Cet article est un Complément au magazine de l'édition de février 2022 du Journal de l'assurance.
Les résultats d’un sondage de l’Association pour l’investissement responsable suggèrent que les conseillers tendent à surestimer leurs connaissances en investissement responsable. Mieux connu internationalement comme la Responsible Investment Association ou RIA, AIR a réalisé ce sondage intitulé Perspectives des conseillers canadiens sur l’investissement responsable auprès de 539 conseillers, en septembre 2021.
Parmi les participants qui ont qualifié leurs connaissances en matière d’investissement responsable (IR) d’excellentes ou très bonnes, 20 % n’ont pu correctement désigner lesquels de 3 énoncés sur l’IR étaient vrais parmi les 10 énoncés qui leur étaient présentés. Seuls 6 % de l’ensemble des participants ont pu les identifier correctement.
Par exemple, 40 % des participants ont identifié comme vrai l’énoncé selon lequel moins de 15 % de tous les actifs gérés à titre professionnel au Canada tiennent compte des enjeux ESG. Or, cet énoncé est faux selon AIR.
Un autre sondage d’AIR réalisé auprès de 1000 investisseurs canadiens en septembre 2021 a révélé que 77 % souhaitent voir leur conseiller financier les informer quant aux investissements responsables conformes à leurs valeurs. Or, seuls 27 % des participants à ce sondage disent avoir été abordés par leur conseiller à ce sujet.
Informer sur la méthodologie
Directeur de FINB BMO à BMO Gestion mondiale d'actifs, Alain Desbiens estime que le besoin de formation et d’information est aussi grand aujourd’hui envers les fonds ESG qu’il l’était il y a une dizaine d’années envers les fonds négociés en bourse (FNB). Il invite les conseillers à regarder sous le capot lorsqu’ils analysent les différents produits d’investissement ESG disponibles dans le marché.
« Le besoin est très grand chez les conseillers d’avoir une bonne compréhension de l’investissement responsable, alors que les autorités de réglementation demandent de plus en plus de bien connaître les produits, souligne Alain Desbiens. C’est l’une des bases. De leur côté, les fournisseurs de produits doivent montrer aux clients, aux investisseurs, aux gestionnaires de portefeuille et aux conseillers quelle méthodologie ils utilisent. »
Pour illustrer le type d’informations que peuvent partager les fournisseurs, le directeur de BMO prend l’exemple de son portefeuille de FNB basés sur les différents indices MSCI ESG Leaders. Par exemple, la performance de l’indice MSCI World ESG Leaders se démarque peu de celui de l’indice de référence MSCI Monde. Même chose du côté de son fonds vedette FINB MSCI USA ESG Leaders (ESGY), meilleur du marché en termes de ventes nettes de 2021.
C’était le résultat recherché par BMO Gestion mondiale d’actifs dans ce portefeuille de fonds indiciels, signale Alain Desbiens. « Il n’y a pas un grand écart, ni de grosses amplitudes entre la performance de l’indice du MSCI ESG Leaders et celui de l’indice de référence, explique M. Desbiens. Nous voulions avoir un rendement de type indiciel qui soit sensiblement le même que celui des indices de référence, mais avec des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance plus rigoureux. »
Expliquer le choix des indices
BMO a pour sa part recherché une méthodologie qui donnait aux fonds un meilleur profil ESG, et explique celle-ci dans un guide méthodologique. Alain Desbiens en a retracé les grandes lignes en ce qui touche les fonds ESG Leaders. « Tant du côté actions que revenu fixe, nous visons 50 % de la capitalisation boursière par secteur du TSX, avec une cote ESG minimale de BB », précise M. Desbiens.
Dans la méthodologie de MSCI, la cote BB se situe dans la partie inférieure du spectre « moyen », qui est BB-BBB-A. La cote « leader » oscille entre AA et AAA. Celle des entreprises qui affichent un retard par rapport à leur industrie oscille entre CCC et B. « Nous faisons certaines exclusions, comme le charbon thermique, l’électricité produite par le charbon, le pétrole non conventionnel (par exemple, les sables bitumineux au Canada), l’armement nucléaire », ajoute M. Desbiens.
