Dès cette année, les conseillers financiers doivent s’attendre à voir un nombre croissant d’assureurs de personnes leur réclamer qu’ils dévoilent par écrit aux consommateurs les liens d’affaires qui les unissent. Ces compagnies espèrent ainsi éviter que les organismes réglementaires leur imposent les règles du jeu.Cette tendance prendra de l’ampleur en 2006 ont révélé des dirigeants de Canada Vie, Groupe financier Empire et Desjardins sécurité financière (DSF), lors du Congrès de l’assurance et de l’investissement, qui s’est déroulé à Montréal, en novembre dernier.
Ce faisant, ces assureurs ont décidé de suivre les recommandations en matière de divulgation émises par l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP), en août dernier. Cinq points sont au programme.
Au premier chef, les représentants en assurance de personnes devront dévoiler à leurs clients les noms des institutions financières avec lesquelles ils font affaires.
Ils devront aussi révéler la nature des liens qui les unissent aux compagnies d’assurance. Les représentants devront également indiquer aux clients s’ils sont rémunérés, ou non, à la commission. Ils ne sont toutefois pas tenus d’en divulguer le montant.
Les représentants devront aussi dévoiler s’ils touchent une rémunération non monétaire, qui leur donne la possibilité de gagner des voyages ou de se qualifier à des congrès d’assureurs.
Enfin, les conflits d’intérêts potentiels entre les intérêts des représentants et ceux des clients devront être signifiés aux consommateurs.
Chacun de ces éléments devra faire l’objet d’une déclaration écrite, tel que le prévoit une récente législation canadienne. Aucun formulaire uniforme de divulgation n’a toutefois été élaboré par l’industrie. Chaque représentant pourra utiliser les modèles de lettres mis à sa disposition par les assureurs. Ils pourront aussi les adapter au besoin.
Canada Vie travaille activement à mettre sur pied sa propre méthode de divulgation des pratiques d’affaires. Celle-ci sera en œuvre au cours de 2006, a affirmé Phil Marsillo vice-président principal distribution individuelle de l’assureur, lors du Congrès.
M. Marsillo partageait la tribune avec ses collègues, Les Herr, vice-président à la distribution et stratégie en assurance individuelle chez Groupe financier Empire, et Denis Berthiaume, premier vice-président en assurance aux particuliers, chez Desjardins Sécurité financière et président des Services financiers SFL.
Canada Vie rencontrera dès les premiers jours de la nouvelle année nombre d’agents généraux à ce sujet, a affirmé Phil Marsillo. « Nous voulons être certains que nous sommes tous sur la même longueur d’onde, a souligné M. Marsillo. Nous voulons leur donner les outils nécessaires pour qu’ils soient bien préparés. »
La société mère de Canada Vie, Great-West, fait toutefois de cet exercice de divulgation une exigence. Au cours des derniers mois, Great-West a fait parvenir à ses représentants une lettre à cet effet, dont le Journal de l’assurance a obtenu copie.
« Vous devez intégrer la lettre de divulgation à vos affaires d’ici la fin de l’année financière 2006, peut-on y lire. Vous êtes tenu de conserver, dans les dossiers des clients à qui vous avez procuré des produits de la Great-West, les lettres de divulgation des renseignements que vous avez rédigées. »
« Nous travaillons à mettre un processus de divulgation sur pied. Nous n’avons pas encore déterminé de date, mais il sera en place au cours de 2006. Ça c’est sûr! », a avancé de son côté Denis Berthiaume, de DSF. Cette initiative découle des discussions que nous avons tenues au sein de l’ACCAP, a-t-il précisé.
« Pour l’instant, nous examinons des manières de faire qui seront cohérentes avec celles adoptées par le reste de l’industrie, ajoute M. Berthiaume. Par exemple, il faut une cohérence au niveau des formulaires de divulgation. Nous voulons éviter d’être plus sévères que d’autres assureurs. »
« La question des incitatifs de vente, c’est-à-dire le fait que des représentants puissent se qualifier à des promotions, posait un grand problème au sein de l’industrie. Nous avons donc tenu à agir rapidement là-dessus », a-t-il dit.
Le Groupe financier Empire a aussi fait parvenir aux représentants, au cours des derniers mois, l’information nécessaire relativement à ce qui doit être divulgué, a affirmé Les Herr, le vice-président à la distribution, et stratégie en assurance individuelle. « La divulgation n’est pas quelque chose de nouveau. Cela fait plusieurs années que nous en entendons parler. Mais les représentants doivent commencer à réaliser qu’il est désormais de leur devoir et obligation de faire cette divulgation conformément à certains critères », a expliqué au Journal de l’assurance M. Herr.
Empire publiera d’ailleurs sous peu un article dans son journal destiné aux représentants. Il montrera l’importance de se plier à cet exercice de divulgation.
Le président de l’organisme Independent Financial Brokers of Canada (IFBC), David Barber, salue l’initiative des assureurs. Il est d’avis que l’ensemble des représentants en assurances de personnes adhèreront de bon gré à cette procédure de divulgation.
