Les assureurs multiplient les initiatives pour faciliter la souscription de l’assurance vie. Actuaires et tarificateurs s’allient aux statisticiens pour prédire qui sera ou non un assuré à risques. Examens et prises de sang deviennent choses du passé.

L’analyse des métadonnées a permis aux assureurs d’alléger la souscription des risques d’assurance et de raccourcir les délais d’émission des polices d’assurance vie. Des banques de données publiques comme Statistique Canada, ou privées comme Groupe MIB, une coentreprise de l’industrie qui collige l’information médicale récoltée entre autres dans les propositions d’assurance, sont mises à contribution pour construire une boule de cristal qui permettra de rendre la sélection des risques moins intrusive.

Plusieurs assureurs ont pris cette voie : Manuvie, Financière Sun Life, Co-operators, Humania Assurance et iA Groupe financier en sont quelques-uns. Fin des prises d’échantillon, élimination de tests de santé comme des électrocardiogrammes, élargissement des limites de couverture, ainsi qu’admissibilité d’assurance pour les personnes atteintes du VIH sont quelques-unes des avenues retenues par ces assureurs.

Et la tendance se poursuit, car elle rapporte. Kim Oliphant, vice-présidente, ventes et markéting, d’Humania a révélé que le pourcentage des clients qui souscrivent une protection complémentaire d’assurance maladies graves ou d’invalidité dettes sur sa plateforme de sélection automatisée HuGO est de 13,48 %. « Depuis le lancement à l’automne, nous sommes à 250 % de notre objectif. C’est un départ canon ! »

Jusqu’où repousser les limites ?

PDG de Groupe MIB, Lee Oliphant a révélé que les assureurs font usage de ses bases de données pour savoir jusqu’où ils peuvent repousser les limites. « Déceler les fumeurs est une des plus grandes préoccupations. Le recours à des analyses prédictives, à des moteurs de tarification analytique et aux métadonnées permettra aux assureurs d’éliminer les tests de détection de l’usage de tabac en laboratoire pour certains montants d’assurance vie. »

Manuvie a confirmé utiliser les données du MIB, et bien d’autres. « Notre équipe d’analytique réalise de nombreuses recherches médicales qui nous permettent de modifier nos directives de tarification. Cette équipe a aussi développé des outils d’analyse prédictive fondés, entre autres, sur les données de Statistique Canada et de MIB. Ces données nous ont permis de prédire la mortalité associée au VIH et de couvrir cette condition, mais aussi de rehausser de 250 000 $ à un million de dollars (1 M$) la limite sous laquelle un client de 18 à 40 ans peut s’assurer sans fournir d’échantillons de fluides corporels et de sang pour certains produits », dit Karen Cutler, vice-présidente et tarificatrice en chef de l’assurance individuelle et des marchés d’affinités de Manuvie.

En plus de données externes, l’assureur utilise ses propres données. « À partir des données colligées de nos propositions pendant plusieurs années, et qui représente l’équivalent d’un demi-million de vies, nous avons construit un modèle qui prédit l’usage du tabac et cerne les fumeurs potentiels. Nous avons découvert qu’un peu moins de 2 % de gens ne divulguent pas leur statut de fumeur », dit-elle.

Chez Sun Life, on croit que l’habitude de fumer bat en retraite, étant donné que le nombre de fumeurs a beaucoup diminué au fil des ans. « Les tests pour cerner ce risque sont moins importants qu’auparavant. De plus, la grande majorité des gens divulguent leur usage du tabac », dit Sharon Smith, tarificatrice en chef et responsable de la gestion des risques liés aux règlements.

iA suit le bal

De son côté, iA Groupe financier fera passer sa limite d’assurance vie sans prélèvements de 200 000 $ à 500 000 $ d’ici la fin du mois de juin 2017, a révélé Pierre Vincent, vice-président principal, assurance individuelle et ventes, au Journal de l’assurance. Il a précisé que les tests et examens médicaux continueront d’être exigés aux proposants à partir de 50 ans, pour les montants de 500 000 $ et plus.

IA Groupe financier entend aussi se fier à l’analyse interne lorsqu’il lancera une nouvelle proposition électronique dans la première moitié de l’année. « En nous appuyant sur des données internes et externes, nous pourrons prédire quels clients devraient passer des tests », dit M. Vincent.

Il cite une analyse interne selon laquelle 32 % des clients répondent « oui » à au moins une question de leur proposition d’assurance. Des clients qui répondent toujours « non » éveilleront les soupçons. « Si aucun des clients d’un conseiller n’a répondu oui à au moins une question de sa proposition, nous pourrions investiguer davantage. »

Frilosité chez Great-West

Great-West fait preuve de prudence sur l’élimination des tests. « Nous ne le faisons pas pour le moment. Nous continuons d’observer cette tendance, tout en réfléchissant à l’équilibre entre les besoins d’une souscription plus facile et nos besoins de gérer les risques », dit Saundra Roll, vice-présidente adjointe, développement et solutions d’affaires de Great-West, Canada-Vie et London Life.

