Née d’une mésentente sur le financement et la gouvernance de ses comités régionaux par l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux (ICRA), l’Association de la retraite et des avantages sociaux du Québec (ARASQ) compte 600 membres après un peu plus d’un mois d’existence, soit les deux tiers du membership québécois de l’ICRA.

Lors du congrès annuel de l’ICRA pour la région du Québec (ICRA-Québec), qui s’est déroulé au Manoir Richelieu en septembre, les membres du conseil régional du Québec ont démissionné en bloc, et fondé l’ARASQ. Parmi les membres fondateurs figure Jean-Pierre Canuel, alors président du conseil régional de l’ICRA-Québec. Il est aussi directeur chez Morneau Shepell.

Les démissionnaires n’avaient pas le choix de fonder une nouvelle entité et repartir à zéro, a expliqué en entrevue au Journal de l’assurance Jean-Pierre Canuel. « Le conseil régional de l’ICRA n’a pas d’existence légale. Nous n’aurions pas pu nous séparer et garder nos membres. »

La mésentente qui a poussé plusieurs membres de l’équipe québécoise de l’ICRA à créer l’ARASQ couvait depuis plusieurs années, a précisé M. Canuel. Il a confié que celle-ci porte essentiellement sur la façon dont l’ICRA répartit parmi les régions les cotisations qu’il perçoit des membres à l’échelle pancanadienne.

Section prospère, ICRA-Québec s’autofinançait jusqu’à maintenant, grâce aux revenus de ses activités. Or, l’équipe du Québec s’irritait de recevoir des miettes de l’ICRA. Québec reprochait aussi à l’ICRA certains problèmes de gouvernance, a ajouté M. Canuel, notamment sur le plan des dépenses encourues par le comité national de l’ICRA. Jean-Pierre Canuel a révélé que sa région « envoyait 200 000 $ de cotisations par an à l’ICRA et ne recevait en retour qu’à peu près 10 000 $ ».

L’iniquité lui semblait d’autant plus grande qu’ICRA-Québec s’autofinance. « Nous avions 1 000 membres qui cotisaient chaque année, mais nous pensions qu’ils n’en avaient pas pour leur argent en fonction des services reçus de l’ICRA, dit M. Canuel. L’ICRA pensait au contraire que l’argent qu’il percevait des membres était bien dépensé, et elle avait légalement raison puisque nos membres étaient en fait leurs membres. »

L’ICRA fournit entre autres l’accès à un site Internet, organise un congrès annuel national. Il offre aussi des services de comptabilité aux conseils régionaux et des employés quelques journées par an, en vue de la préparation des conférences régionales.

Aux dires de M. Canuel, l’ICRA fait la sourde oreille depuis longtemps aux doléances de la région du Québec. « La situation remonte à une dizaine d’années, et nous avons précisé nos revendications dans les deux dernières années. »

Ainsi, l’ICRA forme un comité sur le financement en février 2014. Il est chargé de faire des recommandations au nom des neuf régions, à son conseil d’administration. « Il y avait deux représentants du Québec à ce comité. Nous recommandions que la structure de financement soit modifiée. Plutôt que les régions offrent des services et que l’argent perçu de nos leurs membres aillent directement à l’ICRA, nous proposions que l’argent transite à l’ICRA par l’entremise des régions, qui paieraient ensuite à l’ICRA des frais selon l’utilisation qu’elles font de ses services », a expliqué M. Canuel.

Les rencontres s’ensuivent

Un nombre important de rencontres et de conférences téléphoniques s’ensuivent entre les régions et l’ICRA. Parmi les recommandations qui en émergent, celle du Québec : redistribuer plus d’argent à toutes les régions et exiger que la structure administrative de l’ICRA se serre la ceinture.

Le 25 mai, le comité présente ses propositions de financement à l’ICRA. Cette rencontre scelle l’issue qui mènera à la démission des membres du conseil régional du Québec, et des deux représentants du Québec au conseil d’administration de l’ICRA. « Nous nous sommes fait claquer la porte en se faisant dire par l’ICRA : il n’y a pas de consensus alors nous remettrons en place un autre comité. Une réponse un peu insultante envers les efforts du comité pour en arriver à des solutions », relate M. Canuel.

Devant l’impasse, les 19 membres du conseil régional du Québec reviennent avec quatre demandes finales : revoir la structure de financement; revoir les dépenses du bureau national; revoir des éléments de gouvernance; et avoir un plan d’aide pour les régions en perte de membres. C’est le cas de l’Ontario. Selon Jean-Pierre Canuel, cette région est passée de près de 1 000 membres à environ 300. L’ICRA a confirmé cette perte de vitesse au Journal de l’assurance.