Les recherches ont montré que les sociétés qui se concentrent sur des enjeux ESG importants obtiennent de meilleurs résultats financiers que celles qui examinent tous les enjeux ESG, souligne pour sa part le guide méthodologique de BMO. Il donne d’autres détails sur la méthodologie de l’indice MSCI ESG Leaders. MSCI évalue chaque société de l’indice MSCI Monde en fonction de quelques enjeux ESG qui sont les plus pertinents pour son secteur et ses activités. Le risque de gouvernance est évalué dans l’ensemble. Chaque entreprise a une cote E, S et G. Les composantes qui entrent dans une cote diffèrent d’un secteur à l’autre. « Une société financière ne sera pas cotée en fonction du risque lié à la rareté de l’eau, alors qu’une société de boissons gazeuses comme Coca-Cola le serait », peut-on lire dans le guide.
Les fournisseurs de fonds d’investissement doivent expliquer pourquoi ils choisissent tel ou tel fournisseur d’indices, croit M. Desbiens. Il rappelle que c’est le fournisseur de l’indice qui décide des exclusions ou des inclusions. « Notre rôle est de choisir des firmes et des indices que nous souhaitons amener dans le marché canadien. Nous aimions la robustesse de l’indice MSCI ESG Leaders et son vieil historique (track-record). Cela a beaucoup rassuré les investisseurs, tant institutionnels qu’individuels. »
Sus à l’écoblanchiment
Parmi les conseillers sondés par AIR, 81 % se sont dits préoccupés par l’écoblanchiment (greenwashing). Ils sont 74 % à l’être par l’absence de normes en matière d’investissement responsable. Plusieurs conseillers ont laissé des commentaires indiquant que la normalisation autour des investissements responsables les aiderait à surmonter leurs préoccupations, a révélé AIR.
Le dictionnaire Larousse définit l’écoblanchiment comme l’utilisation fallacieuse d'arguments faisant état de bonnes pratiques écologiques dans des opérations de
marketing ou de communication. Dans son sondage, AIR emprunte la définition du dictionnaire Oxford qui dépeint l’écoblanchiment comme de la désinformation diffusée par une organisation afin de présenter une image publique responsable de l’environnement. Selon les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), il y a écoblanchiment lorsque l’information ou la publicité d’un fonds induit volontairement ou non les investisseurs en erreur au sujet des aspects liés aux facteurs ESG.
De plus, 84 % des conseillers sondés par AIR ont déclaré que les questions environnementales (telles que le changement climatique, la biodiversité et les déchets toxiques) sont les questions ESG les plus importantes aux yeux de leurs clients.
Vice-président, investissement de Groupe Cloutier, Jacen J. Campbell observe pour sa part que l’offre grandit en fonds d’investissement socialement responsable. Plusieurs fournisseurs du secteur de l’assurance offrent aussi des fonds distincts dont les fonds sous-jacents sont selon lui de très bons FNB d’investissement socialement responsable. « C’est clair qu’il y a une tendance. Le mouvement est en train de prendre beaucoup d’ampleur, observe M. Campbell. Mais il faut savoir faire la différence : il y a les bons et il y a l’écoblanchiment. On ne doit pas juste se fier au nom. »
Jacen Campbell révèle que les conseillers reçoivent beaucoup de questions de leurs clients sur ce qui est vraiment un fonds ESG, et ce qui est de l’écoblanchiment. Il recommande au conseiller de poser certaines questions à son client. Des questions qui aideront par exemple à déterminer si le client préfère un gestionnaire qui applique un processus d’exclusion, ou un autre qui privilégie un processus d’inclusion des compagnies qui sont capables de démontrer qu’elles s’efforcent de réduire leur pollution.
