Le cabinet de courtage obtient un jugement par défaut contre trois entreprises, exploitées par le même promoteur immobilier, pour se faire rembourser des primes d’assurance de plus de 145 000 $. Les défenderesses, qui ont dû trouver un nouvel avocat en cours de procédure, voient leur demande en rétractation de jugement être rejetée par la Cour supérieure. 

Paré Assurances et services financiers a institué les procédures contre trois de ses clientes en avril 2024 : Groupe Guy Samson, COS Construction, Place de la cabinetterie. M. Samson est le représentant des trois sociétés.

Selon le Registre des entreprises du Québec consulté par le Portail de l’assurance, les deux premières sont établies à Saint-Jean-sur-Richelieu, l’autre à Montréal. Le siège social du cabinet de courtage est aussi à Saint-Jean-sur-Richelieu.

La demanderesse leur réclame la somme de 145 109,67 $, plus les intérêts, en remboursement de primes qu’elle aurait payées pour leur compte à l’égard de polices d’assurance contractées pour les fins des projets de construction menés par les défenderesses.

En novembre 2024, le cabinet d’avocats qui représentait les trois entreprises visées par la poursuite met fin à son mandat. Le 18 décembre 2024, la demanderesse envoie une mise en demeure aux défenderesses pour qu’elles trouvent de nouveaux avocats dans les 10 jours, comme le prévoit l’article 192 du Code de procédure civile.

Les défenderesses contactent alors le cabinet Robinson Sheppard Shapiro (RSS). Le 9 janvier 2025, elles font parvenir à RSS l’avis de fin de mandat de leurs anciens avocats et la mise en demeure du cabinet. 

Délai inexpliqué 

Pour des raisons inexpliquées, sept semaines s’écoulent. Le 28 février 2025, RSS dépose une réponse au dossier de la cour. Entre-temps, Me Sissi Querido, avocate du cabinet de courtage, n’est pas restée inactive. Le 13 janvier 2025, elle dépose une demande d’inscription pour jugement par défaut.

En recevant la réponse de RSS, dès le 3 mars 2025, elle écrit au procureur des défenderesses pour lui souligner que la greffière spéciale de la Cour supérieure du Québec étudie déjà sa demande et qu’une simple réponse ne suffit plus. D’ailleurs, le 7 mars 2025, un avis de jugement par défaut est inscrit au dossier de la cour. Il est daté du 24 février 2025 et le recours est accordé à la demanderesse pour le plein montant réclamé. 

Me Querido transmet à l’avocat des défenderesses une copie du jugement le 20 mars 2025. Les défenderesses déposent leur demande en rétractation le 11 avril 2025. Après un nouveau délai, l’audition de la demande se déroule devant le juge Patrick Ferland, du district d’Iberville, le 6 août 2025.

Quelques jours auparavant, les défenderesses déposent deux nouvelles procédures, soit un exposé sommaire des moyens de défense et une déclaration assermentée de Guy Samson, qui appuie les allégations de la demande de rétractation. 

Trois critères 

Le jugement, daté du 25 août 2025, donne raison au cabinet de courtage qui contestait la demande de rétractation. Les articles 346 et 347 du Code de procédure civile (C.p.c.) définissent le cadre pour obtenir l’annulation d’un jugement, qui est une exception au principe du caractère irrévocable des jugements. Les conditions pour l’accorder sont strictes, rappelle le tribunal. 

Le pourvoi comporte plusieurs étapes, mais le tribunal dispose d’une certaine latitude pour déterminer s’il entendra la demande en rétractation et, le cas échéant, la demande introductive d’instance à l’origine du litige. Le droit d’une partie d’être entendue est fondamental et il peut avoir préséance sur le principe du caractère irrévocable du jugement. 

La première étape consiste à analyser trois critères. La partie condamnée par défaut doit d’abord respecter la procédure prévue au C.p.c. Ensuite, les allégations de la demande démontrent un motif de rétractation qui semble a priori suffisant. Enfin, les moyens de défense semblent soutenables.