Ils donnent un délai de 60 jours à l’ICRA, mais la réponse que l’Institut leur donne en aout ne leur convient pas. « L’ICRA a accepté de faire un tiers du chemin sur notre première demande, mais l’écart demeurait encore trop grand », relate Jean-Pierre Canuel. La séparation a alors eu lieu.


Le PDG de l’ICRA justifie son refus

Peter Casquinha

Peter Casquinha

Pour le PDG de l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux, Peter Casquinha, la réponse de juin faite à l’ICRA-Québec n’était en aucun cas une fin de non-recevoir, a-t-il affirmé lors d’une entrevue accordée au Journal de l’assurance, dans son bureau du siège social de l’ICRA à Montréal.

Après l’impasse du 25 mai, l’ICRA se donne trois mois pour réfléchir aux formules proposées, ce qui n’a pas l’heur de plaire au conseil régional du Québec. Il manifeste son insatisfaction le 24 juin, par une lettre dans laquelle il donne 90 jours à l’ICRA pour lui donner satisfaction. « Dans le cas contraire, le conseil menaçait de prendre d’autres actions, incluant une possible séparation », souligne M. Casquinha.

Saisi par la missive, le conseil d’administration vote sur une formule de financement provisoire qui vise à redonner plus d’argent provenant des revenues d’adhésion aux régions. Rien n’y fait. C’est la séparation. « Nous avons proposé certains changements, mais le conseil régional du Québec a considéré que cela ne répondait pas à ses besoins », explique M. Casquinha.

Pourtant, M. Casquinha croit que se rendre aux demandes de la région du Québec aurait créé des disparités. « Nous avons une organisation centrale qui gère les régions et la région du Québec voulait se gérer en totalité. Si nous avions accepté cette proposition, le Québec et l’Ontario auraient très bien fonctionné, mais les autres régions auraient eu des difficultés », croit-il.

De plus, il indique que sa formule aurait été mise à l’essai pendant un an. « Les gens de la région du Québec ont considéré que cela était trop peu, trop tard », dit le PDG de l’ICRA. En vertu de cette formule revue, l’ICRA ne donnait plus seulement une ristourne sur les nouvelles adhésions (laquelle était de 22 % dans la formule courante), mais aussi sur le renouvellement des anciennes, dans une proportion de 11 %. Il a expliqué que cette formule ferait passer la ristourne du Québec au moins du quitte au double, « parce qu’il y a plus de renouvellements que de nouvelles adhésions ».

Interpellé par la région du Québec sur les dépenses de l’infrastructure nationale de l’ICRA, M. Casquinha a tenu à les justifier. « Les cotisations couvrent cette infrastructure, qui implique entre autres les employés, une plateforme Web, la conférence nationale et des webinaires. Elles permettent de maintenir un conseil d’administration et un répertoire des membres, ainsi que de constituer une réserve d’assurance au cas où une région encourt une grande perte, par exemple en cas de l’annulation d’une conférence », énumère-t-il.

Au fil des ans, le bureau national maintient entre quatre et cinq employés à temps plein, incluant le PDG. À l’échelle pancanadienne, l’ICRA compte 3 000 membres et gère l’ensemble des régions et leurs conseils ainsi que son propre conseil. M. Casquinha rappelle que la cotisation demeure à 250 $ depuis 7 ans.

Dans ses états des résultats se terminant au 30 juin 2015, l’ICRA a déclaré des revenus de cotisation de 573 385 $, sur des revenus totaux de 3,305 millions de dollars (M$). Les dépenses totales sont de 3,285 M$, ce qui laisse un surplus d’un peu plus de 19 000 $. Les dépenses incluent les salaires et les charges sociales, qui se chiffrent à 505 778 $. Dans son état de l’évolution des actifs nets pour la même période, l’ICRA rapporte un solde de réserve pour éventualités de 504 567 $.


Le schisme ne marque pas la fin d’ICRA-Québec

Malgré le schisme, l’ICRA-Québec demeure. Alors que l’ARASQ proposait aux membres qui s’inscrivaient avant le 31 octobre de bénéficier d’avantages exclusifs, l’ICRA renchérissait.

Dans un communiqué, l’Institut canadien a annoncé un tirage parmi les membres qui auraient renouvelé leur adhésion pour 2016 avant le 31 octobre. Il en a profité pour publier un lien vers une page créé par le conseil d’administration de l’ICRA pour relater les événements. « L’ICRA continue ses activités au Québec », a précisé cette communication. Un nouveau conseil régional du Québec continuera d’offrir des opportunités de réseautage et de formation pour tous ses membres », poursuivait le communiqué.

