Les Canadiens en attendent davantage des assureurs. Selon la firme d’experts-conseils Ernst & Young, les assureurs devront innover pour satisfaire les besoins de leurs clients. S’ils n’orientent pas leur modèle d’affaires en ce sens, ils se feront damer le pion par ceux qui prendront le virage de l’innovation. Ces conclusions proviennent d’un sondage réalisé auprès de 24 000 consommateurs répartis dans 23 pays, intitulé Voice of the customer : Time for insurers to rethink their relationships. Plus de 5 000 répondants résident en Amérique du Nord, dont plus de 1 000 au Canada. Ernst & Young a comparé les attentes des consommateurs canadiens à celles des consommateurs mondiaux.

bergeron_michel_articleMichel Bergeron et Walter Rondina, respectivement leadeur des services financiers et chef d’équipe sénior, services consultatifs, chez Ernst & Young à Montréal, en ont présenté l’analyse lors du Congrès 2012 de l’assurance et de l’investissement. Le Journal de l’assurance s’est aussi entretenu avec M. Bergeron, en préambule de l’évènement.

Les deux hommes ont tenu à démystifier un premier mythe, soit que les consommateurs n’ont pas confiance envers les assureurs. Les Canadiens accordent une note de confiance de 7,3 sur 10 aux assureurs de personnes. C’est le plus faible résultat dans les Amériques (7,7 aux États-Unis; 7,6 au Mexique; 7,5 au Brésil; pour une moyenne de 7,5). C’est toutefois mieux qu’en Europe (7) et en Asie-Pacifique (6,8).

« Dire que les consommateurs n’ont pas confiance aux assureurs n’est pas totalement vrai. Ils sont neutres. Ce n’est pas nécessairement positif, mais il n’y a pas de perspective négative généralisée. La bonne nouvelle est qu’ils ont confiance dans le produit et le secteur. Les assureurs ne sont pas vus comme des politiciens », dit M. Rondina.

Selon le sondage, moins de 3 consommateurs canadiens sur 10 (28 %) affirment que leur assureur vie fait des efforts pour garder sa clientèle. C’est mieux qu’au Mexique (19 %) et aux États-Unis (12 %), mais loin de ce qui se fait au Brésil (64 %).

« Les tendances que l’on voit dans les autres industries s’en viennent en assurance. On voit que les gens veulent des programmes de loyauté, comme les points qu’on peut accumuler chez Air Canada ou Metro. Le secteur bancaire a déjà pris ce virage. En assurance, il n’y en a pas. Pourtant, le consommateur veut être loyal. Pourquoi ne pas offrir ce genre de programme, alors? Il y en a un peu en assurance de dommages, mais on voit que les assureurs ne sont pas encore rendus là », dit-il.

Autre constat mentionné dans l’analyse des résultats du sondage : les assureurs vie se fient à leur réseau d’intermédiaires pour savoir ce que le consommateur veut. Ont-ils raison, si l’on considère que 8 Canadiens sur 10 disent vouloir interagir avec un humain lorsque vient le temps d’acheter un produit d’assurance?

« Il ne faut pas oublier que le consommateur veut comparer. Il veut aussi le faire avec des bases de données externes. Si quelqu’un veut rechercher de l’information sur un produit d’assurance vie sur les réseaux sociaux, il ne trouvera rien. C’est pour cela que nous affirmons que les intermédiaires ne doivent pas être sa seule source d’information. Les compagnies qui seront à l’affut pour aller chercher ces informations seront en avance sur les autres », dit M. Bergeron.

M. Rondina croit que la proportion de gens qui ne désireront plus de contact humain ira en augmentant dans le futur. « Est-ce que les assureurs seront prêts à vendre des produits à des personnes qui se considèrent autonomes? Leur produit est-il assez simple pour cela? Leurs actuaires peuvent penser que oui, mais ce n’est peut-être pas le cas. Ils doivent se questionner », dit-il.

M. Bergeron cite aussi le cas des banques. « Il y a dix ans, on croyait qu’il n’y aurait plus de contact humain dans les banques et que tout se passerait par le service en ligne. Ce n’est pas ce qui est arrivé. Les consommateurs voulaient ce contact humain, bien qu’il y ait eu une explosion de l’automatisation des services », dit-il.

Intermédiaire inutile?

