Les courtiers d’assurance de dommages du Québec doivent se préparer à voir leur environnement être chamboulé complètement, comme ce fut le cas au Royaume-Uni il y a quelques années. Puisque les assureurs ne privilégient plus un modèle plus qu’un autre, les courtiers devront donc trouver de nouveaux moyens pour attirer des clients.C’est le portrait qu’a brossé Louis Régimbal, associé, secteur services financiers, solutions d’affaires globales chez IBM Groupe Conseil, lors du Congrès de l’assurance et de l’investissement 2007.

Selon M. Régimbal, les courtiers du Québec vivent les mêmes enjeux que leurs collègues du Royaume-Uni ont vécus il y a quelques années. « Dans les deux cas, ce sont les manufacturiers qui ont initié les changements. Les distributeurs se sont trouvés dans une situation où ils étaient en réaction à ce qui se passait. C’est encore ce qu’on voit ici. La distribution en assurance de dommages au Québec ne fait que réagir aux forces du marché qui sont exercées en grande partie par les manufacturiers», fait-il remarquer.

Pour conserver leurs parts de marché, les cabinets de courtage du Royaume-Uni n’ont pas hésité à expérimenter différentes avenues. Quand ça ne marchait pas, ils ont arrêté et ont pris d’autres angles.

« Les mêmes gestes de consolidation ont été faits là-bas. Les petits cabinets ont été achetés par des consolidateurs. Il y avait du capital de risque impliqué là-dedans. Ils ont appliqué le même modèle qu’ici au départ, avec des résultats aussi peu intéressants. Ils se sont spécialisés dans des niches que les directs ne pouvaient atteindre. Ils ont eu exactement la même réaction qu’ici », explique-t-il.

Les courtiers anglais ont aussi tenté de créer des intégrateurs et des bannières. « Ce sont les petits joueurs qui ont bâti les bannières, comme ici. Ils ont regroupé leurs primes pour avoir une force de négociation plus forte avec les assureurs. Ils ne voulaient pas faire d’économie d’échelle, mais affronter les assureurs sur un pied plus solide. Beaucoup de courtiers s’y sont lancés », dit M. Régimbal.

Les courtiers anglais se sont aussi lancés dans les affinités. « Ainsi, tous les conducteurs de BMW font affaires avec un courtier, qui prend le rôle d’intégrateur de ces gens-là. Ce ne sont pas les assureurs qui l’ont fait. Ce sont les courtiers. », révèle-t-il.

Rémunération modifiée

Un des plus gros changements que les courtiers du Royaume-Uni ont accepté est d’être rémunéré sur une base d’honoraire au lieu de commission. « Ils ont dû s’y résoudre parce qu’il y avait une énorme pression pour réduire les commissions. De plus, l’honoraire est visible pour l’assuré. Ce dernier sait exactement dans quelle proportion sa prime sera divisée entre le courtier et l’assureur. C’est alors très simple de voir combien chacun touche. D’ailleurs les clients ne se gênent pas pour le faire », assure M. Régimbal.

Les courtiers britanniques ont aussi pris le virage Internet. « Ils ont intégré majoritairement Internet dans leur interaction. Ils offrent ce que le client veut obtenir. Ici, on ne peut faire ça qu’avec un direct », dit M. Régimbal.

Ne pas attendre

Hubert Brunet, vice-président, assurance aux entreprises chez AssurExperts, croit qu’il ne faut pas attendre qu’une telle tempête déferle sur le Québec. « Il est difficile pour un réseau de courtage de changer fondamentalement ses façons de faire quand ça va bien, comme c’est le cas ici maintenant. Au Royaume-Uni, les courtiers étaient acculés au pied du mur. On ne doit pas attendre que ça arrive ici. Certains ont sauté sur des occasions, mais il faudrait qu’il y en ait plus qui aient ce réflexe », mentionne-t-il.

Le vice-président d’AssurExperts croit cependant qu’il y a beaucoup de place pour l’amélioration et le changement. Selon lui, l’accent doit être mis sur la productivité et le développement des affaires dans les cabinets de courtage.

M. Brunet rappelle que l’environnement de pratique des courtiers a connu un raz-de-marée avec l’arrivée des assureurs directs. « Ces derniers sont rendus à 60 % de parts de marché en assurance auto et à plus de 50 % en assurance habitation. De plus, ils ont une croissance assez étonnante en assurance aux entreprises. Internet vient aussi bousculer les habitudes des consommateurs et des courtiers d’assurance. Les courtiers doivent s’ajuster à ce phénomène », lance-t-il.

