L’industrie de l’assurance avait réussi à éviter les turbulences liées à la crise du crédit, amorcée au début de l’année 2008. Cette immunité a pris fin les 15 et 16 septembre dernier avec les chutes successives de Lehman Brothers et American International Group (AIG). L’industrie de l’assurance, tant au Canada que sur le reste de la planète, doit maintenant composer avec la crise et les turbulences qui l’accompagnent.

Le plus grand assureur au monde aura été le premier à être touché par la crise. La Réserve fédérale américaine – l’équivalent de la Banque du Canada – a sauvé AIG de la faillite en lui prêtant plus de 85 milliards de dollars (G$) américains. AIG a accès à ces liquidités pendant deux ans. En contrepartie, la Réserve fédérale américaine est maintenant propriétaire de 79,9 % des actions d’AIG.

Les problèmes d’AIG et de Lehman Brothers ont eu un effet domino dans toute l’industrie. Les assureurs ont tour à tour présenté leur exposition dans les sociétés en difficulté. Certains assureurs ont aussi rapporté des expositions dans les banques en difficulté

Washington Mutual et Wachovia. De son côté, la banque d’investissements Merrill Lynch a été reprise par Bank of America. De plus, le Federal Bureau of Investigation (FBI) a annoncé avoir amorcé une enquête sur les firmes en difficulté et leurs dirigeants.

La Réserve fédérale américaine et le Trésor américain ont aussi présenté un plan de sauvetage de 700 G$US pour soutenir les entreprises financières en difficulté. Après en être venu à une entente de principe le 27 septembre, le Congrès américain a rejeté le plan le 29 septembre. Le Congrès l’a finalement appuyé le 1er octobre. La Chambre des représentants l’a ensuite approuvé le 3 octobre.

Le plan prévoit que le gouvernement injecte 250 G$US immédiatement dans les entreprises en difficulté. Un montant de 100 G$US pourra être ajouté à la discrétion de la Maison-Blanche. Le Congrès pourra ensuite approuver l’octroi d’une dernière tranche de 350 G$US. Le gouvernement pourra revendre les titres hypothécaires à risque pour récupérer ses investissements. Le plan prévoit que le salaire des dirigeants des institutions financières dans lesquelles le gouvernement investit soit limité à 500 000 $US. Des allègements fiscaux pour la classe moyenne et les entreprises sont aussi prévus. Une caisse d’assurance pour les titres hypothécaires à risque sera créée et sera financée par les institutions financières. Finalement, une hausse de l’assurance-dépôts est prévue au plan. Elle passera de 100 000 $ à 250 000 $.

Au Canada, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a annoncé qu’elle interdisait la vente à découvert de titres de certains émetteurs du secteur financier inscrits à la Bourse de Toronto, ainsi que ceux transigés aux États-Unis. Cette décision suit celles de la Securities and Exchange Commission (États-Unis) et de la Financial Services Authority (Royaume-Uni), qui ont pris des mesures similaires. Au Québec, l’Autorité des marchés financiers a aussi rendu une ordonnance à cet effet, par l’entremise du Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières.

Expositions

La Financière Manuvie a rapporté une exposition d’environ 1,4 G$. L’assureur avait investi 395 millions de dollars (M$) chez Lehman Brothers et 374 M$ chez AIG. Manuvie a aussi rapporté des expositions de 600 M$ chez Wachovia et de 41 M$ chez Washington Mutual. L’assureur inscrira diverses charges à ces résultats du troisième trimestre. Manuvie possède des actifs de 164 G$.

Dominic D’Allessandro, PDG de la Financière Manuvie, a envoyé une lettre aux clients de l’assureur et à sa force de vente pour les rassurer. Le Journal de l’assurance a obtenu une copie de cette lettre. M. D’Allessandro y affirme que l’exposition de Manuvie est minime et soutient que l’assureur a toujours été prudent dans ses stratégies d’investissement.

« Nous avons aussi l’une des plus fortes capitalisations de l’industrie des services financiers. Cela nous donne un bon coussin pour absorber les événements les plus calamiteux qui pourraient secouer les marchés financiers », dit-il.

De son côté, la Financière Sun Life a révélé une exposition totale de 919 M$. L’assureur a investi 334 M$ dans Lehman Brothers, 315 M$ dans AIG, et 270 M$ dans Washington Mutual. Sun Life inscrira une charge à cet effet dans ses résultats du troisième trimestre. L’assureur compte des actifs de 100 G$.

À la Financière Great-West, l’exposition est de 450 M$. L’assureur a placé 101 M$ chez Lehman Brothers et 347 M$ dans AIG et ses filiales. L’assureur a aussi rapporté une exposition de 2,1 M$ chez Washington Mutual. Great-West possède un portefeuille de 161 G$. L’assureur inscrira une charge à cet effet dans ses résultats du troisième trimestre.