La procédure n’a pas été respectée 

Les autres étapes n’ont pas été analysées par le tribunal, puisque les critères ci-dessus mentionnés n’ont pas été atteints par les défenderesses. Le principal motif au soutien de la demande de rétraction est la négligence des nouveaux avocats, qui ont tardé à notifier et à produire leur réponse au dossier de la cour.

Cet argument n’est même pas contesté par le cabinet de courtage. La demanderesse soutient que le pourvoi n’est pas recevable pour trois raisons : 

  • la demande de rétractation n’a pas été signifiée à la demanderesse, mais uniquement à ses avocats;
  • le délai de 30 jours après avoir pris connaissance du jugement n’a pas été respecté;
  • le pourvoi ne contenait pas les moyens de défense à la demande initiale.

Le juge Ferland donne raison à la demanderesse sur les deux premiers éléments, ce qui justifie le rejet de la demande de rétractation.

À propos de la notification par huissier auprès de toutes les parties au dossier, la règle posée par le législateur est impérative et elle ne laisse place à aucune interprétation, indique le tribunal.

La partie adverse aurait pu renoncer à cette irrégularité, mais dans cette affaire, la demanderesse invoque justement l’absence de signification pour s’opposer à la rétractation. Les défenderesses n’ont pas expliqué ce défaut de signification et n’ont pas tenté de corriger cette irrégularité.

À propos du délai de rigueur, il n’a pas été respecté et les défenderesses ne font valoir aucun motif qui justifierait de le prolonger. Certes, le nouvel avocat des défenderesses n’a obtenu copie du jugement que le 20 mars 2025, mais il était au courant du jugement depuis le 10 mars 2025, le jour où il dit avoir consulté le dossier de la cour au plumitif. 

La mention au dossier de la cour est d’ailleurs sans équivoque. Le jugement par défaut a été accordé et il mentionne le montant réclamé. La preuve n’indique pas non plus de manière explicite à quel moment les avocats des défenderesses ont pris connaissance de l’existence du jugement par défaut. 

Malgré le flottement de la preuve, même en admettant que le délai de 30 jours ait commencé à courir le 10 mars 2025, il a pris fin le 9 avril 2025. Le pourvoi en rétractation n’a été notifié que le 11 avril 2025. 

Cependant, le délai peut être prolongé si la partie condamnée démontre qu’elle était dans l’impossibilité de déposer son pourvoi dans le délai requis. Or, les défenderesses ne font état d’aucun motif qui expliquerait ce non-respect du délai de 30 jours. 

Les défenderesses disent avoir agi avec diligence, mais leur démonstration ne porte aucunement sur leur comportement durant cette période critique entre le 10 mars et le 9 avril 2025. « On est loin ici d’une situation où une partie se retrouverait tout à coup prise au dépourvu par l’annonce qu’un jugement a été rendu contre elle dans une affaire dont elle ignore tout », écrit le juge Ferland. 

Les défenderesses connaissaient la nature de la poursuite, instituée en avril 2024. Dès le 3 mars 2025, leurs avocats savaient qu’une demande d’inscription par défaut a été déposée et que le dossier était sous analyse. Les défenderesses n’ont pas présenté d’explications justifiant ces délais. 

« Il ne revient pas au tribunal de suppléer à cette absence de preuve et d’explications. Dans de telles circonstances, le tribunal ne peut que constater le non-respect des conditions impératives posées par le Code de procédure civile et rejeter la demande de rétractation des défenderesses », estime le juge Ferland. 

Dernier motif 

Concernant le troisième motif soumis par la demanderesse pour contester la rétractation, le tribunal ne l’analyse pas en profondeur, mais il souligne que ce manquement n’aurait pas suffi à rejeter le pourvoi.

Le tribunal doit simplement s’assurer que les moyens de défense ne sont pas frivoles. Cela évite la tenue d’un débat judiciaire inutile lorsque la partie condamnée n’a pas de véritable défense à opposer à l’action.

Dans cette affaire, les moyens de défense étaient déjà au dossier depuis le 27 septembre 2024 et avaient été consignés par les anciens avocats des défenderesses. Les défenderesses y contestaient la valeur des dommages réclamés tout en faisant des reproches au courtier quant à ses obligations de conseil sur les produits d’assurance offerts.