Ça ne veut pas dire que l’information qu’apporte l’intermédiaire en assurance vie sera inutile, dit M. Bergeron. « Même si le consommateur regarde par lui-même pour comparer les produits, il a tendance à vouloir revalider ses perceptions. S’il veut magasiner un voyage, il ira sur TripAdvisor. Il n’ira pas sur le site de la compagnie d’aviation pour acheter son billet. Le canal peut être adapté dans le futur. Les assureurs devront donc étudier leur stratégie par canaux », dit-il.

Autre preuve, selon M. Bergeron, que les assureurs vie ne s’enquièrent pas assez des besoins des consommateurs : seuls 15 % des Canadiens disent avoir acheté plus d’un produit chez un assureur vie. L’incitatif est mis pour vendre le produit une fois. Pourtant, le besoin du client va changer avec le temps. « Néanmoins, le sondage démontre que l’assureur n’est pas bon pour reconnecter avec lui », dit-il.

M. Bergeron reconnait qu’apprendre à connaitre ses clients peut sembler facile, mais qu’il s’agit là d’un puzzle complexe. « Pour faire des ventes croisées, il faut un client qui a déjà un produit avec nous. Ensuite, il faut faire l’effort de voir ce dont il a besoin. Par après, on doit penser comment lui vendre. Les assureurs n’ont pas cette connaissance, car ils ne sont pas proactifs », dit-il.

« Pour réaliser des ventes croisées, il faut rencontrer les gens. On le voit en assurance de dommages, le client préfère acheter du même assureur. On voit une différence de perception. C’est une belle occasion pour les assureurs », dit-il. C’est pourquoi il demande aux assureurs d’investir pour aller chercher cette information plus précise, qui vise à connaitre son client. Selon lui, les assureurs devront aussi revoir leurs canaux de distribution et leur façon de vendre. M. Bergeron précise qu’il ne veut pas critiquer le travail des intermédiaires en assurance. Il dit plutôt qu’il s’agit d’une critique de leur proactivité.

« Seul le quart des gens nous ont dit que les assureurs font des efforts pour conserver leur clientèle. Il devrait y avoir plus de proactivité de l’intermédiaire. Toutefois, il a peut-être besoin de plus d’information pour l’être », dit-il.

Il donne en exemple le modèle de General Motors (GM). « On peut y choisir son modèle de véhicule sur Internet et ensuite aller voir le concessionnaire. Le manufacturier peut ensuite moduler cette information. Si le client veut faire un comparatif, GM va s’assurer d’être présent sur le Web pour soutenir la comparaison face au modèle de Ford », dit-il.

À cet effet, il dit voir des assureurs mettre sur pied des divisions ciblées. « Ça ira jusqu’à engendrer une concurrence entre les réseaux. Ça touchera aussi la tarification de ces réseaux. La demande des gens est là. Plus la population est jeune, plus elle a tendance à vouloir acheter sur Internet. L’augmentation qu’on voit se poursuivra. La difficulté des assureurs sera de conserver les deux réseaux. Ils devront moduler leur offre », dit-il.

M. Bergeron dit toutefois croire que les intermédiaires et Internet vont cohabiter. « Les assureurs doivent avoir les deux. Ils doivent offrir un service personnalisé aux gens, mais aussi être présents sur Internet. On le voit en assurance de dommages. Ils sont prêts à magasiner en ligne, mais veulent parler à quelqu’un lors d’une réclamation », dit-il.

Risque de disparaitre

Qui seront les gagnants dans ce contexte en évolution? Les assureurs qui orienteront leur modèle d’affaires vers le client, dit M. Bergeron. «  Ceux qui ne bougent pas courent le risque de disparaitre, car ils ne seront pas capables de revenir au niveau où ils étaient. C’est encore plus vrai en assurance de dommages, qui est une industrie plus fragmentée. Ceux qui ne feront pas évoluer leur modèle vont devenir des cibles pour les autres », dit-il.

Il dit aussi ne pas croire que les Wal-Mart, Google ou Amazon puissent venir menacer les assureurs, à court terme. « On n’est pas rendus là. La même chose est vraie à l’international. Ça ne se fera pas dans les prochains mois. C’est une menace pour les prochaines années », dit-il.

M. Bergeron dit aussi que les assureurs qui ont une niche doivent la conserver. C’est plutôt la façon dont ils traitent leurs clients qui devra être revue.