En plus des directs, M. Brunet croit que les courtiers devront repousser les attaques des banques. « Le courtage ne pourra empêcher bien longtemps les banques d’investir la distribution des produits d’assurance. Quand on voit ce qui se produit partout dans le monde, le gouvernement du Canada ne pourra éternellement leur interdire l’accès à la distribution des produits d’assurance », avertit-il. Actuellement, les banques ne peuvent distribuer leurs produits en succursales ni joindre leurs clients par des campagnes ciblées.

M. Brunet ajoute que la consolidation et la concentration des marchés se sont effectuées à un rythme beaucoup plus rapide que prévu. Selon lui, personne n’avait prévu que les courtiers seraient affectés d’une façon aussi importante.

M. Brunet mentionne aussi que les consommateurs ont maintenant une idée bien précise du service qu’ils veulent avoir. Selon lui, les directs l’ont compris, mais plusieurs courtiers ne se sont pas ajustés à cela.

« Nous avons souvent entendu des courtiers dire que ce n’était pas grave lorsqu’ils perdaient un risque aux mains de Desjardins. Que le client reviendrait quand il verrait le service obtenu, il reviendrait. Ça n’a pas été le cas. Une autre réflexion entendue souligne que les courtiers sont proches de la communauté et qu’ils sont là 24 heures par jour. Ce n’est pas quand sa maison brûle que le client veut voir son courtier, c’est tout le temps. Les assureurs directs ont compris la définition du mot service. Ça veut dire répondre rapidement aux besoins et aux questions du consommateur », dit-il.

M. Brunet ajoute que les courtiers ne doivent plus perdre leur temps à définir qui est le courtier indépendant, noble ou pur. « On aurait avantage à regarder les opportunités qui s’offrent aux cabinets. Comme consommateur, je suis beaucoup plus rassuré de voir un courtier bien analyser mes besoins et placer mes risques avec un assureur avec qui il concentre 80% de ses affaires, que de voir un autre courtier prendre une photocopie de ma police et faxer cinq copies de celle-ci pour avoir des cotations, sans évaluer mes besoins par surcroît », fait-il valoir.

Les cabinets ont donc à s’ajuster rapidement selon M. Brunet. « Les courtiers doivent parler de croissance du nombre d’assurés. La saine administration ne suffit plus. Les transferts ne suffisent plus. Les courtiers doivent être créatifs, imaginatifs, audacieux et cesser de se réfugier derrière leur sacro-statut. Ils doivent mettre en place des façons de faire qui répondent aux attentes. Ils doivent oser, innover et ne pas laisser les assureurs directs leur dicter ce qu’ils doivent faire », défend M. Brunet.

Il reproche aussi à des courtiers de limiter leur imagination au terrain de jeu que les lois imposent. Au contraire, dit-il, ils doivent marcher sur la ligne et repousser la limite de la loi. Il donne en exemple le cas de MaxNeige. « Certains ne se gênent pas pour le faire, mais il n’y en a pas assez qui le font », complète-t-il.

Lobby

De son côté, Claude Brosseau, président du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ), croit que le réseau de courtage doit reprendre en main le réseau de distribution.

« En 2008, nous estimons à 20 % le nombre de courtiers qui sont prêts à faire face à ce nouveau défi. Il y en a 50 % qui se questionnent et qui cherchent des solutions. Malheureusement, il y a 30 % des courtiers qui regardent passer la parade », déplore-t-il.

Selon M. Brosseau, les cabinets doivent s’ajuster pour établir leur vision et leur modèle d’affaires. « Ce sont tous des entrepreneurs et ils doivent voir à leur avenir. Arrêtons de regarder à gauche et à droite pour avoir une vision de l’un et l’autre. Chaque courtier doit trouver sa propre vision et son propre chemin. Le courtier doit se faire confiance. Il est un entrepreneur. Il y a trop de cabinets qui se fient à un modèle à gauche et à droite. Le courtier doit se fier à son instinct, suivre son plan d’affaires et passer à l’action », conseille-t-il.