Deux autres assureurs ont rapporté des expositions au Canada. En assurance vie, l’Industrielle Alliance avait investi 15 M$ dans AIG. En assurance de dommages, Kingsway a annoncé avoir investi près de 30,25 M$ dans différentes filiales d’AIG et 17 M$ dans Lehman Brothers, pour un total de 47,25 M$.

Ailleurs dans le monde, l’assureur AEGON a rapporté une exposition totale de 390 millions d’euros (M€). L’assureur avait investi 265 M€ dans Lehman Brothers et 125 M€ dans Washington Mutual. L’assureur hollandais dit disposer de liquidités de 1,8 G€ pour faire face à la crise.

De son côté, ING Groep s’attend à subir une perte de 100 M€. L’assureur hollandais avait investi 200 M€ dans des obligations et produits dérivés de Lehman Brothers.

Le Groupe AXA a annoncé avoir investi 300 M€ dans Lehman Brothers et 150 M€ dans AIG. L’exposition totale de l’assureur français est de 450 M€. Le Groupe AXA possédait 0,05 % du capital de Lehman Brothers et 0,02% d’AIG.

Chez Aviva, ce sont 270 millions de livres (M£) qui ont été investis chez Lehman Brothers. L’assureur britannique a aussi investi 148 M£ chez AIG, en plus d’être exposé en assurance, en réassurance et dans diverses filiales du groupe, mais à un degré moindre. L’exposition totale d’Aviva est de 418 M£.

De son côté, Zurich Financial a déclaré des expositions de 615 M$US dans trois institutions financières américaines. L’assureur suisse avait investi 295 M$US dans Lehman Brothers, 275 M$ dans Sigma Financial, firme qui a déclaré faillite le 1er octobre, et 45 M$US dans Washington Mutual.

Les réassureurs sont aussi affectés par la crise.

Munich Re a investi environ 350 M€ dans Lehman Brothers. De son côté, Swiss Re a une exposition totale de 223 M$US. Le réassureur compte 178 M$US chez AIG et 45 M$US chez Lehman Brothers. Le réassureur suisse a aussi indiqué qu’il était le réassureur de certaines entités d’AIG.

Partner Re a rapporté une exposition de 110 M$US chez Lehman Brothers. De son côté, Aspen Re en rapporte une de 38 M$US chez Lehman Brothers. Hannover Re a aussi rapporté une exposition de 23 M€ à Lehman Brothers.

De son côté, RGA a une exposition totale de 86,3 M$US, avec des investissements de 55,9 M$US chez AIG et de 30,4 M$US chez Lehman Brothers. Le réassureur américain compte inscrire une charge à cet effet dans ses résultats du troisième trimestre.

(NDLR : au moment de mettre sous presse, un dollar américain valait 1,10 dollar canadien, un euro valait 1,49 dollar canadien et une livre anglaise valait 1,91 dollar canadien.)

Conséquences futures

Est-ce que d’autres conséquences pourraient survenir au Canada? Selon le récent rapport sur l’assurance vie de la firme de notation A.M. Best, 62 % des investissements faits par les assureurs vie au Canada l’ont été dans des obligations et débentures, contre 17 % dans des prêts hypothécaires. A.M. Best affirme toutefois que cette dernière tranche d’investissement est très peu exposée à la crise du crédit.

Cependant, 39 % des investissements des assureurs vie canadiens dans des obligations et débentures ont été investis dans le secteur financier, dans des titres semblables à ceux de Lehman Brothers et AIG. A.M. Best note aussi que les trois grands joueurs de l’industrie (Manuvie, Sun Life et Great-West) ont une « exposition significative » au marché américain. De plus, l’exposition des assureurs vie canadiens dans les obligations américaines est passée de 23 à 27 % de 2006 à 2007. C’est d’ailleurs le seul secteur dans lequel les assureurs vie ont augmenté leur exposition au cours de la dernière année.

Par ailleurs, A.M. Best a revu à la baisse la perspective quant à leur développement des compagnies d’assurance vie américaines. Elle passe de stable à négative. A.M. Best affirme que l’incertitude qui entoure la situation actuelle du marché la pousse à revoir la perspective du marché de l’assurance vie aux États-Unis. La firme de notation s’attend toutefois à ce que les compagnies d’assurance vie américaines passent au travers de la crise, même si à moyen terme, il devrait y avoir plus d’assureurs vie qui affichent une perspective négative que de compagnies qui en affichent une positive.

En assurances de dommages, A.M. Best croit qu’AIG restera un joueur important aux États-Unis. La firme de notation croit que les assureurs de dommages américains auront de la difficulté à trouver de l’argent par le biais du crédit et des marchés de capitaux. A.M. Best note que les assureurs ont réussi à gérer le tout individuellement, mais qu’ils entrent dans une zone moins sécuritaire.

Quant aux polices d’AIG en assurance de dommages, la firme de notation s’attend à ce que l’assureur en perdent certaines à court terme. La firme de notation ajoute que des compétiteurs sont déjà en train d’identifier des détenteurs de polices d’AIG qui iraient bien dans leur portfolio.