M. Campbell estime important d’évaluer diligemment les fonds qui s’affichent comme tels, pour déterminer si le gestionnaire adhère aux principes ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) : « C’est un défi dans l’industrie de faire le suivi, car il y a plusieurs protocoles, et une série de critères à prendre en compte. »
Groupe Cloutier fait ses propres analyses diligentes. « Nous avons mis sur pied un comité d’investissement qui fait une analyse au niveau de l’investisseur institutionnel, au niveau des fonds et des gestionnaires de portefeuille disponibles. Nous encourageons la formation des conseillers. Par exemple, nous avons préparé des conseillers en vue de l’obtention d’un certificat auprès de l’AIR », signale M. Campbell. L’AIR décerne la certification RIAC (conseiller certifié Investissement responsable).
Les régulateurs emboîtent le pas
Dans son rapport des fonds d’investissement 2021, l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) a dit ne reconnaître comme investissement responsable que les fonds qui respectent les critères suivant : « le prospectus doit mentionner explicitement un mandat axé sur l’investissement responsable ou les facteurs ESG dans son objectif de placement, ou décrire une approche d’investissement responsable reconnue dans sa stratégie de placement. »
La prudence de l’IFIC reflète l’esprit des travaux amorcés en octobre 2021 par les ACVM. Ces travaux ont connu leur dénouement le 19 janvier 2022, lorsque les ACVM ont publié des indications destinées aux fonds d’investissement en matière d’ESG. Les ACVM expliquent que ces indications concernent les pratiques d’information sur les
considérations entourant les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance ESG. Elles visent particulièrement les fonds dont les objectifs de placement mentionnent des facteurs ESG, et ceux qui optent pour des stratégies ESG.
Les indications portent entre autres sur les objectifs de placement, les noms des fonds, les stratégies de placement, l’information sur les risques, l’information continue ainsi que les communications publicitaires. « Puisque l’intérêt pour l’investissement ESG est grandissant, ces indications rehaussées et pratiques joueront un rôle important pour ce qui est d’aider les investisseurs à prendre des décisions éclairées au sujet de leurs placements ESG, ainsi que de prévenir le risque d’écoblanchiment », a déclaré Louis Morisset, président des ACVM et président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers.
Les ACVM expliquent que les indications d’information visent à aider les fonds d’investissement et leurs gestionnaires à améliorer les aspects propres aux facteurs ESG dans leurs documents d’information réglementaire. Elles visent également à veiller à ce que leurs communications publicitaires ne soient pas fausses ou trompeuses, et à ce qu’elles soient cohérentes avec leurs documents d’offre réglementaires.
Les gestionnaires de fonds canadiens ESG devront faire leurs devoirs au moment de choisir les entreprises qui composeront leurs fonds. PwC Canada a constaté que les entreprises canadiennes ne divulguent pas systématiquement de l’information ESG. Intitulée Perspectives canadiennes sur les rapports ESG, l’étude de la firme comptable révèle que seulement 41 % des entreprises publient un rapport ESG montrant la place fondamentale du développement durable dans leur stratégie. PwC Canada qualifie l’étude d’analyse la maturité de l'information ESG des 150 plus grandes entreprises canadiennes.
PwC Canada mentionne aussi le manque de comparabilité des données divulguées. Parmi les entreprises dont elle a analysé les rapports, seulement 18 % des indicateurs se comparaient à ceux de leurs concurrentes ou à d'autres références externes.
L’étude révèle en outre que plus de 35 % des entreprises ont un engagement formel de zéro émission nette, mais seulement 17 % d'entre elles se sont engagées à atteindre cet objectif à une date déterminée, révèle aussi l’étude de PwC Canada. « Les dirigeants d'entreprises canadiennes doivent comprendre que la transparence et l'imputabilité ont une importance capitale dans le contexte économique d'aujourd'hui », a déclaré Sarah Marsh, associée et leader nationale, rapports et certification ESG de PwC Canada.
Selon Mme Marsh, les entreprises doivent s'intéresser à la véritable valeur de l'information ESG. Elle les invite à le faire le plus tôt possible. « Au moment où le leadership sur le changement climatique, la justice sociale et d'autres enjeux importants est un atout recherché, les entreprises canadiennes qui démontreront comment elles créent de la valeur pour toutes les parties prenantes ont une longueur d'avance, sur plusieurs fronts », estime leader nationale de l’ESG.