi à temps plein a quant à lui augmenté. Les États-Unis ont enregistré un nombre record de 114 millions de logements occupés à la fin de 2011, soit 2 millions de plus qu’avant le début de la récession. Résultat : les prêts résidentiels croissent de nouveau et il y a rebond dans la construction résidentielle.
Pour toutes ces raisons, M. Marion s’attend à une croissance économique de 2,5 % aux États-Unis en 2012.
Le Canada au beau fixe
La récession a été moindre au Canada grâce à la demande des pays émergents en ressources et matières premières. La demande intérieure demeure quant à elle exceptionnelle, dopée par le marché de l’emploi. « L’économie canadienne a récupéré tous les emplois à temps plein perdus durant la récession », dit M. Marion. Autre facteur capital : le niveau d’investissement des entreprises est aussi revenu à son niveau d’avant récession.
Si tout va si bien au Canada, pourquoi les taux d’intérêts réels demeurent aussi bas? La Banque du Canada a voulu entre autres éviter une appréciation trop grande du dollar canadien. Bien lui en prit : « C’est la première fois de notre histoire que nous vivons une expansion avec des taux réels aussi bas », dit M. Marion. Il ne croit pas que la Banque du Canada haussera les taux avant 2013.
Le Canada demeure aussi l’un des rares pays coté AAA pour sa dette. Il en reste 11. « Le Canada est un aimant pour les banques centrales, car il y a encore très peu de dette canadienne détenue à l’étranger », dit M. Marion. À titre de comparaison, cette proportion est de 70 % en Australie. Le Canada avait frisé ce sommet en 1996.
Le taux d’endettement des ménages canadiens par rapport à leur revenu disponible est plus élevé qu’aux États-Unis? Mauvaise comparaison, dit M. Marion. Ce taux calculé après impôts ne tient pas compte des différences structurelles importantes entre nos deux régimes de santé.
Une fois ajusté aux dépenses de santé, le ratio d’endettement des ménages au revenu disponible est en fait moins élevé au Canada qu’aux États-Unis. Selon les données de la Banque Nationale, il oscille à environ 160 % pour les Canadiens, contre environ 180 % pour les Américains.
Le Canada a aussi connu une augmentation fulgurante du prix des maisons, la plus grosse depuis 2007. Cette augmentation tient à la croissance du segment de population des 20-40 ans, point d’ancrage de l’immobilier résidentiel, souligne l’économiste. Il faudrait, selon M. Marion, une hausse des taux obligataires canadiens de 2 % pour freiner le prix des maisons.
Le stratège en chef de la Banque Nationale modère toutefois les attentes au Canada. Notre croissance sera de 2 % inférieure à celle des États-Unis en 2012. Une première depuis 2005. « Notre croissance sera inférieure à celle des États-Unis dans les prochaines années. Nous n’avons pas eu la même récession qu’eux; nous n’aurons pas la même expansion », dit-il.
Il rappelle par ailleurs l’incertitude que créera la redéfinition du contrat social aux États-Unis en matière de santé, et de sa politique budgétaire. Prudence, donc, avec les actifs risqués au plan tactique. Il faudra aussi prêter une attention particulière à la répartition d’actifs de vos clients. Les travailleurs vieillissent et la cohorte des travailleurs de 55 ans est en forte croissance.