Tests et examens comptent encore pour beaucoup dans la tarification, ajoute-t-elle. « Ils nous aident à sélectionner et tarifer le risque de manière appropriée. Les résultats peuvent révéler une condition grave dont le proposant n’était pas conscient. »

Elle rappelle que la souscription traditionnelle est la clé des taux privilégiés, qui aident à gérer le risque de mortalité. Ce critère est déterminant pour calculer le niveau des dividendes qui sera crédité aux polices de vie entière avec participation, dit Mme Roll.

L’assureur qui ne recourt pas à un test d’emblée risque de frustrer son client s’il lui en demande un plus tard en cours de route, fait-elle aussi remarquer. « S’il demande au client un électrocardiogramme ou une prise de sang deux semaines plus tard, le client pourrait s’inquiéter. »

Course contre la montre

Peu importe leur allégeance, les assureurs demeurent rompus à l’analytique. Dont Great-West, qui dit y recourir de plus en plus, notamment pour ses nouveaux produits.

Sharon Smith, de Sun Life, ajoute que l’analytique permet d’affiner constamment le processus de souscription. « Nous faisons de la recherche médicale et travaillons avec de jeunes entreprises pour trouver des tests de diagnostic innovateurs et concevoir de nouveaux processus pour effectuer ces tests. »

Karen Cutler, de Manuvie, compare le tout à une « machine qui apprend. Elle s’améliore et devient plus intelligente avec le temps, a-t-elle expliqué. Elle rend la souscription plus facile pour les gens parce que nous n’avons pas à tester 100 % des proposants. Nous continuons toutefois d’appliquer tests et examens pour les conditions à plus haut risque, comme les maladies du cœur et le diabète. »

Avec sa plateforme évolutive HuGO, Humania dit avoir fait un écrémage, de telle sorte que seules les questions pertinentes s’affichent. « Au début, les questions de profilage interagissent avec les données en temps réel du MIB pour générer un questionnaire personnalisé. Il s’ajuste au fur et à mesure que le conseiller inscrit au formulaire les réponses de son client », explique Stéphane Rochon, PDG d’Humania Assurance.

Il ajoute que la majorité des polices sont remises en quelques jours, parfois moins. « Si un proposant achète une police d’assurance vie de 250 000 $ à 13 heures, il peut être approuvé et sa police mise à la poste à 14 heures. Il la reçoit le lendemain », a-t-il signalé.

Économie de 30 000 jours

Humania réussit à économiser du temps grâce à l’algorithme structuré en arbre décisionnel, derrière la plateforme HuGO. L’assureur a déterminé que 65 % des clients sont assurés en 45 minutes. Les clients qui passent par le processus d’émission instantanée Hyperjet sont assurés en 15 minutes. Cet algorithme est révisé tous les trois jours.

« Nous avons fait un test sur les 1 000 premières polices vendues sur HuGO : nous avons économisé 30 jours en moyenne. Cela fait 30 000 jours, soit plus de 80 ans. C’est beaucoup d’argent. C’est un gain d’efficacité qui marque l’imaginaire », dit M. Rochon.

Karen Cutler a également précisé avoir raccourci significativement les délais d’émission « pour les affaires en bon ordre ». Le temps d’émission d’une police dont la proposition ne suscite aucune exigence additionnelle se trouve réduit d’une moyenne de 20 jours à moins de sept jours. « Dans certains cas, le délai peut être aussi court que deux jours. Pour les affaires qui nécessitent des exigences additionnelles, nous avons réduit les délais d’une moyenne de 30 jours à une moyenne de 20 jours. »

Viser le meilleur prix

Assurance vie Co-operators n’a pas eu à recourir aux métadonnées pour éliminer les tests, lorsqu’il a élargi ses limites d’assurance vie sans tests en 2013, soutient son vice-président assurance vie individuelle et actuaire en chef, Alec Blundell. « C’est notre approche stratégique de rejoindre efficacement le marché de la classe moyenne et combler ses besoins qui a fait la différence. Nous n’avons pas eu besoin de métadonnées pour décider, car cela avait déjà du sens du point de vue économique. »

Or, l’analyse prédictive jouera un rôle important pour Co-operators, dans ses futurs développements en assurance vie. L’assureur compte sur une équipe de 75 personnes, dont des statisticiens qui font de l’analyse prédictive, a pour sa part confié Clément Brunet, directeur principal recherche et innovation de Co-operators.

Il ajoute qu’analytique ou non, tout élargissement devra répondre avant tout à des critères économiques. En fin de compte, le client doit obtenir le meilleur prix, insiste M. Brunet. « Nous recherchons un équilibre entre récompenser la bonne santé et le côté pratique de la souscription », ajoute M. Blundell.

Clément Brunet renchérit sur les limites de l’analytique. Selon lui, les modèles prédictifs ne pourront capturer toutes les subtilités du processus de tarification traditionnel. Des clients qui devraient payer moins paieront plus. D’autres qui devraient payer plus paieront moins.