M. Barber souligne d’ailleurs que l’industrie a toujours été assujettie à l’obligation de divulguer les liens d’affaires aux consommateurs en vertu de la Loi canadienne sur les assurances.
Il déplore toutefois qu’aucun effort n’ait été déployé plus tôt par l’industrie en vue de s’y conformer. À cet effet, le président de l’IFBC ajoute que de récents changements législatifs, qui exigent désormais que cette divulgation soit écrite, et non plus verbale, ont poussé l’industrie à se donner les moyens de respecter la loi.
Éviter les conditions imposées
En adoptant ses propres normes, l’industrie ne cache d’ailleurs pas qu’elle cherche ainsi à éviter que les autorités réglementaires lui imposent leurs règles du jeu. Cela aurait pour effet d’augmenter la charge réglementaire et d’entraver son développement, craint-on.
« Les représentants ne doivent pas voir dans nos intentions une intrusion dans leurs pratiques d’affaires, poursuit Les Herr, de Canada Vie. Il leur faut prendre conscience que nos normes de divulgation sont moins rigides que ce les organismes de réglementation pourraient imposer. »
« C’est sûr que nous préférons agir par nous-mêmes plutôt que de voir l’Autorité des marchés financiers (AMF) légiférer à ce sujet », convient Denis Berthiaume de DSF. On cherche ainsi à éviter que se produise le même scénario que dans le secteur de l’assurance de dommages au Québec, où l’AMF est récemment intervenue.
L’Autorité mène d’ailleurs toujours son enquête dans le secteur de l’assurance de personnes au Québec. L’organisme a fait parvenir un autre questionnaire à cet effet à plusieurs assureurs en novembre.
L’industrie a pris sur elle la responsabilité de se donner des moyens adéquats pour procéder à une divulgation en bonne et due forme, fait valoir Terri DiFlorio, présidente de Hub Financial, un agent général pancanadien.
« Je crois fermement que si nous n’agissons pas dans le sens des suggestions de l’ACCAP, les autorités réglementaires risquent de nous imposer leurs règles, avance Mme DiFlorio. Et si c’est le cas, cela risque d’être beaucoup plus onéreux. »
Depuis décembre 2004, dans la foulée de la croisade du procureur général de l’état de New-York, Eliot Spitzer, pour assainir les pratiques d’affaires aux États-Unis, l’ACCAP s’est penchée sur les pratiques en vigueur au Canada.
Selon l’ACCAP, ces exigences ont pour but d’accroître la confiance des consommateurs envers l’industrie de l’assurance de personnes, qui a été fortement ébranlée à la suite de la prolifération de scandales dans certains secteurs financiers ces dernières années.
Claude Di Stasio, vice-présidente adjointe de l’ACCAP, se réjouit d’ailleurs de voir que des assureurs entendent suivre les recommandations de l’organisme.
Des points en suspens…
En dépit du consensus sur la nécessité de dévoiler ses pratiques d’affaires aux consommateurs, des points demeurent en suspens.
Ainsi, assureurs et agents généraux ne sont pas arrivés à s’entendre sur la responsabilité et le rôle de chacun quant aux contrôles à exercer pour s’assurer que les conseillers s’acquittent de leur devoir.
Selon Phil Marsillo, de Canada Vie, c’est aux agents généraux de veiller à ce que les représentants remplissent ce devoir. Pourquoi? « Parce que ce sont eux qui sont en contact étroit avec les représentants, qui transigent avec eux sur une base régulière. »
La présidente de Hub Financial, Terri DiFlorio, qui siège au conseil de l’association des agents généraux du Canada, Canadian Association of Independent Life Brokerage Associations (CAILBA), voit cependant les choses d’un tout autre œil.
Mme DiFlorio explique que CAILBA analyse plusieurs scénarios quant à l’instauration d’un mécanisme de surveillance. « Nous croyons que c’est aux assureurs de jouer le rôle de surveillance et de joindre un formulaire de divulgation à même le formulaire de la police d’assurance », dit-elle.
Si un formulaire de divulgation était ainsi inclus, la signature du client servirait alors de preuve à l’effet que le représentant a bien fait son travail, explique Mme DiFlorio. « Une autre option consiste à inclure un formulaire dans la section du document où les représentants indiquent avoir fait une divulgation convenable », ajoute-t-elle.
Pour Phil Marsillo, pas question de joindre un pareil formulaire aux polices d’assurance de Canada Vie. Du moins pas pour le moment, dit-il. Du côté d’Empire et de Desjardins sécurité financière, on ignore de quelle manière sera faite une éventuelle inspection des pratiques d’affaires.
« Une chose est certaine, dit M. Herr, quelqu’un devra s’occuper du contrôle de cette procédure. Ce sera soit les assureurs ou les agents généraux. Mais quelqu’un devra s’en occuper!»