Le danger d’inondations est grandement sous-évalué par les assureurs de par le monde, croit Timothy D. Pappas, vice-président et codirecteur de l’équipe inondations du réassureur Gen Re. Il n’y toutefois pas de solution miracle pour résoudre le problème. Améliorer l’exactitude et la compréhension des cartes de modélisation des risques serait un bon premier pas, tout comme augmenter la précision des outils de géolocalisation.Établi à New York, M. Pappas était de passage à Montréal pour présenter les risques que posent les inondations à quelques clients de Gen Re. Le Journal de l’assurance a aussi assisté à sa présentation.

M. Pappas a commencé en reliant la position des assureurs à la célèbre citation de l’ancien secrétaire à la défense américain, Donald Rumsfeld, prononcée au moment de déclencher la guerre en Irak. « There are known knowns. These are things we know that we know. There are known unknowns. That is to say, there are things that we know we don’t know. But there are also unknown unknowns. There are things that we don’t know we don’t know. »

Il y a trois types d’écoles en ce moment pour assurer les inondations, dit M. Pappas. La première est de se cacher la tête dans le sable. La deuxième est de ne pas couvrir les zones à haut risque. La troisième est d’assurer les zones à plus ou moins haut risque en se disant qu’il ne devrait pas y avoir d’inondations trop souvent.

« Malheureusement, les trois ne fonctionnent pas. Ça revient à dire que si on se met la tête dans le four et les pieds dans le congélateur, on devrait être confortable vu que les deux font une température moyenne combinée ensemble. L’inondation est le Rodney Dangerfield des périls catastrophiques en assurance. Malheureusement, l’industrie continuera de faire des choses stupides tant que ça fonctionnera pour elle », dit M. Pappas.

Il a aussi passé en revue les estimations en matière de catastrophes au Canada. Le risque de tremblement de terre majeur en Colombie-Britannique est établi à une occurrence par 500 ans. Les inondations connues par le Richelieu en 2012 sont elles aussi établies à une occurrence par 500 ans. Même chose pour les inondations survenues l’été dernier, à Calgary.

« De récentes études viennent de démontrer que les inondations de Calgary ont probablement une occurrence par 45 ans. En réalité, ces probabilités sont probablement sous-estimées partout », dit-il.

Par ailleurs, M. Pappas affirme qu’il ne s’agit pas d’un problème canadien, mais bien mondial. Il donne en exemple les inondations qui ont suivi l’ouragan Katrina, en 2005, causant des pertes de 47 milliards de dollars (G$) et l’ouragan Sandy en 2012 (25 G$), ou encore celles qui sont survenues, en 2011, en Thaïlande (15 G$) et en Europe (4 G$). « Ce sont des menaces, pourtant communes, que l’industrie n’a pas prévues », dit-il.

Pour illustrer davantage le manque de préparation, il a pris le cas du programme public américain indemnisant les victimes d’inondations. Ce programme affiche actuellement un déficit de 25 G$. « Il recommencera à faire de l’argent dans 137 ans, à condition qu’il n’y ait pas d’autres inondations qui surviennent d’ici là au pays », dit-il.

Autre problème, selon M. Pappas : les cartes de modélisation des risques répertoriant les inondations portent sur de larges étendues. Elles ne vont donc pas jusqu’à évaluer le risque d’une propriété donnée. « C’est pourtant l’outil principal d’évaluation du risque d’inondation utilisé par les municipalités, les banques et les assureurs, entre autres. Il en résulte donc de forts hasards quant à leur précision », dit-il.

Ses cartes ont aussi été conçues selon des évènements passés. Elles ne tiennent pas compte de nouveaux facteurs, comme les changements climatiques ou la montée des eaux. « Plusieurs des cartes existantes datent du milieu des années 1970. À cette époque, le grand questionnement des scientifiques était de savoir quand surviendrait la prochaine période glaciaire. On ne parlait pas de réchauffement de la planète. Les cartes n’en tiennent pas compte. On n’a qu’à prendre le cas des fortifications de Winnipeg contre les inondations, qui ont été bâties lors de vieux évènements », dit M. Pappas.