En entrevue, Peter Casquinha, PDG de l’ICRA a reconnu qu’ICRA-Québec fonctionne présentement au ralenti. « Il faut trouver de nouveaux bénévoles pour relancer ICRA-Québec. Pour le moment, les activités qui étaient programmées pour l’année ne demeureront pas forcément les mêmes », dit-il. L’ICRA-Québec maintient toutefois son objectif de tenir son congrès régional annuel en septembre 2016 à Mont-Tremblant, même si l’ARASQ s’est engagé à faire de même, à une date encore indéterminée. Il pourrait donc y avoir deux congrès en avantages sociaux à Mont-Tremblant à l’automne 2016.

Pendant ce temps, Jean-Pierre Canuel, membre fondateur de l’ARASQ, se dit fort satisfait de l’adhésion puisque l’objectif à court terme était de 500 membres. Il reconnait toutefois que la partie sera difficile pour rallier les 1 000 membres québécois. Plusieurs d’entre eux siègent à un comité de retraite. La décision de se rallier doit être débattue par l’ensemble du comité. « Lorsque cela se produit, ils arrivent en bloc », observe M. Canuel. Il croit par ailleurs que la grande majorité des membres de l’ARASQ ne conserveront pas leur membership avec l’ICRA.

C’est aussi ce que pensent d’autres membres fondateurs de l’ARASQ interviewés par le Journal de l’assurance. Président d’AlphaFixe Capital, Stéphane Corriveau rappelle que chaque membre devra éventuellement choisir entre ICRA-Québec et l’ARASQ. « Il devra aller là où la formation se dispense », dit-il. Et les participants aux cours ne manqueront pas. « Nous croyons d’ailleurs que les caisses de retraite présentes au Québec continueront de nous soutenir », ajoute M. Corriveau. De plus, les membres fondateurs actuels appartiennent à des institutions financières bien implantées au Québec, dont Desjardins Sécurité financière, iA Groupe financier et SSQ Groupe financier.

Déjà éprouvée, la plateforme de formation de l’ARASQ aura en ce sens un attrait certain, croit Frédéric Venne, qui s’impliquera dans l’équipe de spécialistes d’assurance collective. Aussi membre fondateur, le conseiller principal en assurance collective de Normandin Beaudry révèle que la nouvelle association constituera un programme similaire à celui que dispensait déjà ses membres sous l’égide de l’ICRA.

« Au Québec, les membres des comités de retraite ont des obligations de formation, et constituent un large auditoire. Des activités telles que les midis-conférences, la conférence annuelle et la soirée des prévisions se sont montrées très populaires. Nous ferons notre premier midi-conférence le 20 novembre, sur le placement, ajoute-t-il. Notre programme est très développé, car notre région dispensait déjà près d’une trentaine d’activités de formation annuellement. » Dans sa spécialité de l’assurance collective, l’auditoire viendra surtout des gestionnaires en ressources humaines.

Présidente de BrosseauMedConsult, Johanne Brosseau fait partie des nouveaux membres qui ont décidé de ne pas maintenir leur adhésion à l’ICRA. « L’ARASQ a eu mon oui, et je ne serai pas membre des deux organisations. Lorsque l’on fait partie d’une organisation, on assiste à ses activités, pas à celles d’une autre », a dit Mme Brosseau. Elle croit que l’ARASQ a déjà rallié une bonne part des membres d’ICRA-Québec. « Le congrès annuel de la région du Québec regroupait bon an mal an près de 500 à 600 membres actifs », confie-t-elle.

Membre d’ICRA-Québec démissionnaire, Claude Leblanc n’a toutefois pas joint les rangs de l’ARASQ. M. Leblanc n’en a pas moins déploré le manque de collaboration de l’ICRA à la recherche d’une solution commune. « J’ai démissionné par respect pour les valeurs fondamentales de l’ICRA, et le fait qu’il n’y a pas eu de consensus parce que le conseil d’administration de l’ICRA a refusé d’avoir un débat sur les demandes de la région du Québec. Il a refusé en deux occasions : lorsqu’il s’est réuni une première fois et lorsqu’il s’est réuni de nouveau avec le comité conjoint et les chefs régionaux », a-t-il révélé.

Il s’est dit par ailleurs étonné que la question du Québec n’ait pas figuré à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle de l’ICRA, qui s’est déroulée à Toronto le 28 octobre. Ex-vice-président, ventes, régimes d’épargne et de retraite collectifs et affaires publiques de Standard Life Canada, M. Leblanc siégeait au conseil d’administration de l’ICRA, à titre d’administrateur délégué. L’autre représentante du Québec au conseil national de l’ICRA, Brigitte Gascon, de Desjardins Sécurité financière, a aussi démissionné. Elle a été des premières fondatrices de l’ARASQ.

Le coût annuel d’adhésion à l’ARASQ est de 200 $. Pour les retraités et les étudiants, il est de 35 $. Pour les groupes de plus de 25 personnes, il est de 5 000 $ pour le groupe. La cotisation à l’ICRA est pour sa part de 250 $.