M. Brosseau croit tout de même que le courtier peut reprendre sa place auprès des consommateurs et qu’il développera de nouveaux services. Il croit entre autres que les courtiers pourraient prendre le virage patrimoine et ainsi offrir des produits financiers en même temps que des produits d’assurance de dommages.

« Le courtier pourrait aussi offrir des produits de maladies graves, des régimes protégés d’épargne études et ensuite reprendre sa place comme le plus important point de vente en assurance voyage », estime-t-il.

M. Brosseau croit aussi que le cabinet pourrait choisir son réseau de distribution. « Il pourrait travailler via un assureur ou une institution bancaire, ou comme agent ou par Internet et avec de nouveaux joueurs comme Toyota ou Volkswagen. Le cabinet aurait aussi des choix d’orientation dans sa distribution. Les options sont nombreuses : seul; comme indépendant; sans fournisseur comme créancier ou partenaire; avec un créancier et partenaire; avec un fournisseur majeur et un autre pour le complément; ou comme concentré et partenaire à 100 % », dit-il.

Selon le président du RCCAQ, le courtage doit aussi se doter d’une voix forte. « Les courtiers sont peu présents dans les organismes réglementaires, que ce soit au sein de l’Autorité des marchés financiers ou au sein du ministère des Finances. Aucun courtier n’a jamais été ministre ou sous-ministre. Le courtage devra d’ailleurs créer un comité d’action politique », mentionne-t-il.

Pour M. Brosseau, le principal virage qui doit être pris est celui du lobbying. « En 1997, si aucun lobby n’avait été fait, nous aurions eu droit à une loi encore plus étroite et contraignante. Il faut se prendre en main. C’est pourquoi il est important de s’impliquer », dit-il.

Trois priorités

Les trois conférenciers ont identifié trois priorités sur lesquelles les courtiers doivent se pencher. Pour Claude Brosseau, les courtiers doivent absolument éviter l’isolement. « Les courtiers doivent s’impliquer et partager l’information. Il ne faut pas avoir peur de partager avec un confrère courtier ses ratios de comptabilité et les problèmes vécus. À plusieurs, le problème se règlera plus facilement. Les courtiers doivent donc s’impliquer dans le partage de données », dit-il.

Hubert Brunet croit quant à lui que les courtiers doivent miser sur l’innovation. « Il y a des courtiers qui ont décidé d’innover et qui réussissent très bien. Ceux qui ne le font pas stagnent. Il faut trouver de nouvelles façons de solliciter le consommateur. Le nerf de la guerre, c’est de développer de nouvelles affaires et ça passe par l’innovation. Si on continue à faire ce qu’on a toujours fait alors qu’on a perdu 60 % de nos clients, on ne peut pas continuer ainsi. Il faut donc innover », lance-t-il.

De son côté, Louis Régimbal conseille aux courtiers de miser sur la sophistication. « Les assureurs sont maintenant multi-réseaux. Les progrès qui se font chez les assureurs directs sont surprenants. Si le courtage se voit en compétition avec les directs, la notion de sophistication devient importante. Il y a des technologies qui permettent de détecter dans quel état d’esprit se trouve l’interlocuteur au téléphone grâce à leur timbre de voix et suite à la question suivante : "Est-il disposé à recevoir une offre?" C’est ce genre de choses que les directs mettent en place. Ils font une analyse de ce qui se fait à l’heure. Combien d’offres ont été acceptées? Sous quel angle? Pour l’heure suivante, ils modifient leur approche et regarde ce qui se passe. C’est un apprentissage continu. Ils ont une longueur d’avance dans le moment et ils courent vite », souligne-t-il.

M. Régimbal ajoute que les courtiers doivent étudier toutes les avenues possibles, même celle de devenir l’agent d’un assureur. « C’est une option qui est légitime. Les assureurs ne sont pas intéressés à favoriser un réseau plus qu’un autre. Leur intérêt est d’offrir leurs produits à une clientèle qui cherche à s’assurer sans égard à la façon dont le consommateur veut se procurer ce produit. Il est fort probable que le consommateur sera très à l’aise de faire des affaires avec un agent. On le voit en France. C’est un modèle qui est enraciné. C’est un modèle légitime et un assureur s’apprête à lancer une telle initiative ici », conclut-il.

(NDLR : le mois dernier, dans les pages du Journal de l’assurance, Co-Operators annonçait qu’il voulait mettre en place ses premiers agents d’ici 2010).