À la blague, il aime aussi dire aux gens qui possèdent une maison à dix rues d’une plage à Miami de la conserver. Avant longtemps, ils auront une maison sur le bord de la mer, vu la crue des eaux.

Il n’y a pas que les cartes de modélisation des risques qui présentent des lacunes de précision. C’est la même chose pour les outils de géolocalisation comme les GPS utilisés par les assureurs. À titre d’exemple, M. Pappas a montré que la Maison Blanche était répertoriée à 137 mètres de son lieu réel par les principaux outils de géolocalisation. Quant au 24, Sussex Drive, résidence du premier ministre canadien à Ottawa, la différence entre la géolocalisation et sa position réelle est de 68 mètres.

Ces distances peuvent sembler peu, mais elles peuvent faire un monde de différences pour la souscription d’un risque, notamment sur le plan de l’élévation de la propriété par rapport au niveau de la mer.

Une erreur de 30 M$

M. Pappas a aussi relaté l’histoire du Opry Mills Mall, à Nashville, au Tennessee, qui a subi une importante inondation, en mai 2010. Le propriétaire de ce centre commercial et ses assureurs sont actuellement dans les tribunaux pour établir à combien s’élèvera la réclamation.

Les assureurs disent qu’ils doivent verser 50 millions de dollars (M$) au propriétaire, prétextant qu’il était dans une zone à haut risque d’inondation. Le propriétaire dit plutôt qu’il doit recevoir 200 M$, puisqu’il considère qu’il n’était pas dans une zone à haut risque lorsqu’il a contracté sa prime d’assurance.

Trois cartes de modélisation des risques d’inondation ont été produites pour ce secteur. Or, les trois donnent des résultats différents.

Autre argument en faveur du propriétaire du centre commercial : il existe une liste des centres commerciaux présentant un haut risque d’inondation aux États-Unis. Seize centres commerciaux y figurent, mais pas le Opry Mills Mall.

« En fin de compte, les assureurs concernés par le dossier risquent d’avoir commis une erreur de souscription qui pourrait leur couter 30 M$ chacun. Nous croyons chez Gen Re que souscrire un risque en utilisant uniquement des cartes standards fait manquer la moitié des propriétés présentant un risque réel », dit M. Pappas.

Les statistiques compilées par Gen Re révèlent aussi que 30 % des propriétés ayant généré de multiples réclamations sont situées dans des zones considérées comme présentant un risque d’inondation modéré ou minimal . « Les souscripteurs doivent être vigilants quand ils examinent l’exposition des inondations, et ce, risque par risque. Cela signifie utiliser la technologie et les outils disponibles, tout en comprenant leurs limites. Étudier l’élévation et les caractéristiques topographiques d’un risque précis est très important. Si vous souscrivez un risque sur une rue qui s’appelle Waterfront Road, Ocean View Boulevard ou encore Riverside Street, ce n’est pas pour rien », dit-il.

M. Pappas croit aussi que les assureurs, qui sont souvent perçus comme n’étant pas prêts à débourser pour couvrir les risques d’inondation, changeront d’idée quand des tempêtes les frapperont. « Quelques jours avant que l’ouragan Sandy frappe la côte est américaine, je disais à des dirigeants de l’industrie que l’on n’avait aucune idée de l’impact d’un ouragan sur les villes de New York ou Boston. Après le passage de Sandy, j’ai eu plusieurs courriels me demandant de l’information sur le péril de l’inondation », dit-il.

M. Pappas a aussi visité quelques régions touchées par l’ouragan Sandy, quelques jours après son passage. « J’ai vu des infrastructures avec des marques d’eau qui atteignait la hauteur de mon cou. Il faut aussi tenir compte que si Sandy avait été un ouragan de force 3, l’élévation des eaux aurait pu atteindre 11 pieds de plus », dit M. Pappas.

Julie Richard, directrice du service des biens et de la responsabilité civile du bureau de Montréal de Gen Re, souligne que les souscripteurs qui lui soumettent des risques portent plus attention au risque d’inondation qu’avant. « Ce n’est pas encore un mouvement généralisé, mais on sent une différence. Les souscripteurs creusent plus. Ça avait pris un certain temps pour les tremblements de terre. Ce sera la même chose pour les inondations », dit-elle.