« L’assureur de niche devra trouver le bon canal de distribution. S’il vend de l’assurance agricole, il doit voir comment il joint les agriculteurs. Il ne faut pas changer la stratégie de l’entreprise. Toutefois, s’il est éparpillé avec de l’information partout, il ne touche pas sa clientèle cible. C’est ce qui rend l’exercice difficile. Ça nécessite une réflexion », dit-il. M. Bergeron souligne toutefois que les assureurs ne sont pas pressés de revoir leur stratégie quant aux canaux qu’ils utilisent. Aux six mois, Ernst & Young envoie un questionnaire à des PDG en assurance pour mesurer les orientations qu’ils prennent. La dernière édition de ce baromètre des PDG en assurance au Canada révèle qu’ils sont 18 % à regarder les possibilités que pourraient leur procurer de nouveaux canaux de vente. Il n’y en a toutefois aucun qui cherche quelles nouvelles technologies adopter pour aller en ce sens. « Ils veulent y aller, mais il n’y a pas d’urgence de le faire », dit M. Bergeron.

L’importance du prix

Malgré tous les efforts que peuvent fournir les assureurs pour mieux connaitre leurs clients, le prix demeure un argument important. Selon le sondage d’Ernst & Young, 6 personnes sur 10 ayant acheté une police d’assurance de dommages dans les Amériques affirment que le prix est un facteur qui influence leur choix d’assureur. La proportion est semblable au Canada.

« On voit néanmoins qu’il y a d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Les gens veulent faire affaire avec quelqu’un de connu, qui offre une qualité de service correct. Ils seront aussi moins tentés d’appeler un nom qu’ils ne connaissent pas. Ils vont appeler les trois ou quatre noms qu’ils connaissent. Toutefois, à la fin, le prix demeure un facteur important », dit M. Bergeron.

Le problème des ventes croisées est aussi une préoccupation en assurance de dommages, dit-il. Il donne comme modèle à suivre celui des banques, qui ont investi massivement dans leurs bases de données au cours des dernières années. « Elles ont maintenant des logiciels performants pour connaitre leurs clients. Les assureurs vont focaliser sur ce point dans le futur. Une fois qu’ils auront l’information en main, la stratégie devient plus facile à définir. Tu connais alors les habitudes de tes clients et tu peux cibler des canaux. Ce n’est toutefois pas un projet qui se fait en quelques mois. L’information n’est pas programmée d’avance dans les systèmes pour cibler ce dont tu as vraiment besoin », dit-il.

Les assureurs orientent plus cette collecte d’information vers la facturation, dit M. Bergeron. Ce n’est pas orienté vers la catégorie d’âge, qui peut ensuite être recroisée en fonction des produits. Ce type d’information se trouve souvent dans trois systèmes différents », dit-il.

M. Bergeron dit que cette information pourrait permettre aux assureurs de dommages d’économiser plusieurs dollars. « L’industrie vit avec un taux d’attrition de 10 % par année. Ça peut être vu comme un bon signe de perdre seulement 10 % de ta clientèle par année. Toutefois, si tu ne fais rien, ça fait beaucoup de clients perdus au bout de quelques années », dit-il.

Par ailleurs, 8 consommateurs canadiens sur 10 (83 %) disent avoir eu peu ou pas de contacts avec leur assureur avant le renouvèlement de leur contrat d’assurance. Les assureurs peuvent toutefois profiter de la paresse de ceux-ci : 66 % d’entre eux disent ne pas avoir l’intention de changer d’assureur au cours des 5 prochaines années. La même chose se produit en assurance de personnes.

« Dans un tel contexte, un assureur doit-il se focaliser sur la rétention?, soulève M. Rondina. En ne faisant pas grand-chose, le client reste avec nous. Peut-on se permettre de les ignorer? Le secteur de l’assurance de personnes est un peu à la traine. On voit les autres industries évoluer plus rapidement. On voit que le secteur a un modèle de livraison qui fonctionne, mais qui ne bouge pas aussi vite que les autres. »

En assurance de dommages, M. Bergeron ajoute que le client pense à changer de fournisseur surtout lorsque sa situation change. « S’il s’achète une plus grosse maison et que son assureur lui sort un prix qui n’a pas de sens parce qu’il n’a pas la bonne information, il va aller voir ailleurs. Perdre 10 % de clients par année peut sembler peu, mais combien va-t-il dépenser pour aller chercher de nouveaux clients? C’est aussi ce cout qu’il faut considérer », dit-il.